Partie I
Foudres de rage
An 423
7ième Nativis d’Aquendis
Pays de Sincha
Continent de Vardola
I
Il pleuvait des cascades d’eau, les gouttes semblaient être des poings frappant le sol, le déformant jusqu’à faire disparaître le petit chemin forestier que parcourait Valdris depuis déjà plusieurs heures. Son cheval avançait avec difficulté, arrachant ses sabots à la boue alors qu’il s’y enfonçait de plus en plus profondément.
Même les grands arbres de la forêt de Chairne ne pouvaient contenir le flux incessant de la pluie. Les troncs se pliaient sous leurs attaques, si bien que Valdris dut à plusieurs reprises calmer sa monture effrayée par les chutes de branches.
— Courage, nous sommes bientôt arrivés ! cria-t-il pour couvrir le vacarme pluvieux.
De gros nuages gris éclipsaient le soleil de midi, plongeant les bois dans l’obscurité. Il y faisait sombre comme en pleine nuit.
Il tira le col de son blouson pour observer l’oiseau qui se cachait contre son corps, avec précaution pour qu’aucune goutte ne l’atteigne.
— As-tu entendu Aubrun ? Nous serons bientôt à l’abri !
Les grands yeux noirs du protégé se levèrent vers son maître, son bec claqua plusieurs fois en guise de réponse.
La lampe suspendue au harnais éclaira enfin les clôtures et le bruit sec des sabots contre la pierre rassura le cavalier. Un panneau tombé au sol annonçait : Baldavin, village forestier de Chairne.
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Un bris de verre fit se retourner les deux hommes, l’un plus surpris que l’autre. Le bureau du bourgmestre regorgeait de bocaux, statuettes de bois et différents objets intriguant qu’Aubrun allait inspecter, volant entre les étagères en déployant ses ailes rouge flamme avec la précaution semblable à celle d’un enfant turbulent de deux ans.
— Par Pyrrhon ! Merde ! Surveillez votre rougegorge, Valdris ! Il vient de briser un cadeau ! cria Kernold, rouge de colère, en essuyant son front luisant. Mon bureau n’est pas un zoo ! Quelle chaleur … Jetez-le dehors, je vous prie !
— Aubrun restera à l’intérieur, il n’aime pas beaucoup l’eau, parce que c’est une pyronelle, et non un rougegorge. Je ne vous explique pas la différence, bourgmestre ?
— Je ne comprends pas comment il est possible que vous voyagiez avec un animal éthéré, quelle misère…
— Il tient chaud.
— C’est bien l’un des problèmes ! — le vieil homme s’épongea le visage une nouvelle fois, alors que le tissu était déjà trempé — Passons ! Je vous remercie d’avoir fait le déplacement depuis Moltasin si rapidement. Le Duc de Chairne prend visiblement la sécurité de sa région bien plus au sérieux que ce que l’on dit.
— Rassurez-vous, je n’ai fait que cueillir un avis placardé au tableau des primes. Je ne viens pas avec les amitiés du Duc à vous transmettre, j’en suis désolé, répondit-il accompagné d’un large sourire moqueur.
Le bourgmestre bégaya maladroitement quelques syllabes, avant d’être surpris par un éclair qui aveugla les deux hommes, suivi quasi instantanément par un tonnerre assourdissant qui indiquait un point d’impact tout proche de l’endroit où ils se trouvaient.
Valdris courut à l’extérieur pour constater que son cheval n’était plus qu’un gros tas de chair enflammé. Il soupira, et récupéra sa lame indemne au sol, une longue et large seak à la fusée faite de chêne rouge de Rokubris. Sur le flanc de son tranchant, les gravures du phœnix reflétaient les faibles lueurs du jour qui parvenaient à traverser les épais nuages.
— Une fois que je me serais occupé de votre problème, vous pourrez ajouter un cheval et quelques vivres à ma récompense, Kernold.
— Mais… ce n’est pas raisonnable, nous ne roulons pas sur l’or, nous avons difficilement…
— Ne me racontez pas d’histoire, Baldavin est le plus gros village industriel de la région. C’est même la plus grande boiserie de tout Sincha. À moins que la raison de ma présence ne soit pas si importante ? Envoyez donc vos gardes ! répliqua-t-il en fixant sévèrement de ses yeux rouges le bourgmestre démuni.
— Bien ! Il fallut que ce soit ce chasseur avide qui réponde à notre appel… marmonna-t-il en faisant claquer sa porte d’entrée. Valdris, asseyez-vous. — il désignait d’un geste de la main un petit tabouret bancal — Votre cheval a été victime de votre cible. Avez-vous réussi à lire autre chose que le montant de la récompense sur l’avis que vous avez arraché à Moltasin ?
— Vous auriez des problèmes avec un monstre éthéré, j’imagine, de foudre. L’avez-vous aperçu ? répondit-il sans prêter attention à l’insinuation du bourgmestre.
— Non, personne ne l’a vu. C’est la conclusion logique à laquelle nous sommes arrivés avec nos mestres et nos soldats. En Sincha, la saison d’Aquendis est toujours remplie de longues périodes de pluie et d’orage s’étalant sur plusieurs dizaines de jours, et il arrive très fréquemment que la foudre tombe et embrase des arbres ou même des habitations, nous en avons l’habitude et ça ne nous dérange pas plus que ça. Mais depuis le début de la saison, quelque chose a changé. Il semblerait que… — il craqua une allumette afin d’allumer sa pipe, et regarda un moment dans le vide — Il semblerait que le ciel choisisse ses cibles.
— Ses cibles ?
— Vous avez dû le remarquer en arrivant. En temps normal, la météo d’Aquendis ne paralyse pas le village. Pourtant, tout le monde est cloitré chez soi. Tout a commencé par la mort du chasseur local, foudroyé alors qu’il venait de rentrer de la chasse, sous les yeux de sa femme et de ses enfants. Ça a fait beaucoup de bruit parmi les habitants, mais à ce moment on ne pouvait que se morfondre sur le manque de chance du pauvre homme, ou pour les plus superstitieux, à une punition divine.
— Et ensuite ?
— Quelques jours plus tard, c’est le boucher qui mourut alors qu’il vendait ses produits au marché, devant une centaine de villageois. Puis un garde en patrouille aux portes du village, une autre fois c’est la scierie qui a été à moitié ravagée par les flammes, jusqu’à declinis dernier ou l’éleveur de cochons fût lui aussi foudroyé. Nous n’avons retrouvé que son alliance et ses bottes au petit matin dans du purin.
— Quel mort de merde !
— C’est devenu nettement moins drôle lorsque le clerc a commencé à débiter des inepties aux villageois, les avertissant que la terreur de Ferox s’abattait sur nous pour payer le prix de notre arrogance et réparer les dégâts que nous faisions à la forêt. Depuis, de nombreux habitants refusent de travailler, les scieries sont à l’arrêt et l’économie dégringole.
— Je vois. Et pourquoi pensez-vous qu’il s’agit d’un animal éthéré, et pas de la fureur du dieu de la foudre ?
— Voyons, soyez un minimum pragmatique ! C’est toujours de ces saloperies d’éthérés que viennent les problèmes. Les fureurs divines n’existent pas !
Valdris se racla la gorge, faisant comprendre au bourgmestre qu’il venait de l’insulter.
— Enfin, je parlais des animaux corrompus, bien entendus.
— Bien sûr. Je vais commencer par questionner villageois. Est-ce que quelqu’un a vu quelque chose ?
— Vous devriez aller voir la femme du chasseur. Elle… n’est plus vraiment la même depuis la mort de son mari, mais elle pourra certainement vous donner quelques pistes. Il y a également Venemos, le chef de la garde de Baldavin, qui doit avoir recueilli des témoignages.
— Bien. Préparez mon lit et le repas, je reviendrais avant la nuit.
L’éthéré sortit de la maison du bourgmestre et se dirigea vers le centre du village. Malgré les avertissements du vieil homme, il ne prit aucune précaution à l’extérieur.
Si la foudre avait voulu le frapper, il serait déjà mort. Elle en avait eu l’occasion de longues heures durant.
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