Partie II
Elle arriva dans la suite parentale, et se dirigea vers la cheminée pour raviver les braises. À proximité, il y faisait doux, même si l’air sentait légèrement la suie. Elle glissa une bûche dans l’âtre, et lâcha soudainement un petit cri. Dans son mouvement, le livre offert par son époux avait manqué de peu de lui échapper des mains. Bien heureusement, elle avait quelques réflexes, et elle parvint à rattraper l’ouvrage à la couverture légèrement glissante avant que ses pages ne soient roussies par les flammes.
— Quelle idiote !
La dame prit une grande inspiration, et posa le volume sur sa coiffeuse, avant de tisonner une dernière fois les braises, et se protéger du froid pour la nuit. Elle se débarrassa de sa robe blanche brodée de fleurs pour une tenue de nuit plus confortable. Elle s’assit devant son miroir pour brosser ses cheveux blonds qui, sauvages, formaient déjà des nœuds. Anna-Élisa était une femme dans la trentaine. Elle avait la peau très claire, ce qui avait longtemps été un désagrément à cause du climat et du soleil ardent de la capitale qui brûlaient sans cesse son épiderme. Elle était svelte, mais plutôt petite, obligeant tous les tailleurs qu’elle côtoyait à raccourcir ses jupes. Son visage était plus anguleux que rond, mais néanmoins empreint d’une certaine douceur de par ses pommettes hautes. Des sourcils arqués surplombaient ses yeux d’un brun perçant, et une fine cicatrice marquait sa lèvre supérieure, souvenir d’une chute à cheval dans sa jeunesse.
Tandis qu’elle s’affairait sur sa crinière, la dame regarda le livre offert par son époux avec curiosité. Il reposait sur le coin de la table, et elle fut surprise par sa chaleur lorsqu’elle toucha sa couverture. Elle reconnut son cuir de qualité, rugueux mais légèrement glissant sous ses doigts. Sans cesser de dénouer ses cheveux, elle ouvrit le volume, et commença à en lire les premières pages. Si elle ne trouva pas plus de mentions de l’auteur que sur la couverture, le thème des textes lui parla immédiatement. Il s’agissait de poèmes, de chansons qui parlaient d’un monde merveilleux, empli de joie et de douceur. La dame en lut plusieurs à haute voix, les reprenant parfois pour inventer une mélodie qu’elle chantait en murmurant.
Sans prévenir, une quinte de toux monta dans sa gorge, impossible à retenir, et détourna son attention du texte. Lorsqu’elle cessa, la femme aux cheveux blonds se leva. Sa gorge était vraisemblablement sèche, déshydratée par l’alcool qu’elle avait consommé en compagnie de son époux. Elle avait besoin d’un verre d’eau. Elle se leva donc et se dirigea vers la porte de la chambre, ne s’arrêtant sur le chemin que pour jeter un œil au buis qui trônait devant sa fenêtre. Un détail nouveau lui sauta aux yeux. À l’éclat des lunes presque pleines, elle parvint à distinguer sans encombre l’une des branches de l’arbre noircie, dépourvue de feuilles, et visiblement en train de dépérir. Elle espéra que le magnifique végétal n’était pas touché par la maladie.
Anna-Élisa s’éveilla le lendemain, pleine d’énergie, alors que l’aurore débutait à peine. Des rayons de lumière rosés ondulaient entre les rideaux laiteux, soulevés par un léger courant d’air. La dame se leva d’un bond et fit rapidement sa toilette, pour aller saluer son époux qui était déjà levé. Elle eut toutefois un vif moment de recul lorsque l’eau savonneuse lui piqua la main gauche. Elle l’analysa, et constata que la peau humide de son index était coupée en une courte entaille parfaitement droite et assez profonde. Elle s’était blessée avec du papier. Pourtant, elle était étonnée de constater qu’elle n’avait rien senti sur le moment. Elle s’était déjà coupée de cette manière auparavant, et cela s’était toujours accompagné d’une douleur aussi vive que soudaine. En grimaçant, elle termina sa toilette et habilla ses cheveux d’une broche à l’effigie d’un geai, pour retenir une mèche particulièrement récalcitrante ce matin-là. Vêtue d’une robe bleu foncé des plus simples, elle quitta la suite parentale pour partir à la recherche de son aimé.
— Vous auriez vu ça, Algarias ! L’empereur a commencé la reconstruction du Palais de Sablecendre. Il y a bien sûr toute une partie qu’il habite déjà. Et il m’a montré une salle de banquet dont les murs étaient couverts de miroirs, séparés par des colonnes immaculées et des statues antiques.
Falkwyr se tenait par-dessus un petit déjeuner préparé par le majordome, à demi levé du tabouret installé autour de la table de la cuisine, et tournait le dos à l’arche d’entrée. Sa voix couvrait le chant matinal des oiseaux, tandis que ses grands gestes occupaient toute l’attention. Anna-Élisa entra dans la pièce pendant que l’homme décrivait les merveilles de ses voyages, et Algarias, qui lui faisait face, ne remarqua pas tout de suite sa présence. La dame fit quelques pas vers les deux hommes, et la majordome la vit enfin, lui décochant un sourire des plus chaleureux. L’homme à la peau ambrée et à l’épaisse barbe noire lui adressa un léger mouvement de tête en guise de salut, lorsqu’elle posa la main sur l’épaule de son mari qui cessa ses mouvements et se rassit correctement. Il tourna ses yeux bruns vers son aimée.
— Avez-vous bien dormi, Anna ? J’espère ne pas avoir troublé votre sommeil en me levant.
— Pas du tout, j’ai parfaitement bien dormi. J’ai envie de danser !
L’homme posa amoureusement la tête sur le flanc de son épouse, et le majordome se leva pour préparer un petit déjeuner supplémentaire, qui, à n’en pas douter, serait comme toujours divin. Pendant que ce dernier s’affairait, la dame l’interpela.
— J’ai remarqué que le buis dans le jardin avait un problème, Algarias.
L’homme lança un regard interrogateur à Falkwyr, avant de répondre avec un sourire à Anna-Élisa.
— Nous nous en occuperons après votre repas, si vous voulez bien me montrer ce qui vous perturbe, ma dame.
Pains, œufs et confiture de groseille apparurent devant la dame qui s’assit à son tour pour déguster un copieux repas. Celui-ci fut accompagné des histoires de Falkwyr, qui continua de vanter les beautés du palais de leur jeune empereur. Anna-Élisa dégustait un jus de mangue frais et particulièrement savoureux, quand elle interrompit le flot de paroles de son époux par une quinte de toux. Elle avait avalé de travers, mais elle fut agréablement surprise par la réaction de l’homme qui voulut immédiatement lui porter secours. Elle se rappela à cet instant à quel point elle l’aimait.
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