Chapitre 2-1 - 1888

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Sur la crête d’une dune, le vent sauvage malmenait une touffe d’herbe. Non. La chevelure filasse de Marie dansait dans la brise salée tandis que son esprit analysait les signes de la nature. La courbure des oyats, le déplacement des grains de sable, la forme des rides sur le versant au vent...

Son corps maigre se fondait dans le sable comme un lézard des dunes. La peau de ses bras et de ses jambes, zébrées d’écorchures, avaient pris la teinte sombre du bois mort. « Elle est dure au mal », murmurait sa grand-mère avec un mélange de fierté et d’inquiétude dans la voix. En effet, le corps de Marie ne ressentait ni la brûlure du feu, ni la morsure du froid. De ses doigts, elle éteignait les flammes des bougies et retirait les marrons brûlants du feu. Elle parcourait les landes pieds nus, sans manteau face au vent glacé de l’hiver. Personne ne savait que Marie était atteinte d’un syndrome qui l’empêchait de ressentir la douleur. Un cadeau empoisonné de la nature.

Les résiniers de sa communauté disaient entre eux que cette gamine comprenait tout trop vite. Elle voyait des liens invisibles entre les choses et son esprit semblait toujours vagabonder dans des sphères que les autres ne pouvaient qu’effleurer.

Ses yeux, d’un bleu aussi clair que le ciel des Landes au printemps, balayaient l’horizon avec une vivacité féline presque surnaturelle, captant et analysant des dizaines de détails. Tapie comme un prédateur, elle scrutait la scène qui se déroulait en contre-bas, là où la plage s’étirait comme un croissant de lune, son cerveau établissait déjà des connexions entre les traces dans le sable, et la position probable de trois personnes.

La mer avait rejeté sur le rivage l’épave d’un deux mâts.

Hier, Marie avait mémorisé chaque détail de sa structure : la brigantine déchirée qui pendait encore à un mât et le grément enchevêtré qui s’étalait sur le sable. Elle remarqua immédiatement qu’une drisse de la grand-voile avait été déroulée de sa poulie, alors qu’elle était encore enroulée la veille. Ce n’était pas le vent qui avait fait cela. Soudain, un mouvement. En un éclair, Marie s’enfouit dans le sable avec l’agilité d’un crabe.

Une silhouette sortit de derrière la coque éventrée. Achélas, le chef des Terribles, dont le seul nom suffisait à faire trembler les habitant du littoral. Sa bande d’anciens résiniers hantait la côte, semait la terreur depuis des années. Le grand frère de Marie parlait de lui comme d’un être maléfique sorti des entrailles de la terre, mais Marie, elle, ne frissonnait pas, elle connaissait Achélas mieux que lui-même.

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