5 décembre
Je sors de la maison à la fraiche. L’air et la rosée du matin me font du bien. Je n’en ai pas assez quand je suis en ville. Sans même que pépé ne me le demande, je vais couper du bois pour lui rendre service. Peut-être aussi pour me sentir un peu mieux : ça devient difficile, ces derniers temps.
J’ai beau m’être levé tôt, Chacha est déjà partie se promener avec Allan. Sans moi. D’ailleurs, je ne l’appelle plus Chacha que dans mes écrits, elle est devenue réticente à ce que je lui donne de petits surnoms.
Je m’en fiche, maintenant. Elle fait bien ce qu’elle veut. Moi, de mon côté, j’ai bien mieux à faire. Déjà, Pépé m’a dit qu’il me montrerait son bureau. Celui où il a écrit tous ses livres depuis qu’il s’est installé avec Mémé. D’ailleurs, si j’écris, moi aussi, c’est parce que je veux faire comme lui.
C’est comme ça que je « réussirais », je crois. J’écrirais des histoires, et elles seront bien meilleures que toutes celles qu’on a pu inventer avec Chacha. Si je n’y arrive pas, je deviendrais plutôt un héros. Je rendrais justice pour de vrai. Je sais pas trop ce qu’il faut faire pour ça. Juge, peut-être ? Policier ?
J’empile tout le bois en une heure, peut-être un peu plus. Je me suis bien amélioré, à ce niveau-là. Super, je vais pouvoir aller passer un peu de temps avec Pépé.
J’essuie la sueur sur mon front avec une serviette et je rentre dans la maison. J’enlève mes chaussures, je mets un pull pour ne pas prendre froid et je monte le petit escalier en bois qui mène à l’étage. Devant moi se présentent trois portes : l’une mène à une petite réserve dans laquelle Pépé entrepose ses vieux manuscrits et toutes sortes de souvenirs qu’il a accumulé pendant ses voyages, une autre donne sur la chambre de Pépé et la troisième, c’est celle de son bureau.
Je frappe à sa porte.
- Pépé ?
Je ne remarque le bruit de sa machine à écrire que lorsqu’il s’arrête. J’entends ensuite une chaise se frotter contre le parquet, puis des pas qui se dirigent vers moi. La porte s’ouvre, Pépé essuie ses lunettes et me répond :
- Qu’est-ce qu’il te faut, bonhomme ?
Mince, il a peut-être oublié qu’il devait me montrer son bureau aujourd’hui. Je n’ai pas assez insisté. Ou alors, il s’en fiche.
- J’ai fini de ranger le bois.
- Déjà ? Je n’ai même pas eu le temps d’écrire une page ! rit-il. Alors, tu veux toujours voir comment ton vieux grand-père travaille ?
Chic ! Il n’a pas oublié.
- Oh, oui, mais je veux pas te déranger ! Tu veux que je t’attende encore un peu ?
- Non, me sourit-il, je finirais ça plus tard. Mais tu sais ce que tu pourrais faire ? Aller nous préparer deux chocolats chauds. Je t’attends ici.
Pépé va ranger les quelques feuilles qu’il était en train de griffonner et laisse la porte grande ouverte. Je me dépêche d’aller préparer nos boissons avant de remonter.
- Merci, me dit-il en prenant sa tasse.
- Fais attention pépé, c’est chaud.
Je découvre enfin le bureau dans lequel travaille mon grand-père. J’y étais déjà entré une ou deux fois, mais j’étais petit. Depuis que j’avais remarqué l’expression sérieuse qu’il arborait à chaque fois qu’il s’y trouvait, je n’avais plus osé y entrer.
La pièce est très haute, Pépé me dit souvent que les gens de caractère vivent sous des plafonds hauts. Le papier peint des murs est un peu vieillot mais donne du charme à l’endroit. Au milieu de la pièce se trouve une table en bois massive qui est dans la famille depuis l’arrière-grand-père de Pépé, c’est dire.
Sur cette table comme autour d’elle, tout est parfaitement bien trié et organisé, de sorte à ce que Pépé puisse prendre tout ce dont il a besoin en temps et en heure sans efforts.
Quelques dessins et journaux sont accrochés aux murs, pourtant. Mais ils sont là pour ajouter un peu de décoration, de chaleur, tout comme les cadres disposés un peu partout et qui représentent des paysages de France et du monde.
Je suis pratiquement sûr que c’est Mémé qui a disposé la pièce de cette façon. Je ne l’ai pas beaucoup connue, mais Pépé me dit souvent qu’elle adorait transformer les lieux pour que l’on ne les habite plus, mais qu’on y vive.
- Alors, pas trop mal, non ?
- Ah ça oui, Pépé !
- C’est ici que je mets tous mes stylos, juste à côté du papier, et là, bien sûr, c’est de l’encre, dit-il en faisant tout le tour de l’endroit. Tu as l’imprimante derrière toi et dans le tiroir que tu vois ici, ce sont les manuscrits sur lesquels je travaille en ce moment.
- Attends, c’est une suite de « Mariano », ça ? dis-je en en désignant un qui porte l’emblème du personnage principal.
- Tu as lu le premier ?
- J’ai lu tous tes livres, Pépé ! Sauf ceux qui sont pour les plus vieux.
Alors qu’il trie ses feuilles pour me montrer d’autres choses, j’ose lui poser la question qui trotte sur mes lèvres.
- Comment on devient comme toi, Pépé ?
- Fou ?
- Non, écrivain ! Comment on arrive à écrire Mariano, ou Ma Petite, ou les Temps Merveilleux ? Comment on fait pour être comme toi ?
Pépé semble étonné. Finalement, il range ses feuilles et reprend en main le manuscrit de la suite de Mariano.
- Tu veux en lire un peu ?
- Avec plaisir ! lui dis-je.
Alors que je me saisis du manuscrit, je suis submergé par toutes les annotations et les étranges tournures de phrases qu’emploie mon grand-père. Ca me paraît illisible, difficile, énigmatique. Le premier tome était pourtant une histoire fluide et sympathique sur un garçon des années 1920.
- Alors ? me demande-t-il.
- Et bien, disons que je ne comprends pas trop.
- Pas facile, hein ?
- Quoi ?
- De trouver les mots.
Il me reprend doucement le manuscrit des mains, l’air de comprendre que je ne prendrais pas de plaisir à lire une histoire dans un état aussi primaire. Il me montre alors une page blanche.
- Ca peut faire peur, ce truc-là. Tout vide, tout pâle.
Moi, en voyant cette immensité blanche, je pense à mon ami renard.
- Mais comme je te l’ai dit un jour, l’important dans la vie, c’est d’être précis, efficace, de ne pas retenir ses coups, ni de les laisser partir de travers ! Alors parfois, il faut s’énerver un peu et la dompter, cette chose qui nous fait peur. On ne va pas laisser une page blanche nous dicter quoi faire, non ?
Je bois les paroles de Pépé alors qu’il pose la page et prend un de ses livres dans un tiroir.
- Mais entre cette page blanche et un livre comme celui-ci, il y a bon nombre de vagues et de tumultes. Tu vas faire les mauvais choix, te tromper, déchirer des pages. Des pages comme celles que tu viens d’avoir entre les mains et qui ne ressemblent pas à grand-chose. Mais si tu continues, si tu y vas franchement, jour après jour, avec persévérance et abnégation, tu les franchiras, ces vagues. Mince, quelle était ta question, déjà ?
Il se frotte la tête, il doit commencer à penser qu’il me parle de choses trop compliquées. Moi, je le serre dans mes bras.
- Merci beaucoup Pépé, c’était super.
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