Chapitre 2-2 - 1888
Achélas s’immobilisa, le regard aussi perçant qu’un rapace survolant une proie. Ses mains calleuses reposaient sur le manche d’un long couteau glissé dans sa ceinture usée. Chaque fibre de son corps semblait tendue comme un arc prêt à libérer sa flêche.
Il se pencha soudain. Ses doigts noueux fouillèrent le sable humide avec une précision brutale. Ill en extirpa un objet que Marie ne pouvait distinguer. Une pièce de gréement ? ou quelque chose qui lui avait échappé la veille ? Ses pensées filaient à toute allure, cherchant un lien.
Achélas se redressa, ses larges épaules projetaient une ombre menaçante dans la lumière de fin de journée. Un sifflement aigu fendit l’air.
Deux silhouettes apparurent de derrière les débris de l’épave. L’un, massif, portait un vieux fusil à l’épaule. C’était Maugène, un fainéant notoire à la réputation de brute lâche. L’autre, plus frêle, avançait d’un pas mal assuré. Sous un béret trop large, le visage juvénile d’Isidore se dévoila. Ses traits tendus trahissaient une peur mal contenue.
Le cœur de Marie se serra. Isidore. Elle se força à calmer sa respiration. Autrefois, il avait été son meilleur ami. Depuis qu’il avait rejoint la bande des Terribles, elle ne lui adressait plus la parole. « Traître », murmura-t-elle. Les regards furtifs d’Isidore alternaient entre le sable et Achélas, comme s’il redoutait l’explosion de violence retenue dans les gestes lents du chef.
Sous sa couche de sable, Marie sentit son cœur accélérer. Ils cherchaient quelque chose. Elle le devinait dans la manière qu’avait Achélas de scruter chaque grain de sable. Leurs regards finiraient par se poser sur les dunes et rien, jamais, n’échappait à l’œil d’un homme comme lui. Avait-elle trop bien effacé ses traces ? Marie fronça les sourcils.
Un cri perça l’air. Isidore s’était penché vers une cavité dans la coque éventrée du navire. Lorsqu’il se redressa, il tenait une boîte en bois noir. Ses ferrures de métal terni scintillaient sous les rayons obliques du soir.
Achélas s’en empara avec une avidité féroce. Marie serra les dents. Cette boîte... comment avait-elle pu la négliger la veille ? Trop absorbée par le sac de pièces d’or qu’elle avait trouvé la veille sous les décombres, elle n’avait pas vu ce détail. Erreur. Une erreur qui pourrait lui coûter cher.
Le chef, sans un mot, abattit brutalement sa main sur le visage d’Isidore. Le puissant revers fit vaciller le jeune homme qui s’effondra dans le sable ; son béret tomba à ses pieds. Un filet de sang perla à la commissure de ses lèvres, traçant une ligne rouge sur sa peau pâle.
Le vent balaya soudain la dune, charriant une odeur âcre et familière. De la fumée. Là-bas, dans le lointain, un feu venait d’être allumé. Les résiniers terminaient leur labeur.
Marie prit une profonde inspiration puis d’un mouvement fluide, elle recula. Gestes calculés, précis et silencieux, aussi furtifs qu’une ombre sur la dune.
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