Chapitre 16 : Human
“... Some people got the real problems
Some people out of luck
Some people think I can solve them
Lord heavens above …”
[“... Certaines personnes ont de vrais problèmes
Certaines personnes n'ont pas de chance
Certains pensent que je peux les résoudre
Seigneur des cieux …”]
***
Mercredi 4 Janvier 2023, 16 h 30 de Paris
En arrivant devant l’une des entrées du siège de QuickLook, pour rencontrer la Capitaine Bichon, la première chose que Bertha, Cécile et Caleb attendaient étaient des explications sur la situation. La policière botta à nouveau en touche, allant directement à l’essentiel du plan d’action à engager.
- Je suis désolée, je sais que cette situation n’est pas agréable pour vous. Je vous demande de me faire confiance et de suivre mes instructions à la lettre sans m’en demander davantage pour le moment. Je n’ai plus que quelques minutes de marge de manœuvre pour m’occuper de Feñch. Votre sœur Diane attend mon signal pour me laisser entrer à l’endroit où il est tenu en otage. Vous allez faire diversion avec elle dans le bureau de Muirhead.
- Ça va beaucoup trop vite ! Je ne vais nulle part avant que vous ne nous ayez expliqué le but de tout ceci, dit Bertha exaspérée. Hier encore, le coupable était mon ex beau-frère, et aujourd’hui c’est Ian ! Et maintenant, c’est Diane qui va vous aider à faire échapper Feñch !?
- Feñch est juste un pion dans tout ça, comme moi. Le but final est d’éviter que votre fille ne disparaisse à tout jamais ! C’est de ça qu’il est question maintenant. Si vous tenez encore un peu à elle, vous allez monter voir Muirhead et tenir avec lui la conversation la plus longue que vous pourrez. Questionnez-le sur l’Opération Pandore. Je suis sûre qu’il vous mènera en bateau, mais vous pourrez peut-être apprendre des choses, on ne sait jamais. Traînez le plus que vous pourrez, jusqu’à ce que je vous confirme que j’ai accompli ma tâche. Je sauverai la peau d’une bonne partie de votre famille, Kevin et Miranda Letailleur y compris.
Bertha resta sans voix devant les arguments de la policière. Mais elle compris que les explications seraient pour plus tard.
- Maman, faison vite comme le Capitaine Bichon nous le dit, supplia Caleb.
- Toi, tu ne vas nulle part ! Tu restes dans la voiture si tout ceci est aussi dangereux que la Capitaine Bichon nous le dit.
- Je suis d’accord avec elle, Caleb. En ce qui vous concerne Bertha et Cécile, envoyez-moi un message dès que vous serez avec Muirhead. À ce moment-là, j’entrerai dans la zone où Feñch se trouve. Ils me connaissent dans les lieux, et je pourrai passer inaperçue si quelqu’un me croisait. En plus, il n’y a pas de gardes à l’endroit où il est. Seul Muirhead, votre sœur et un nombre très restreint de personnes y ont accès.
Caleb s'exécuta pendant que les trois femmes passèrent la porte qui menait aux secteurs Recherche et Développement de QuickLook, le bureau d’Ian Muirhead se trouvant dans la même aile du complexe.
Il regarda alors son téléphone et vit qu’un message de sa sœur venait d’arriver : “Suis Bichon jusqu’à la pièce bleue. Sans être vu”.
Machinalement et sans comprendre le message, Caleb accéda au bâtiment en courant, rattrapant de justesse la policière. Il fit attention à garder une distance prudente.
Quelques minutes passèrent avant que Bichon avance, un message venant de lui annoncer que Bertha et Cécile étaient déjà dans le bureau de Muirhead. Après ce point, elle était en partie absorbée par les échanges de textos qu’elle maintenait avec Diane Letailleur qui lui donnait, au fur à mesure, les codes d’accès aux différents secteurs du complexe. Elle ne remarqua pas qu’elle était suivie par Caleb.
Ils traversèrent des blocs de laboratoires, des serveurs informatiques à la pèle, et pour marquer le tout, un vide de présence humaine le plus absolu. Ils ne croisèrent absolument personne.
Caleb s’arrêta soudain à l’entrée d’un couloir, au bout duquel il pouvait voir à travers une vitre une pièce gigantesque, une sorte d’énorme salon cathédrale occupant deux étages, toute en bleu ciel pastel. Le changement brutal de couleur ne pouvait passer inaperçu pour lui. Les bâtiments de QuickLook étaient d’une architecture futuriste et minimaliste, exclusivement composée des murs en béton apparent, de verre et de métal flambant neuf.
Absorbé par la pièce en question qui se tenait au bout du couloir, il venait de rater la dernière des portes prise par Bichon. Mais le contenu de la pièce était le but demandé par Miranda. Même s’il n’arriva pas à y accéder, le contenu de la pièce était visible à travers les énormes baies vitrées depuis son extérieur. Il y avait des dizaines d’écrans, la plupart en veille. Les images visibles sur chaque ordinateur étaient des caméras de surveillance qui défilaient à une certaine fréquence. Il ne put reconnaître les lieux exacts qui s’affichaient, ni les étiquettes collées sur les écrans, marquant de toute évidence le nom des lieux. Il était trop loin pour les lire.
Une des images qui venait d’apparaître le frappa cependant. Il reconnaissait une vue de caméra de surveillance montrant l’extérieur de l’hôpital Lariboisière, le lieu où Miranda et lui étaient nés, mais aussi où leur père travaillait. Sur le même ordinateur l’image défilant par la suite, celle d’un lit d’hôpital, puis un autre différent et encore un autre. Plusieurs images du même genre apparurent aussi dans la foulée lors du défilement continu sur les autres écrans. Sur les côtés de ces lit, bien souvent des chaises roulantes sophistiquées, comme celle que Miranda utilisait aux stades les plus critiques de sa maladie il y a plusieurs années.
Troublé par les images, il failli ne pas remarquer que son oncle et la policière ressortaient en vitesse, par la dernière porte qu’elle avait prise, à peine quelques secondes auparavant.
Il se précipita pour les suivre. Il savait qu’il risquait de rester coincé à l’intérieur de l’immeuble, les sorties comme les entrées se faisant exclusivement avec des systèmes de codes ou badges qu’il n’avait pas.
Une fois à l’extérieur du complexe, Bichon et Feñch se dirigèrent vers la voiture de la policière, et partirent sans s’arrêter. Caleb n’eut pas le temps de les interpeller.
Caleb appela sa sœur, inquiet par ce qu’il venait de voir.
- Miranda, la pièce bleue et un centre de surveillance d’hôpital ? Quel rapport avec QuickLook ?
- C’est précisement ça la version de l’Opération Pandore que QuickLook veut mener, répondit Miranda.
- Ils veulent sauver la vie des personnes atteintes de maladies cérébrales comme ils l’ont fait avec toi ?
- De toute évidence … mais pourquoi QuickLook, un réseau social qui s’occupe de cela ? et pourquoi avoir kidnappé ces dix influenceurs ? Tout ça a un rapport avec moi, ils veulent me faire disparaître, ainsi qu’ils viennent sûrement de le faire avec les kidnappés.
Au même moment,Bertha et Cécile sortaient du bâtiment, ce qui poussa Caleb à raccrocher sans dire au revoir à sa sœur.
- Qu’avez vous obtenu comme informations ?
- Absolument rien ! Que du vent ! ronchonna Bertha, nous sommes sorties dès que Bichon nous a signalé que c’était bon pour Feñch.
- Ils sont partis sans rien me dire, je n’ai même pas eu le temps de les approcher, dit Caleb cachant la vérité des informations qu’il venait d’apprendre.
- Nous devons aller au domicile de la Capitaine Bichon, elle m’a envoyé un texto avec son adresse.
*
Après le départ de Bertha, Cécile et Diane du bureau de Muirhead, une autre femme y fit irrumption sans s’annoncer. Il s’agissait de Claire Perrin cette fois.
- La présidence française s’inquiète de la tournure des choses. J’imagine que vous savez déjà que Feñch vient de s’évader du siège de QuickLook il y a quelques minutes!
- Bien évidemment, je m’attendais à une manœuvre comme celle-là de leur part. Je les ai laissé faire, car c’est le seul moyen d’arriver jusqu’à Miranda.
- Nous nous retrouvons tous seuls dorénavant, il ne reste que l’Europe qui vous soutient. Nos alliés dans ce début de l’Opération Pandore ont tous quitté le navire, et chaque groupe a son propre agenda. D’une part la Chine avec le Japon et l’Australie, de l’autre les Etats-Unis avec la Russie et les pays arabes, avec bien probablement l’adhésion de l’Amérique Latine. Pour empirer les choses, Caradec s’est évadé avec l’aide de votre propre compagne Diane qui travaille maintenant avec le champ mené par les Américains. Mais ça je ne crois pas que je vous l’apprends non plus.
- Oui, oui Madame, vous savez tout à un détail près ! L’Europe et la France en particulier restera derrière moi le temps que je le voudrai. C’est bien moi qui ait les clés de l’Opération Pandore. Et en ce qui concerne ma compagne, je vous suggère de vous mêler de vos affaires et de tenir vos médias à carreaux. Mes relations privées, c’est moi qui les gère.
*
Une demi-heure plus tard, dans le quartier de la Goutte d’Or du 18e arrondissement de Paris, Cécile Letailleur trouvait une place pour se garer. La vue sur la butte Montmartre était splendide en cette fin d’après-midi avec les derniers rayons de lumière frappant la facade du Sacré Coeur. L’aspect vieux jaunâtre que lui donnait cet éclairage rendait l’église tout à fait compatible avec l’état de délabrement du quartier, rempli de rues malfamées et d’épiceries exotiques. Beaucoup trop loin des avenues chics et des grands magasins de haute couture auxquels Bertha et Cécile étaient habituées depuis que la fortune leur avait souri. Elles avaient connu des débuts dans des quartiers similaires lors de leurs arrivées respectives à Paris, alors qu’elles essayaient de se faire un nom, l’une dans le monde de la presse et l’autre dans la loi.
Sans s'attarder sur les charmes exotiques du coin, elles montèrent rapidement vers l’appartement de la policière. Six étages plus haut sans ascenseur, elles frappèrent doucement à la porte de Bichon, plus parce qu’elles étaient à bout de souffle que parce qu’elles auraient voulu faire une arrivée discrète dans cette opération sordide. Une fois passés par la porte, Bertha fut la première à dégainer.
- Vous qui savez tout de cette Opération Pandore ; des rapts, des complots gouvernementaux et compagnie, il est grand temps de nous mettre dans la confidence !
- Avant d’en arriver là, j’aimerais bien savoir si c’est dans ce quartier lugubre que tu tiens ta garçonnière ou pire encore si c’est elle ton amante ! interrompit Cécile Caradec, plus subitement intéressée par sa relation conjugale que par le reste de la situation.
- Mais de quel droit vous venez m’insulter chez moi ! Ce n’est pas parce que ce n’est pas Versailles que c’est le harem de votre mari ou que je suis sa catin ! répondit exaspérée la Capitaine Bichon, si vous trouvez que j’en ai pas fait assez, dégagez de chez moi et débrouillez-vous tous seuls pour régler vos histoires de famille.
- Vous en connaissez beaucoup plus que nous de cette histoire, et nous sommes tout de même sa famille ! se plaignit Bertha d’un ton plus mesuré que celui de Cécile.
- C’est vous qui avez abandonné votre fille pour aller vous réfugier au Brésil parce que son état vous “faisait trop mal” ! Lacha Bichon. Et vous Cécile, tout ceci est en partie de votre responsabilité. Votre fille Stacey serait toujours avec vous et pas enceinte de Aiden Fuller et kidnappée à l’autre bout du monde à l’heure qu’il est.
Les deux femmes étaient scotchées devant le sermon et le flot d’informations lancés par la policière en quelques phrases. Tout autant que Feñch, qui essayait de se faire tout petit, pour éviter ainsi d’aborder ces sujets le plus longtemps possible, comme à son habitude. Mais grâce à Bichon et pour une fois dans cette famille où les non-dits étaient devenus la règle, les mots justes et sanglants avaient été trouvés par Bichon pour faire sortir les vérités qui faisaient mal. Elle avait remis Bertha et Cécile à leurs places mieux que quiconque. Il n’empêche, cette partie de sa vérité familiale venait d’éclater au grand jour et il était le temps pour l’homme de parler.
- Tu vas rester muet le reste de la soirée, Feñch ? Stacey Brookhart, ma fille ? dit Cécile encore glacée par la nouvelle.
- Oui Cécile, notre fille, celle que vous aviez tenu à laisser à l’adoption lorsque nous habitions en Nouvelle-Zélande. Vous étiez si jeune, et vous n’aviez pas eu la “force” de garder, car vous souhaitez encore “construire votre carrière”. Ironie du sort, vous êtes devenue infertile par la suite et notre destin en tant que parents était scellé.
- Vous avez gardé le contact depuis que nous l’avions faite adopter ?
- Pas au tout début. Mais le centre d’adoption néo-zélandais m’a contacté alors qu’elle était toute petite, pour faire une recherche génétique. Elle était sourde et avait beaucoup de problèmes de santé, au point que le centre d’adoptions voulait que fassions tous deux des analyses, afin de déceler d'éventuelles anomalies héréditaires.
- Je n’ai jamais été testée !
- Pas pour ça, mais t’es une hypocondriaque ! j’ai profité d’une de tes visites au laboratoire d’analyses médicales pour subtiliser un échantillon de ton sang. Tu y vas tellement souvent, à force de vouloir vérifier si tu n’as pas Ebola, Zika, ou les milles bactéries ou virus qui circulent dans le monde à tous les coins de rue.
- Pourquoi tu ne m’as jamais raconté pour elle et pourquoi ne pas m’avoir demandé de faire les examens directement ?
- D’une part tu ne voulais pas d’elle et d’autre part je me sentais coupable depuis le jour où j’ai intercédé auprès d’Ian pour qu’elle lui serve de cobaye pour son traitement par nano-puces. Si Stacey et Miranda n’avaient jamais été greffées de cette saloperie, peut-être que l’opération Pandore n’aurait jamais été déclenchée, ou du moins elle aurait été retardée.
- Et ce Aiden Fuller, qui l’a mise enceinte ? C’est le même célèbre influenceur américain que Kevin avait opéré lors de son acrobatie en moto mortelle au Bois de Boulogne ? Ce qui rendit mon frère célébrissime aux yeux de la France entière ?
- Oui, le même, et aussi le même que l’a mise enceinte pendant qu’ils faisaient l’émission Californian Governor Academy. Le même qui abandonna la compétition, pris par des crises d’angoisse au milieu de l’émission, à partir du moment où Stacey lui a fait part de ses suspicions de grossesse.
Le silence s’installa dans la pièce après de telles révélations si ravageantes. Le boomerang lancé sur Bichon par Cécile, mais aussi Bertha dans une certaine mesure, leur était douloureusement revenu pour les assommer toutes les deux, les mettant par terre. Cécile se jeta en pleurant dans les bras de Feñch en lui demandant pardon, ainsi qu’à la policière pour l’avoir traité de tous les noms.
Bertha, qui avait suivi les déclarations en silence depuis que Bichon et Feñch avaient pris la parole, était aussi très impactée, tant ces informations concernaient non seulement Feñch et Cécile, mais aussi Miranda et surtout Caleb. Elle prit son courage à deux mains et posa la question qui lui brûlait les lèvres.
- Caleb, tu avais cultivé une relation très spéciale, disons limite fraternelle avec Aiden Fuller depuis qu’il a été sauvé de la mort par ton père. Savais-tu quelque chose sur cet imbroglio ?
- Je n’ai presque plus de contact avec lui depuis qu’il est rentré en Californie. Puis nous sommes aussi partis au Brésil l’année dernière. Nous n’échangeons pratiquement plus depuis tout ça. Notre relation s’est vraiment refroidie après que nous ayons pris chacun notre chemin en quittant la France.
Le téléphone de Caleb amis une sonnerie de texto à ce moment-là. Le message venait de Miranda : “Rejoins-moi sur la place du Trocadéro demain à 20h. Je viendrai te retrouver dans la foule. Profitez avec Maman pour demander tous les renseignements sur l’Opération Pandore à oncle Feñch. Il risque de devoir reprendre la fuite à nouveau très vite”.
- Quelque chose dont nous devrions avoir connaissance dans ton message ? demanda Bertha inquiète à Caleb.
- Non Maman, que de la pub. Je crois que la nuit va être longue ici, le temps qu’oncle Feñch nous explique les méandres de l’Opération Pandore.
***
“... I'm no prophet or messiah
Should go looking somewhere higher
I'm only human after all
Don't put your blame on me …”
[“... Je n'ai rien d'un prophète, ou d'un messie
Vous devriez chercher quelque part plus haut
Je ne suis qu'un être humain après tout
Ne me rejetez pas votre faute…”]
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