18 décembre
« Ca y est, c’est le nôtre » m’a dit Annie lorsqu’elle a ouvert le carton qui contenait le premier exemplaire imprimé de notre roman : « L’Attaque ».
Nous avons eu beaucoup plus de succès que ce que nous espérions. Pour un premier livre, le démarrage a été si bon que notre éditeur a accepté de préparer une suite. Combien d’auteurs n’ont même pas cette chance ? Oscar pense que nous avons beaucoup de talent, mais je pense que c’est un mélange de beaucoup de choses.
D’abord, comme me le rappelle souvent Annie, la régularité et la méthode ont fait la moitié du travail, le vécu a fait presque tout le reste.
La méthode que nous utilisons, la voici : Généralement, nous ne faisons pas ou peu de travail préparatoire. Elle comme moi prenons régulièrement des notes contenues dans des carnets. Parfois, je m’y réfère pour y puiser des idées et des informations, mais le plus souvent, j’y vais de mémoire.
Ensuite, j’écris mon premier jet. Je me contente de respecter un certain quota de mots par jour sans faire attention à l’orthographe, à la syntaxe ou aux répétitions de mots. Je fonce, c’est tout. Comme une brute avide de sens et de vérité.
Le lendemain, Annie relit le texte, ce qui lui permet de voir tous les problèmes du texte, de corriger les fautes, de noter de nouvelles idées.
Nous en parlons ensuite ensemble, et cette discussion nous permet de définir la direction du récit, son enjeux, sa valeur… En gros, nous décidons de l’histoire nous voulons écrire et des acteurs qui la peupleront. A partir de là, nous édictons quelques règles et limites à ne pas dépasser. Par exemple, si nous avons décidé qu’un personnage ne devait pas quitter une pièce pendant tout le livre, alors il ne la quitterait pas. Et enfin, nous listons toutes les données importantes pour éviter les erreurs de continuité. Si nous écrivons que le père du héros est grand au chapitre 1, il le restera en théorie pendant tout le récit.
Je réécris le texte avec tout ce que nous avons décidé, en m’assurant cette fois-ci que :
· La même idée n’est pas donnée deux fois.
· Les temps sont respectés
· Les phrases sont claires et facilement compréhensibles, ni trop lourdes, ni trop légères.
· Le champ lexical est riche, sans pour autant tomber dans des tournures loufoques.
· Aucune phrase ne crée de discorde ou d’incohérence dans la continuité de l’histoire.
Annie relit le texte phrase par phrase à haute voix pour vérifier qu’il n’y a pas de problème, le valide si elle le trouve bon ou me donne ses notes si elle trouve qu’il nécessite une réécriture.
Nous fonctionnons ainsi depuis si longtemps que j’ai l’impression d’avoir fait ça toute ma vie. D’ailleurs, tout le reste gravite autour de notre travail : nous pratiquons du sport pour rester en pleine forme, motivés et implacables, nous lisons et nous promenons pour enrichir notre imaginaire, nous avons même réglé nos heures de lever et de coucher pour avoir la meilleure concentration possible pour notre temps de travail.
Quand je faisais du droit, j’avais fini par détester ce genre de routine. Mais après tout, il n’y a que ça qui fonctionne.
Avant, je le reconnais, je m’infligeais toutes ces choses parce que je voulais que les gens pensent que je faisais un vrai métier. Je savais que je ne pourrais jamais autant servir la société qu’un médecin ou qu’un ingénieur. Alors je complexais beaucoup, je me disais que si je souffrais vraiment, ça finirait par avoir de la valeur.
Et puis, quand je l’ai expliqué à Annie, elle m’a demandé qui étaient ces « gens » que je cherchais à impressionner.
J’ai réfléchi et je me suis rendu compte que je l’ignorais. Armand m’a toujours soutenu, il a été un ami fidèle même dans les moments où moi, je ne l’ai pas été. Oscar et Annie m’ont plus qu’épaulé dans ce que je fais, ils m’ont catapulté trois rangs au-dessus de ce que je croyais être mon maximum. Les autres, je ne les voyais plus ou je ne me souciais pas de leurs avis. C’est ce que j’ai répondu à Annie.
- Et ben alors, si les « autres » c’est personne, arrête de te prendre la tête, m’avait-elle souri.
C’était ça, le pouvoir d’Annie, elle pouvait calmer en quelques mots simples une blessure qui avait pourri en moi pendant des années. Alors, nous avons repris notre routine en enlevant ce qui ne faisait que nous rajouter de la douleur et en gardant ce qui servait nos projets. Toujours en y prenant du plaisir, et en continuant de nous aimer de tout notre cœur.
Dire que je me moquais de Gazoil quand on s’est revus en Espagne, et de tous ses livres de développement personnel. En fait, je fais la même chose que lui.
D’ailleurs quand j’y pense, nous aussi, on écrit du développement personnel, dans un sens. Après tout, ni elle ni moi ne pourrions écrire si nous n’avions pas la conviction que cela pouvait changer la vie des gens. Ce n’est pas l’avis de tout le monde. Certains pensent que l’art, ce n’est que du plaisir esthétique, de la décoration ou du divertissement et ils ont le droit, d’ailleurs. Mais jamais je n’aurais pu m’en contenter.
Nous nous sommes finalement installés en Auvergne, tous les deux. C’est un petit studio en attendant de pouvoir acquérir une maison, mais on y est bien. Très bien, même.
Je travaille à temps plein à l’écriture et je n’ai jamais eu autant d’inspiration qu’ici, dans le pays de Pépé. Annie, quant à elle, travaille dans la petite bibliothèque du coin. Autant dire qu’à nous deux, on ne gagne pas grand-chose. Mais nous sommes heureux, c’est le principal.
Cette semaine, elle est alitée parce qu’elle tousse et a de la fièvre. Je change régulièrement le torchon qu’elle a sur le front, puis j’en profite pour me prendre un petit temps mort, tout seul. Je regarde dehors et je vois la neige tomber sur les prés d’à côté de chez nous. C’est la saison qui veut ça. La maladie comme les belles choses. C’est décembre.
Décidément, c’est le plus beau mois de l’année.
La saison de ma vie.
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