6 décembre

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Aujourd’hui, encore une promenade solitaire. Je ne sais pas trop ce que fait Chacha. Mon ami renard et moi avons décidé de voir un peu de paysage et d’aller plus loin que d’habitude dans la forêt.

C’est fou ce que le monde rétrécit quand on grandit. Avant, quand je regardais le pré de derrière chez mon grand-père, depuis la clôture, je voyais un océan que je ne pourrais jamais traverser. Chaque arbre à l’horizon avait son identité, dans chaque buisson pouvait se terrer une créature différente.

Maintenant, le trajet pour chez Pépé me parait plus court, et j’ai l’impression que tous les arbres se ressemblent. Qui sait, quand je serais plus vieux, je voyagerais peut-être tellement que je confondrais même les pays entre eux.

Faire un peu de chemin en solitaire me rafraichit, il me donne l’esprit clair et me pousse à méditer, comme dit Pépé. Seulement, quand je foule ces chemins boisés en compagnie de mon ami Renard, je ne peux m’empêcher de me poser une question : Qu’ai-je perdu ?

Je suis certain qu’il me manque quelque chose. Quelque chose que j’ai égaré il y a longtemps et qui autrefois, a rempli mon cœur. Je ne saurais dire quoi, tout ce que je peux dire, c’est que ce n’est plus là.

Comment décrire ceci ? Est-ce un sentiment ? Une pensée ? Une passion ? C’est vraiment difficile à dire. Pépé trouverait sans doute les mots, moi pas. Peut-être que ce genre de choses nébuleuses n’existent que dans les rêves. Oui, peut-être que j’ai seulement rêvé d’un tel état.

Allez, je me ressaisis. Après tout, je dois me sentir comme ça parce que les vacances sont terminées et qu’il va falloir que je rentre à la maison. Ca me rend toujours un peu flagada.

Je m’installe sous un arbre avec mon ami renard et décide de me reposer avec lui. C’est drôle, non ? Avant, Chacha et moi pensions que les renards étaient des espions de notre pire ennemi. Maintenant, je discute calmement avec l’un d’eux.

- Pourquoi me tenir compagnie ?

- Mon maître s’ennuie un peu, me dit-il. Maintenant qu’Emmi et toi n’êtes plus coéquipiers, il ne sait plus comment occuper son temps.

Emmi, c’est Chacha. Je commençais presque à oublier son surnom. Où est-elle en ce moment ? Avec Allan, sans doute.

- Crois-moi, ça m’embête au moins autant que lui. Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? dis-je.

- Rien de spécial. Tu sais, je ne prends pas part aux conflits. Tout ce que je fais, c’est transmettre ce que j’ai vu et entendu. En dehors de cela, je vagabonde. Et, de temps à autres, j’aime avoir un ami avec qui parler.

- Tout à l’heure, tu m’as dit que le Goupil s’ennuyait. Est-ce pour cela qu’il envoyait toutes sortes d’énigmes et d’ennemis à nos trousses ? Pour occuper sa journée ?

- Qui sait ? Je l’ignore, ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu. J’ai passé plus de temps avec toi qu’avec lui, à présent.

- Et qu’est-ce que tu as préféré ? Être son ami, ou le mien ?

- Je ne suis pas sûr que tu poses la bonne question.

- Comment cela ?

- Je suis un renard. Ce que je préfère, et que je préfèrerais toujours, ce sont l’aventure et la liberté. Peu importe le compagnon que j’ai choisi de suivre.

- Alors tu me laisseras, le jour où je ne vivrais plus d’aventures ?

- La seule chose que tu dois savoir, Noa, c’est qu’ici et maintenant, je suis avec toi. Et je m’amuse bien.

Mon ami Renard et moi nous endormons sous cet arbre pendant une petite heure. Là, je me mets à rêver de folles histoires. Je vois un oiseau qui se promène de ville en ville avec un garçon et un petit roi tout blond. Et puis, un vieil homme au blouson noir qui enlace quelqu’un qu’il aime. Un homme à lunettes qui attend patiemment au bord une plage. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?

Je suis réveillé par un promeneur à la voix familière.

- Alors, petit, t’as mal dormi, cette nuit ? me lance la Baleine à Bosse. Il porte le même pull que le jour où nous l’avons vu pour la première fois, avec Chacha.

- Oui, on peut dire ça.

- C’est la fin des vacances, non ?

J’acquiesce.

- Ca a pas l’air de t’enchanter ! rit-il. Pourtant, il faut bien y retourner à l’école, pour apprendre des choses.

Je ne sais pas trop quoi lui répondre.

- Laisse, je t’embarrasse avec mes histoires. Nous, les anciens, on vous dit toujours la même chose alors qu’on n’était pas plus pressés d’y retourner que vous, à l’époque.

Je me mets à sourire. C’est la première fois que je discute avec la Baleine à Bosse, le vrai. Et il est beaucoup plus sympathique que dans nos histoires.

- Tu es le petit-fils du grand Robert, c’est ça ? Tu lui passeras le bonjour de ma part, avant de repartir à Paris !

- Je l’ferais, m’sieur. Comment est-ce que vous vous appelez ?

- Thierry. Mais tu lui diras « Ténor », parce qu’il y en a pas mal, par ici, des Thierrys.

Il continue son chemin avec son petit bâton de marche, alors que je rentre chez Pépé. Chacha a déjà préparé ses affaires et semble tout aussi triste que moi de partir, mais pour d’autres raisons. Elle note toute sortes de choses sur son téléphone. Elle ne m’a même pas vu, alors je file dans ma chambre pour tout ranger dans mon sac. J’ai les larmes aux yeux. Peu de temps après, Pépé rentre.

- Tu veux de l’aide pour… Ben, qu’est-ce qu’il se passe, bonhomme ?

- J’ai pas envie de repartir, Pépé. C’est nul, à Paris.

Il s’assied sur le lit et m’écoute.

- Papa veut toujours que je fasse des trucs que j’aime pas et qui me servent à rien, et moi j’en ai marre. En plus, Charlotte a plus envie d’être ma sœur. Moi, je veux plus jamais y retourner. Je veux rester ici et être libre comme toi.

- Pour être libre, il faut que tu apprennes à te contrôler, garçon. Ce n’est pas en remettant la faute sur ton père, ta sœur ou je-ne-sais-qui que tu y arriveras. Prends un peu sur toi.

- Mais j’y arrive pas. Je me sens seul, là-bas, j’ai l’impression que personne ne veut m’aider. Que je n’ai pas d’alliés, à part toi.

- Je sais que c’est pas facile, bonhomme. De toutes façons, tu vas y retourner, me dit-il en me prenant par les épaules. Mais je ne suis pas le seul à t’aimer, et si tu acceptais d’ouvrir un peu plus ton cœur aux autres, tu saurais que c’est vrai.

- J’y arrive pas. A chaque fois que je laisse quelqu’un entrer dans mon cœur, comme tu dis, il me trahit ou me blesse.

- Parce que c’est toujours ce que font les gens qui s’aiment, malgré eux. Mais essaie encore : tu y arriveras. Et si tu te remets à douter, comme aujourd’hui, pense à ton vieux grand-père qui t’aime. Parce qu’il y a longtemps, il a été comme toi.

Je termine de préparer mes affaires et Pépé nous raccompagne à la gare. Après avoir frotté nos petites têtes blondes et décoiffé Chacha au passage, il nous embrasse avant de nous dire au revoir. Nous entrons dans le train qui s’apprête à partir.

- Ah, au fait, Pépé ! lui dis-je par la fenêtre du train en séchant mes larmes.

- Oui, Samuel ? répond-t-il en criant à cause du bruit du train qui s’en va.

- Thierry te passe le bonjour !

- Thierry ? « Titi », tu veux dire ?

- Non, « Ténor » !

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