3 : Reste…

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Port d’Oran (Algérie)
samedi 6 janvier 1962

— Salomé ! Salomé !!

En larmes derrière le portail métallique qui me sépare de toi, je hurle ton prénom. Je suis arrivé trop tard. C’est pas possible que tu t’en ailles comme ça, sans moi. Que tu m’abandonnes.

— Toi aussi tu partiras bientôt, Max. C’est juste une question de semaines…

Un court instant, tu as réussi à échapper à la vigilance de ton père et pu accourir vers moi pour un ultime au revoir. Accrocher tes doigts à la grille pour tutoyer les miens.

— Samuel n’a pas pu venir ?
— Non…

Tes boucles rousses, que le vent d’hiver malmène, encadrent ton si joli visage qu’habille la splendeur de ton regard vert d’eau si espiègle. Mais aujourd’hui, et malgré la clémence de la météo, tes émeraudes s’embrument à l’idée de devoir tourner la page de notre enfance presque insouciante. La guerre d’indépendance fait pourtant rage aux alentours, c’est bien pour ça que tu t’en vas, non ?

Hélas, ton père parvient à te rejoindre en boitillant, à bout de souffle. Malgré nous, malgré toi…

— Allez, viens Salomé, te dit-il le plus posément possible, le bateau ne va pas nous attendre… Je sais que c’est difficile de laisser ses amis, mais on ne peut pas rester…

A l’évidence, il lutte et évite de poser ses yeux sur moi pour ne pas avoir à affronter ses erreurs, ses regrets. Il se contente simplement de prendre fermement ta main dans la sienne pour t’entraîner avec lui et t’éloigner de moi.

— Salomé ! Salomé !!..

Mais toi, tu résistes, tu n’en finis pas de te retourner dans ta robe jaune.

— Je t’écrirai dès qu’on sera rentrés sur Paris, t’époumones-tu, je te donnerai mon adresse, je te promets. Je vous écrirai et on se reverra comme avant…

Une foule compacte te happe et t’emporte avec elle sur le « Ville d’Alger ».

— Embrasse Samuel pour moi, me supplies-tu une dernière fois avant de disparaître complètement de ma vue qui se brouille. Embrasse-le fort et dis-lui…

La fin de ta phrase s’évanouit dans cet ignoble brouhaha qui me confisque ta voix, me révulse. Ta tristesse s’attarde encore à quai et s’échoue sur ma figure sans que je m’en rende compte. J’essaie encore de t’apercevoir une dernière fois au milieu de tous ces gens ; j’essaie mais tu n’es plus là.

Je ne t’ai jamais avoué mes sentiments, Salomé, ni combien je t’aime. A douze ans, comment aurais-je pu oser ? Du haut de tes quatorze printemps, tu m’impressionnais trop. Et puis, j’avais trop peur de te perdre. De perdre ton amitié, ton estime. Sauf que c’était pour lui que tu avais le béguin, pour Samuel. Pour mon grand frère, pas pour moi… Et je l’ai détesté pour ça.

Et puis, tu m’as quitté, tu as quitté Oran… Je resterai longtemps agrippé à cette grille qui me retient prisonnier sur cette terre que tu désertes si soudainement, le regard figé sur l’horizon. Ce soir-là, je ne dînai pas, Samuel non plus. Nous ne parlerons plus jamais de toi ensemble. A chacun sa douleur, sa peine. Ma façon à moi de la gérer, c’était la mélancolie, le silence. Et la sienne, c’était l’oubli…

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