17 décembre
Le mois dernier, j’ai perdu mon premier combat mais je ne suis pas déçu, j’ai donné tout ce que j’avais. Peu commencent ce sport à 25 ans et sont capable de tenir la distance face à un adversaire assidu depuis ses 7 ans. Annie m’a encouragé et on a dû la retenir d’aller agresser le concurrent adverse parce qu’il « ne donnait sans arrêt que les mêmes coups de pied ». J’ai hâte de me préparer pour ma seconde compétition, au moins d’août prochain.
Annie et moi avons changé d’appartement pour un plus grand et plus excentré. Notre rêve, c’est de partir habiter plus au sud, peut-être en Auvergne. Tout ce qu’il nous faut, c’est un travail là-bas ou, encore mieux, réussir à vivre de nos publications.
Parce que oui, c’est officiel, après avoir révisé neuf fois le manuscrit d’origine, nous allons publier notre premier livre dans une petite maison d’édition que nous avons trouvé grâce à l’oncle d’Annie.
Cet homme-là, d’ailleurs, a été la clef de notre réussite. Lui aussi avait publié un roman lorsqu’il était jeune, avant de retourner à un emploi plus classique. Quand il a su qu’Annie et moi écrivions un livre, il venait nous voir tous les soirs pour nous prodiguer des conseils. Certains meilleurs, d’autres un peu plus datés, forcément. Sans lui, nous n’aurions jamais pu arriver à un tel niveau de maîtrise. A la mort de son frère, c’est lui qui avait donné goût à la lecture à sa fille, Annie. Il était ce qu’elle avait de plus proche d’un père.
Aujourd’hui, c’était d’ailleurs le dernier membre de sa famille à qui elle parlait encore. En sachant que je n’avais plus de contact avec la mienne, cela ne faisait pas de grosses tablées au repas de Noël. Enfin, ce n’est pas tout à fait exact. A chaque fois que je terminais une version d’une histoire, je l’envoyais à ma mère. Pour me répondre, elle m’envoyait un petit émoji accompagné d’un « Super ».
Je l’imaginais mettre ses lunettes pour lire le texte écrit beaucoup trop petit, agrandir la police et faire glisser assidument le texte jusqu’à l’avoir terminé. Cela me faisait sourire et, quelque part, m’aidait à continuer.
Oscar, l’oncle d’Annie donc, m’avait suggéré de faire jouer mon lien familial avec Robert G., mon grand-père. J’étais honoré par l’idée et je me disais qu’en faisant ça, je me placerais dans la digne lignée de mon grand-père. Mais j’ai refusé. Après tout, lui, il n’avait pas eu à se servir de l’image de quelqu’un d’autre pour se faire un nom. J’y arriverais par moi-même.
L’intrigue de notre roman n’était autre qu’une aventure qui précédait celle du prince que je vous ai raconté l’année dernière.
Celle-ci expliquait comment le grand-père du prince avait réussi à intégrer la famille royale en trompant tout le monde. Pendant toute l’histoire, il luttait secrètement face au dernier membre de la famille royale qui avait conscience de la supercherie.
Avec un troisième volume racontant l’histoire du fils du Prince, nous devions publier une saga qui s’étendait sur presque cent ans et se concluait par un immense retournement de situation que nous avions hâte de dévoiler.
L’année dernière, nous sommes partis en vacances en Espagne. J’avais envie de revoir ces villes que nous avions visité, les gars et moi, il y a de cela huit ans. Saint Sébastien, Burgos, Valladolid, Salamanque, Caceres, Séville… Elles étaient presque toutes comme je les avais laissées. Chaque fois que nous passions quelque part, j’expliquais tout ce qu’il s’y était passé à Annie.
J’appréhendais presque le moment où nous approchions de cette falaise, celle sur laquelle nous avions eu cette discussion avec Armand. Et puis, au contraire, voir la mer m’a fait du bien. Il n’y avait pas grand monde, comme à l’époque. Il faut dire que c’était un point de vue plus secret que d’autres. Il y avait bien deux ou trois personnes, là-bas, mais on n’étouffait pas.
Annie et moi nous sommes installés sur le capot et avons regardé l’horizon. Elle savait parfaitement que j’allais lui raconter ce qu’il s’était passé ici, comme pendant tout le trajet, mais cette fois-ci, je prenais mon temps pour respirer l’air marin, casser une aiguille de pin dans ma main, admirer le soleil couchant.
Je pensais aux autres, à ce qu’ils avaient pu devenir. Gazoil était parti en école de commerce et Armin en fac d’histoire. Ni l’un ni l’autre n’était vraiment convaincu par ce qu’il avait pu choisir, alors qui sait où ils pouvaient être, maintenant.
Mais avant que je n’ouvre la bouche, je vis surtout que l’homme garé juste à côté de moi venait lui aussi de s’installer sur son capot pour regarder la mer. C’était une très belle voiture, d’ailleurs. Je n’y connais pas grand-chose, mais je crois que c’était une Jaguar.
Celui qui était assis sur le capot de cette Jaguar, donc, n’était autre que Gazoil, mon ami. Il avait les cheveux longs, maintenant, portait la barbe et arborait une tenue classique de vacancier.
Je n’y croyais pas. Impossible. Il avait choisi le même jour que moi pour venir ici ? 8 ans après, jour pour jour, il était lui aussi revenu ?
Je me dis à ce moment-là que ça ne pouvait pas être une coïncidence, mais pour en avoir le cœur net, il fallait que j’aille lui parler.
- Mec, tu te souviens de moi ?
J’interrompis visiblement sa rêverie et il mit bien quelques secondes à se rendre compte que c’était moi.
- Scoubidou ? *
J’entendis Annie pouffer.
- Alors, toi aussi, ça t’a marqué, ce jour-là.
- On peut l’dire, ouais !
- Alors c’est pour ça qu’on se retrouve là ? Toi aussi, t’as voulu faire ton pèlerinage annuel ?
- Non Scoub’, je viens pas ici tous les ans.
Il rit alors de bon cœur et continua à fixer les arbres tout en me parlant. (Il ne regardait même pas la mer. Gazoil, quoi.)
- Je viens ici tous les jours.
*Note de l’auteur : Gazoil l’aurait sans doute écrit comme ça
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