2 décembre
Cet hiver est encore plus froid que le précédent. Au petit matin, même la neige est gelée mais Pépé est déjà dehors pour aller couper son bois. Je sors de la maison après une nuit un peu agitée mais bon, je lui avais dit que je viendrais l’aider. Il me demande de lui passer la masse et l’abat sur des dizaines de morceaux de bois, l’un après l’autre.
Au bout d’un moment, il fatigue. Il pose la masse à côté de moi et me demande de prendre le relais. Je lève l’objet et envoie un bon coup sur le bois, mais je ne fais que de petites fissures. Pépé s’est assis juste à côté pour me regarder. Je commence à stresser un peu, alors que je remarque que le bois ne casse pas aussi facilement que lorsque c’est lui qui le fend. C’est alors qu’il se lève et me prend l’objet des mains.
- Regarde.
Il recommence alors à en casser quelques-uns puis se tourne vers moi pour s’assurer que je regarde bien.
- Souviens-toi de l’année dernière. Je t’avais déjà montré. Lorsqu’on coupe du bois, on prend beaucoup d’élan et on laisse la masse s’abattre dessus en y mettant tout son poids. C’est pour ça que le manche est si long.
Sans cet élan, on pourrait y passer des heures. Allez. Elève là au-dessus de ta tête, fais bien attention à toi et surtout, ne laisse pas l’objet te maîtriser : c’est toi qui le maîtrise.
Je recommence. Nouvel échec. Je regarde mon grand-père et il acquiesce. Je continue d’essayer. Il n’est pas évident de contrôler quelque chose sans trop retenir son poids. Je me concentre et j’envoie un nouveau coup.
Et là, je constate avec stupéfaction que le bois s’est entaillé de la même manière que quand pépé le faisait. Pas énormément, pas fluidement, mais j’ai avancé. Mon grand-père me sourit et je pose la masse à côté de la souche.
- Continue, c’est maintenant que tu comprends que tu dois t’exercer.
Alors, sur ses conseils, je continue jusqu’à être à l’aise, jusqu’à réussir à parler en même temps.
- C’est bien comme ça, Pépé ?
- C’est très bien, oui. Surtout que Papa ne doit pas te faire faire ce genre de choses.
- Non, c’est vrai.
- En tout cas, il faut que tu arrives à prendre confiance en toi. Dans la vie comme en coupant du bois, on ne doit ni retenir ses coups, ni les laisser partir de travers. Il faut toujours être précis et efficace. Toi, tu te laisses trop dépasser.
Je vois que mon grand-père se frotte la barbe. Il est toujours à la recherche d’exemples pour bien m’expliquer les choses.
- Tiens, regarde. C’est comme l’année dernière, quand on t’a retrouvé dans la neige au petit matin. Tu aurais pu essayer de trouver un abri ou revenir sur tes pas, mais tu es resté paralysé, allongé dans le froid. C’est un miracle que ta sœur et moi t’ayons retrouvé sain et sauf, ce jour-là. C’est la preuve que tu perds facilement tes moyens quand tu crains de mal faire.
- Je sais bien Pépé, mais comment faire ? Comment toujours réussir à toujours faire le bon choix, comme toi ?
Pépé regarde le ciel et les oiseaux qui y volent. C’est ce qu’il fait quand il ne sait pas comment répondre à un compliment.
- Petit gars, si il y a bien une chose que je peux te dire, c’est qu’on ne sait qu’on a fait le bon choix qu’une fois qu’on l’a fait. J’ai soixante-seize ans et je peux pas te dire mieux. D’ici à ce que t’arrives toi aussi à cet âge, commence à croire que tu n’en fais pas que des mauvais.
- C’est dur.
- Je sais. Mais c’est pour ça que je suis là, Sam. Je veux être là le jour où tu y seras parvenu.
Je range la masse dans l’atelier de mon grand-père. La brouette est pleine à ras-bord de bûches assez fines pour rentrer dans la cheminée.
- Merci pépé.
- C’est normal, je suis ton grand-père ! s’indigne-t-il presque.
J’aimerais ne pas avoir à partir. Cette année, je rentre au collège alors que, depuis toujours, c’étaient Papa et Maman qui me faisaient l’école à la maison. Quand je vois comment Chacha a changée depuis qu’elle y est alors qu’on était si proches, j’avoue que ça me fait peur.
Papa veut qu’on réussisse, mais je sais pas si je pourrais, parce que je sais pas trop ce que ça veut dire, « réussir ». Chacha, elle, elle sait. Et elle le fera, parce qu’elle est trop forte. Moi pas.
A la place, j’aimerais bien rester avec Pépé. Lui, il est toujours gentil avec moi et il m’apprend toujours toutes sortes de choses. Des choses qui servent. Enfin, je crois.
L’après-midi, je retrouve Chacha après qu’elle ait passé la matinée à envoyer des textos. Pépé est parti faire des courses, alors on quitte la propriété par la brèche dans le muret. Je suis pris d’un frisson d’excitation en voyant que ma sœur a emporté avec elle « Comment devenir un héros ? », le livre dans lequel nous relatons toutes nos histoires.
En parcourant ses pages, nous redécouvrons notre première aventure dans laquelle nous avons ramené chez lui le « soldat de l’Est ». Et puis, il y a aussi le récit de notre affrontement contre la Baleine à Bosse, une plume de l’oiseau-montagne, la retranscription des manuscrits des catacombes de la Cité-Finale, un dessin de nos armes : Exodus, ma fronde, et Vengeur, son marteau d’armes…. Et plein d’autres choses.
Alors que nous nous tenons prêts pour une nouvelle aventure, Chacha caresse mes cheveux blonds et me sourit.
- Bon, alors… où est-ce qu’on va, aujourd’hui ?
Je relis toutes nos histoires pour essayer de trouver une faille dans laquelle s’engouffrer, un lieu dont nous aurions entendu parler, un personnage que nous aurions nommé sans l’avoir rencontré. Au bout d’un petit moment, je lève la tête et plonge mon regard dans les yeux de ma sœur.
- Je crois que j’ai une idée.
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