C’est ça, la vraie vie ! Armand a eu le permis cette année et mon père nous a laissé partir en Auvergne tous les deux. Depuis le temps que j’avais hâte d’y retourner ! Bien sûr, Pépé est au courant et ravi de recevoir un invité supplémentaire. Chacha nous rejoindra un peu plus tard dans la soirée. Pour le moment, on a téléchargé 12 gigaoctets de rock, de métal et d’électro et mis le son à fond dans sa Clio.

Armand, c’est un gars que j’ai rencontré cette année parce qu’on était dans la même classe. Non seulement il adore, comme moi, la nature et l’imaginaire, mais en plus il va lui aussi en droit l’an prochain.

Ce qu’il y a de bien avec lui, c’est qu’il est sympa avec tout le monde et qu’il peut s’entendre avec n’importe qui. Le soir, il fait ses devoirs avec les enfants de profs et les types un peu chics, à la pause de midi, il mange avec les métalleux, les geeks et les gamers et le weekend, il part en balade avec les chasseurs et randonneurs de la classe. En cours et pendant la récré, par contre, il reste toujours avec moi, j’avoue que je ne sais pas trop pourquoi.

Avec lui, je ne m’ennuie jamais parce qu’il est toujours au courant de ce qu’il se passe. Il a toujours des anecdotes, des blagues, des rumeurs en stock et les déballe toujours avec cette énergie qui le caractérise.

A travers lui, moi qui suis un peu plus timide, je comprends un peu mieux le monde qui m’entoure. C’est un chouette copain.

On se gare devant la rue de chez Pépé et on sort nos sacs du coffre. A l’intérieur, nous avons chacun trois t-shirts, deux pantalons, un pull, un couteau de survie et tout le reste en boissons énergisantes, gâteaux, biscuits, sodas, beef jerky et un bon nombre de barres protéinées parce que le frère d’Armand travaille chez la marque « Nutrimuscle ».

Pépé nous attend déjà dans la cour, il vient de mettre du sel sur les surfaces lisses pour éviter que du verglas ne se forme. Je comprends pourquoi : l’année dernière, il s’était cassé un os du bassin en tombant. D’ailleurs, il se déplace toujours avec une canne, maintenant.

- Laissez-moi prendre quelques sacs ! dit-il avant même de nous saluer.

- Tu rigoles, pépé ! dis-je en m’approchant pour l’embrasser. Pas dans ton état.

- Salut, mon p’tit gars, dit-il en me faisant la bise. Donc toi, tu es Armand, c’est bien ça ?

- C’est ça, m’sieur ! dit-il en s’embarrassant d’une cloche par-dessus le sac qu’il porte en bandoulière. Et vous êtes Robert !

- Qu’est-ce que tu portes là ?

- Ah, ça ! C’est un gâteau aux fruits, puisque Samy m’a dit que vous aimiez bien ça, je vous en ai fait un…

Pépé semble comblé de bonheur. Il ne cuisine que lorsque ses petits enfants sont là et on ne lui apporte des pâtisseries que très rarement. Il remercie Armand et nous invite à aller poser nos affaires. Nous montons les marches quatre à quatre, sortons toutes les friandises de nos sacs et nous allongeons sur les deux petits lits qui étaient autrefois celui de ma mère et de sa sœur. Tous les deux, nous relâchons un large soupir d’apaisement après toute la route parcourue.

- J’ai bien cru qu’on allait jamais pouvoir faire ça, c’est loin, le Puy-de-Dôme !

- Alors imagine quand on ira en Espagne après le bac !

- T’as intérêt à avoir le permis, toi aussi, parce que je me retape pas des heures de route tout seul.

- Je te promets rien mec, mais Armin et Gazoil l’auront sûrement, eux.

Armin et Gazoil étaient les deux autres membres de notre bande. Armin, c’était un type au moins aussi introverti que moi et Gazoil, et bien… C’était Gazoil, quoi. Un type un peu bizarre qui avait des passions hors du commun. Entre autres, il collectionnait les insectes et savait tout sur l’aviation de la seconde guerre mondiale. On m’a souvent dit que j’étais dans mon monde, mais Gazoil, c’est un autre niveau.

Ce n’étaient évidemment pas leurs vrais noms. On surnommait Rémy Ardent « Armin » parce qu’il avait une coupe de cheveux atroce, semblable à celle du personnage éponyme de « l’ Attaque des Titans » et Gazoil… C’était un de ces surnoms dont tout le monde avait complètement oublié l’origine. En fait, personne n’avait envie de s’en souvenir, je crois.

Après avoir griffonné quelques pensées sur mon carnet, je me plonge, les yeux pleins d’étoiles dans le planning que nous avons prévu cette semaine avec Armand. Au programme : balade en forêt, feu de camp, soirée « catch » devant la télé, et entraînement au sommet pour ressembler à nos idoles de la WWE (à nous deux, nous pouvons faire dix pompes à l’heure actuelle).

Je tourne la tête et Armand s’est déjà endormi. Moi, je ne pourrais pas m’endormir dans une chambre étrangère, mais lui, il est vraiment à l’aise partout.

J’entends une voiture et reconnaît le moteur de celle de ma sœur. Quelques secondes plus tard, je l’entends saluer mon grand-père. Allez, je vais pas faire mon frère ingrat, je vais aller lui faire une bise.

Chacha. Elle m’en aura fait un peu voir depuis qu’elle a rencontré Allan, mais ça reste ma sœur, après tout. Elle me sourit et à l’air contente de me voir. Nous nous installons dans le salon et discutons tous les trois devant « questions pour un champion ».

Et puis, lorsque Pépé part préparer le dîner, Chacha sort chercher quelque chose dans sa voiture et, pour prendre l’air, je l’accompagne. Elle aussi a fait un gros gâteau pour pépé. Si on y ajoute celui que ma mère m’a chargé de lui donner, c’est le troisième de la journée. Avec tout ce sucre, c’est pas un pic d’insuline que va se taper notre grand-père, c’est un roc, c’est un cap. Que dis-je, c’est une péninsule.

Lorsque je dis ça à Chacha, elle éclate de rire. Et puis, nous restons dehors quelques minutes. Elle s’allume une cigarette et plonge son regard dans les prés enneigés que l’on voit depuis le portail.

- Et, Sam ? Je peux te dire quelque chose ?

- Ouais.

Elle réfléchit un instant.

- Non, rien, en fait.