Chapitre 17 : Latinoamérica
“... Soy lo que sostiene mi bandera
La espina dorsal del planeta es mi cordillera
Soy lo que me enseñó mi padre
El que no quiere a su patria, no quiere a su madre
Soy América Latina
Un pueblo sin piernas, pero que camina, ¡Oye! …”
[“... Je suis ce qui soutient mon drapeau
L'épine dorsale de la planète, c'est ma cordillère
Je suis ce que m'a appris mon père
Celui qui n'aime pas sa patrie, n'aime pas sa mère
Je suis l'Amérique Latine, un peuple sans pieds mais marchant. Eh ! …”]
***
1er Août 2022, station navale de Guantanamo, Cuba
HISTORIQUE ! INSOLITE ! EMOUVANT ! LA FIN D’UNE ÉPOQUE ! titraient à l'unisson les premières pages du New York Times, du Washington Post, du Corriere della Sera italien ou encore du Kommersant de Moscou. L’un des plus grands médias du globe allait néanmoins à contre-courant, et non des moindres. Le Quotidien du Peuple, puissante voix officielle du Comité central du Parti comuniste chinois affichait en Une : “VIVE LA DÉMOCRATIE" d’un ton visiblement ironique. Ou encore le journal El Nacional de Venezuela, tombé récemment dans les mains du régime local, qui réclamait dans sa Une : “INVASIÓN ! , SIN PENA NI GLORIA” - “INVASION ! , SANS DOULEUR NI GLOIRE” - en guise de plainte stérile lancée contre “l’empire américain”
La raison symbolique du bouleversement planétaire du jour ? Le retour aux mains de Cuba de la station navale de Guantanamo. Un superficie de 117,6 kilomètres carrés de territoire cubain, louée de force à perpétuité depuis 1903 aux Etats-Unis pour un loyer mensuel symbolique de 4085 Dollars US. La petite enclave caribéenne était devenue encore plus célèbre depuis qu’elle accueillait un centre de détention militaire, à partir de 2002, pour y faire séjourner les prisonniers que plus aucun autre territoire ne voulait accueillir.
La raison officielle de l’émoi ? L’annexion de l’île en tant que 51e État américain.
La condition économique calamiteuse mais prévisible de la petite île après des décennies d’embargo, de coups d’états et des crises mondiales, l’avait fait sombrer dans la faillite totale et la révolte populaire. Les États-Unis d’Amérique, en tant que première puissance du continent avait proposé d’abord son aide humanitaire, et plus tard avec l’assentiment de l’Organisation des Nations Unies, son annexion à la fédération nord-américaine en tant que nouvel État à part entière.
Le drapeau américain était désormais orné d’une flamboyante 51e étoile - l'État de Porto Rico n’ayant jamais eu cet honneur en tant que simple status de Commonwealth.
Le contexte géopolitique qui avait tout impulsé, s’était mis en place depuis fin 2021, alors que les Etats-Unis s’étaient rapprochés en secret de la Russie, laissant de côté les querelles centenaires des deux meilleurs frères ennemis du globe. Ceci dans le but de mieux se battre contre la Chine et l’Europe pour l'hégémonie sur le monde digital.
En réalité, la guerre froide qui opposait les Américains et les Russes, avait laissé place à une “guerre tiède”. Plus aucun risque possible de querelles assassines à l’aide d’ogives nucléaires. En revanche, dans le numérique, tous les coups étaient encore permis. Les hackers russes étant devenus depuis plusieurs années de redoutables meneurs de batailles. Et la Silicon Valley opérait un virage stratégique pour son modèle économique, afin de devenir une sorte de Comité pour la Sécurité de l'État russe (KGB) à l’américaine, à la vue de tous.
Le cadre légal qui avait entériné ces changements était le traité international de New Delhi, signé et ratifié par tous les pays du globe le 31 décembre 2021. Un serpent innommable possédant de nombreux volets bien hétérogènes et invraisemblables.
Notamment...
En premier, la nationalisation de tous les réseaux sociaux et autres géants du numérique international, qui “menaçaient” la stabilité politique mondiale. Entre autres, le groupe Facebook était passé sous contrôle américain. Weibo, revenait officiellement sous le contrôle du gouvernement chinois de plein droit ; Google et Netflix démembrés et distribués au prorata de la population de chaque pays signataire ; Tik Tok était à flot pour encore quelques mois, car il devait faire partie d’un nouveau méga-réseau social qui verrait le jour en France mi-2022 - de celui-ci on ne connaissait à ce stade que son nom : QuickLook. Mis à part ce dernier, plus aucun autre réseau social mondial ni plateforme de contenus numériques ne devait rester en des mains privées.
D’autres mesures fort symboliques faisaient partie de l’accord. La disparition de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord - OTAN - avait aussi été actée, le cartel de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole - OPEP - s’était même ajouté un volet destiné à la production d’énergies renouvelables sous l’impulsion des pays arabes et de la Russie, avec l’objectif d’éliminer toute émission de gaz à effets de serre à l’horizon 2100.
L’élimination de la faim du monde, avec comme objectif l’année 2050. Ce volet était non contraignant pour la conclusion du reste du traité. Peu de pays l’avaient donc signé.
*
Le 31 juillet 2022, la veille de l’annexion de Cuba par les États-Unis, Bertha Gimmell arrivait à Guantanamo pour couvrir cle moment historique. Comme d’habitude, Caleb l’accompagnait. Son déploiement stratégique au Brésil début 2022 pendant la crise qui conduisit au pouvoir l’Impératrice Flavia de Orléans e Bragança - lui avait donné un aura de premier plan comme grand reporter du New York Times. Si seulement les thématiques politiques avaient été un sujet qui intéressait les masses, Bertha aurait largement mérité depuis longtemps le rang de plus grande influenceuse sur les réseaux sociaux. Ses contributions éditoriales captivaient les connaisseurs qui cherchaient à avoir un œil avisé sur les jeux de pouvoir planétaires, un lectorat somme toute assez restreint. La jeunesse ne s’intéressait plus du tout à ces thématiques depuis quelques années, mise à part lors des crises majeures. Dans tous les cas, ça c’était avant. Car après le traité de New Delhi, chaque gouvernement devrait décider plus ou moins démocratiquement du devenir des réseaux sociaux.
Pour l’occasion historique, un gigantesque concert avait été organisé au milieu du Camp de Guantanamo, qui avait officiellement fermé ses portes quelques semaines auparavant. Le concert avait pour but de fêter "l'américanité" et la solidarité à travers le nouveau continent et son ouverture au capitalisme mondial. Le jour de l'annexion, le 1er août, la présidente des États Unis d’Amérique, accompagnée de divers chefs d'État du monde, viendraient sur l'île pour la cérémonie officielle d’annexion.
Mais le 31 juillet, la crème de la scène musicale mondiale participait à l’événement. L’un des plus aimés des locaux était étrangement le sud-coréen Cheong Bae, ancienne vedette de la K-pop qui avait fait un malheur auprès de la population cubaine avec son tube dansant “Liberty Animal” sorti en 2017.
Bae arriva accompagné de sa jeune épouse, Maombi Niombella et de son beau-père Glodi. L’asiatique profitait de ces derniers moments éphémères de gloire, qu’il n’avait plus vécu depuis que son album l’avait rendu célèbre autour du monde.
Cuba “aimait ces vieilleries”. Cette île charmante avait un style particulier aux yeux des étrangers. Un endroit où le temps semblait figé depuis les années 50, aux rues bordées de constructions décrépies, pleines de voitures de collection de marques états-uniennes à tous les coins de rue. Les salaires étaient eux aussi restés au niveau des années 50. Les locaux n’avaient déjà pas assez d’argent pour s’acheter plus que quelques centaines de grammes de viande par mois. Alors changer de vêtements chaque année en fonction des saisons ou encore s’offrir une voiture moderne, relevait d’une réalité parallèle pour eux.
Aux yeux du reste du monde, Bae n’était plus chanteur de K-pop. Il restait célèbre en raison de son mariage avec l’influenceuse la plus aimée des terriens, Maombi Niombella. Mais ici à Cuba, ce pays qui aimait encore les vieilles telenovelas latinoaméricaines des années 80, Bae était encore le roi du swing.
Les vedettes nord-américaines invitées pour l’occasion, celles qui trônaient dans le Top 10 des rankings mondiaux, et qui engrangeaient des millions à chaque montée sur scène, étaient boudées en cette journée spéciale. Tandis que l’asiatique focalisait toutes les attentions.
Après son apparition sur scène, tous les locaux se précipitaient vers Bae, pour le prendre en photo. Dans un certain sens, Bae motivait plus les cubains que leur nouvelle nationalité.
Derrière les projecteurs et les paillettes, Diane Letailleur cherchait à se frayer un chemin vers Bae, non pour un autographe, mais pour un sujet beaucoup plus critique. Toute la logistique de la cérémonie ayant été accordée à QuickLook, elle put l’approcher rapidement, à un moment où il était avec son beau-père Glodi.
- Monsieur Cheong, je suis là pour m’assurer que vous êtes encore à bord pour l’Opération Pandore, dit Diane en entrant dans sa loge sans frapper ni se présenter au préalable. Votre beau-père a servi d’intermédiaire des Russes. Mais vos doutes sur l’Opération Pandore sont arrivés jusqu’à nos oreilles. Je voudrais être sûre à 100 % que vous n’allez pas devenir le maillon faible de l’opération.
- Pourquoi donc ? Parce que j'ai l'air d’un neuneu écervelé ? répondit Bae sans ambages.
- Non, parce que nous allons mettre votre vie et celle de votre femme en péril, et que vous devrez vous assurer que le télégraphe n’émettra aucun signal. Il s’agira d’un symbole d’espoir pour les autres kidnappées, mais rien de plus. Et vous allez vous assurer que l’espoir reste intact sur cette île. Vous êtes chargés de leurs faire garder le sourire.
- Autrement dit, mon rôle est d’être le clown de service. Mais en même temps, je dois accomplir ce que les Russes me demandent de faire !
- Je ne l’aurais jamais aussi bien dit ! Mais souvenez-vous, les Américains comme QuickLook, avons les moyens de toujours sortir par le haut. Pas les Russes, ni vous.
- Je sais, si je ne vous aide pas, Maombi meurt à cause de Muirhead et Miranda. Si je vous aide mais que je ne respecte pas les instructions au pied de la lettre, ma femme risque quand même sa peau. Alors le résultat de l’équation est simple et à sens unique, je dois vous aider et être à la hauteur !
- C’est beaucoup plus difficile que vous pouvez l’imaginer mon fils, intervint Glod. Vous savez que je n’aurais jamais participé à cette opération si elle n’était pas la seule issue pour ma fille et pour le monde.
À ce moment-là, Maombi pénétra dans la loge, alors qu’il était encore possible de lire le désespoir sur le visage de Bae. Maombi le remarqua.
- Tout va bien Bae ? Qui est cette femme ?
- C’est une responsable de QuickLook, elle vient de m’expliquer que je ne remonterai pas sur scène ce soir.
- Rohh ! Mais les cubains ne veulent que toi, même Camila Cabello qui est cubaine se fait siffler dehors!
- Madame Niombella n’est-ce pas ? Le concert continuera plus tard dans la soirée. Nous devons passer à un moment tout aussi attendu. Votre apparition suivie de la présentation officielle sur la scène des candidats de l’émission Californian Governor Academy. Il faut fêter la démocratie retrouvée dans l’île. Il faut les faire voyager avec vos robes.
- Mais vous avez vu comment ils sont habillés ? Et le salaire qu’ils gagnent ici ? Il leur faut des années de travail pour s’acheter l’une de mes créations avec les trente dollars par mois qu’ils empochent comme salaire !
- Vous savez bien que cela va changer très vite à partir de demain, mais l’heure n’est plus aux considérations philanthropiques ! Et après tout, vous voulez vos milliards de followers sur QuickLook et votre cérémonie à Dubaï ou pas ?
- Oui madame, sauf que …
- Sauf que rien du tout ma cocotte ! Il me semble que tout a été calé avec votre manager, votre père ici présent et les équipes de QuickLook, pour que votre compteur arrive au milliard. Cela ne va pas se faire comme par magie, ça se mérite. Et si ce n’est pas vous, ce sera une autre célébrité qui décrochera le gros lot.
Maombi se sentait pousser des ailes, elle qui rêvait depuis des années de devenir la plus grande influenceuse du monde. Mais ses motivations étaient bien plus honorables. Elle cherchait à tirer vers le haut son continent, donner de l’espoir aux petites filles, aider les associations des maladies rares qu’elle supportait sans faille. Avec assurance elle tint tête à cette femme debout devant elle avec son insupportable raideur.
- C’est QuickLook qui m’a construite, j’imagine que vous en avez pour votre argent, non ? Votre investissement doit porter ses fruits et cela va avec mon milliard de followers !
- Ne soyez pas si sûre de vous ma chère, personne n’est irremplaçable. Par exemple, parmi celles qui sont dehors, il y en a plusieurs qui vous talonnent de près. Regardez la petite Stacey Brookhart, toute jeune et mignonnette, et son petit copain Aiden Fuller. Ils forment dorénavant un couple si charmant, les numéro deux et trois sur le podium des personnalités les plus suivis sur les réseaux sociaux. Pensez-vous que c’est l’amour qui les anime ? Aiden est avec elle uniquement pour récupérer sa célébrité perdue suite à son épisode en France. Le résultat est là aujourd’hui, et qui sait, il sera bientôt Gouverneur de Californie aussi. Réfléchissez-y !
*
Pendant que Bertha faisait des interviews dans tous les coins de la Baie de Guantanamo, Caleb déambulait avec son pass VIP dans la zone réservée à la presse, aux invités d’honneurs et aux stars de la journée. Il aperçut de loin sa tante Diane Letailleur qu’il essaya de rattraper, quand un garçon sorti de nulle part lui barra la route.
- Hé mon bout de chou ! dit Aiden Fuller à Caleb.
- Ton “bout de chou” ? Tu as déjà largué ta chérie Stacey ?
- Pas encore, après la fin de l’émission. Soit je devient Gouverneur de Californie, soit je deviens numéro un sur les réseaux sociaux.
- T’as tout bien planifié non ? Et moi dans tout ça ? Je ne t’attendrai pas indéfiniment.
- Pour l’instant tu fais le tour du monde avec Maman non ? Tu n’as que quinze ans, si ce n’est pas moi, tu en trouveras un autre.
- Mais c’est toi que je veux.
- Si on en est là, c’est à cause de toi. C’est toi qui avais des scrupules sur notre relation.
- Pas de notre relation, je voulais donner des petits-enfants à mes parents. Miranda ne pourra plus !
- Des excuses … même avec moi, des moyens existaient.
- On n’en est plus là.
- Je dois y aller, on nous attend sur scène. Je te rappelle mon chou ! dit Aiden avant d’estampiller un baiser sur les lèvres de Caleb de toutes ses forces.
A quelques pas, Stacey avait assisté, choquée, la scène finale d’Aiden et Caleb.
*
Glodi venait à peine de laisser Maombi et Bae dans la loge, que son téléphone se mit à vibrer.
- Bonjour Glodi, tout va bien ? Tout va bien avec Bae ? dit la voix de Feñch.
- Oui, votre bull-dog de belle-sœur est redoutable, elle vient même de s’écharper avec Maombi.
- Mais elle n’est pas là pour parler avec Maombi !
- Elle est arrivée alors que Diane terminait de parler avec Bae. C’était un imprévu, mais elle s’est très bien débrouillée. Maombi ne se doute de rien.
- Et pour Mark Lopez ? C’est bon aussi ?
- Pas encore, répondit Glodi, stressé.
- Comment ? C’est pour ça que vous êtes là. Il faut faire vite.
- Je me demerde ! Il est encore en train de s’occuper de son père. Le pauvre vieux vient d’être libéré de Guantanamo. Mark fera ce que l’on lui demandera de faire pour l’Opération Pandore. C’était le deal !
- C’est notre joker ultime et l’arme secrète des États-Unis. Si nous le poussons à bout, il risque de faire des bêtises. Essayez d’arrondir les angles. Les Américains ne font pas dans les dentelles ! Tout ce qu'ils veulent c’est leur continent, et l’Opération Pandore sera leur moyen d’y arriver. Et c’est un latino cubain qui les aidera à l’accomplir ...
***
“... Tú no puedes comprar las nubes
Tú no puedes comprar los colores
Tú no puedes comprar mi alegría
Tú no puedes comprar mis dolores …”
[“... Tu ne peux pas acheter les nuages
Tu ne peux pas acheter les couleurs
Tu ne peux pas acheter ma joie
Tu ne peux pas acheter mes douleurs …”]
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