16 décembre
Ces derniers temps, mon ami renard me rend visite tous les matins. Lorsque j’ouvre la fenêtre pour aérer la pièce, il entre et s’installe au pied de mon bureau. Quand l’air est trop frais, il va réveiller Annie qui, souvent, est encore au lit.
Oui, il s’est passé un certain nombre de choses depuis l’année dernière. Je suis toujours à la bibliothèque et Annie, elle, travaille dans une librairie. Elle et moi, on va toujours au club d’écriture et, depuis peu, on s’est mis ensemble.
Je dirais que ça s’est fait comme ça, à force qu’elle vienne chez moi à l’improviste. Au départ, je la trouvais trop folle, trop instable, mais plus on se voyait, plus elle s’adoucissait. Et puis on a commencé à bouger un peu partout, à se dire des trucs qu’on disait pas à d’autres.
Un jour, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai montré tout ce que j’avais dans mon « carton de l’Aventure ». A l’intérieur, on y trouvait bien sûr « Comment devenir un héros » mais aussi mes herbiers, mes notes et tous les recueils qui concernaient cet univers singulier. Je m’attendais à ce qu’elle réagisse un peu comme Marie, ou qu’elle me dise que c’était « cool », au mieux. Mais à ma grande surprise, elle n’a pas dit un mot, elle a simplement pleuré et m’a prise dans ses bras.
Je me suis senti heureux et je lui ai rendu son étreinte.
Aujourd’hui, tout dans notre maison tourne autour de notre passion. Le matin, une fois que j’ai ouvert la fenêtre, j’écris ce que je pense pendant quelques minutes. Si j’ai fait un rêve, je le note. Ensuite, je vais préparer le petit déjeuner : du café, des œufs, du bacon et des tartines. Le temps que je revienne, Annie s’est levée et a déjà commencé à annoter ce que j’ai écrit. Ensuite, une fois que nous avons fini de manger, nous partons au travail à pied et en profitons pour discuter de toutes sortes d’idées, de projets, de visions, de choses que nous avons vues, entendues récemment et qui feraient un bon matériau de construction pour le monde que nous essayons de bâtir. Nous nous séparons et arrivons au travail, et là, nous y allons à fond. Tous les deux, nous essayons de terminer nos tâches respectives le plus vite possible pour avoir le temps de lire, de prendre des notes et surtout d’observer les gens. En fonction de leurs achats, nous aimons imaginer qui ils peuvent bien être.
Il y a des archétypes, bien sûr. L’aficionado du roman « feel-good » de cinquante ou soixante ans, la jeune emo qui apprécie l’horreur, les thrillers et les mangas « shojo », celui qui entre, regarde les livres pendant une heure et ressort sans rien prendre. Mais le plus intéressant, ce sont tous ces profils plus atypiques. Ceux qui viennent plus régulièrement que d’autres, ceux qui oublient toujours de rendre les livres, ceux qui lisent de tout. Vraiment de tout. Ceux qui viennent de plus en plus souvent et d’autres de moins en moins. Ceux qui achetaient des romans que l’on pourrait qualifier de joyeux et qui ne lisent plus que des histoires tristes. Ceux qui lisaient les BD en magasin et qui, maintenant, décident de les acheter.
Le soir, on a des tas de choses à se dire avant le club d’écriture. Parfois, on se les raconte sans parler. Alors, on mange un bout et on va rejoindre nos camarades écrivains. Il n’y a plus grand monde, là-bas. Seulement ceux qui ont continué. Sur la vingtaine qui s’y rendait quand je suis arrivé, il n’y en a plus que huit ou neuf.
On y va le lundi et le jeudi, mais le mercredi et vendredi, c’est taekwondo. Et oui ! J’ai pris plaisir aux sports de combat depuis ce weekend où Armand et moi avons regardé à nouveau nos films de Jean-Claude Van Damme. Le mardi et le samedi, on se contente d’un petit footing avec Annie. Le corps, c’est important, même quand on aspire à un métier aussi sédentaire. Je comprends pourquoi pépé aimait s’occuper de son jardin et couper son bois : quand on a la tête vide, il est plus simple de la remplir de rêves.
Une fois que c’est terminé, nous écrivons jusqu’à très tard dans la nuit. Les murs de notre petit appartement sont remplis à ras-bord de dessins et de textes accrochés par des punaises et de la Patafix. Généralement, j’écris quelques pages, Annie les corrige, me propose des tournures de phrases, des idées de scénario, des chemins différents que pourrait prendre l’histoire.
Je suis toujours penché sur mon bureau et elle, elle est assise sur le sol, accoudée au rebord du lit. C’est toujours comme ça.
En un rien de temps, nous avons déjà terminé un roman entier de 300 pages et un petit recueil de nouvelles qui tourne autour de l’histoire du roman.
L’histoire, c’est celle d’un prince embrigadé contre son gré dans une organisation criminelle. Il ne peut évidemment rien dire à personne, sans quoi il serait renié à la fois de sa famille et de ses employeurs. Il ne peut pas non plus trahir un camp ou un autre.
Alors, il passe chacune de ses nuits à créer la discorde pour déclencher une guerre et toutes ses journées à tenter d’empêcher cet évènement de se produire.
Pendant tout le livre, on se demande quelle « identité » va finir par l’emporter sur l’autre. Le gouverneur ou l’escroc ? Qui est le « vrai » Prince, au fond ? Et la fin… Eh bien, il faut lire le livre pour la connaître !
Mais ce soir, c’est un peu spécial. On n’écrit pas, puisqu’on a reçu Armand à la maison. On regarde The Wrestler et on mange des chips devant la télé. Mon ami renard est endormi à nos pieds. Annie est blottie contre moi, et je suis heureux.
C’est ici qu’est ma place, c’est eux, mon groupe d’aventuriers.
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