Venise, la ville des amoureux, signifie pour moi ville de rupture.

J’attendais sur le quai de la gare de Milan, exténuée, moulue, fourbue par les sept heures de train depuis Paris. J’évitais de croiser mon reflet sur les vitres tant je redoutais de voir ma tête chiffonnée. Je surveillais l’arrivée de ma correspondance qui m’amènerait à Venise, terminus de mon voyage.

Je revenais sur les lieux du crime pour noyer le passé dans le grand canal.

Au moment où le sifflet du train a retenti, je me suis m’écroulée sur ma valise. Des murmures de protestation se sont élevés dans mon dos. Un homme aussi large que haut, oublieux des règles de civilité s’était posté au ras du quai.

Aussitôt installée dans mon wagon, j’ai plongée dans la lecture d’un roman intitulé « Jumelle de glace ». Une ombre sur les pages du livre m’a dérangée. Je m’efforçais de vaincre ma curiosité en gardant le regard rivé au texte. Mais je n’ai pu contenir un haut-le-cœur lorsque des effluves de banane ont agressé mes narines. Mes yeux remplis de larmes ont découvert une bouche gluante qui m’offrait un rictus.

L’homme du quai se trémoussait afin de caler son postérieur contre le dossier du siège face à moi. Il s’installait. Il a marmonné quelque chose tout en mastiquant. Ma montre m’a indiqué sans concession que le supplice durerait près de deux heures.

Dans un élan, j’ai attrapé ma valise d’une main et j’ai changé de wagon.