23 décembre
Avant d’en finir une bonne fois pour toutes avec cette histoire, il faut que je vous raconte ce qu’il s’est passé le lendemain de la visite de Charlotte. Allan est venu à la maison. Oui, Allan. Cigarette électronique à la main, il attendait devant ma porte.
- Salut, mon gars. Ça va, tu vas bien ?
- Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
Il a repris une bouffée de nicotine et a regardé l’intérieur de ma maison.
- C’est sympa, chez toi. T’es bien, ici, on dirait.
- Ouais, c’est vrai. Tu veux entrer ?
- Non, t’inquiète pas. En fait, Charlotte m’a tout dit, pour hier, et j’aimerais bien te montrer quelque chose. Tu veux bien venir avec moi ?
- Où ça ? A Clermont ?
- Ouais. Je voulais pas t’obliger à prendre la voiture, c’est pour ça que je suis venu.
- Et tu veux pas me dire ce que c’est ?
- Je préfère que tu le voies de tes yeux.
Je me demandais bien ce qu’il essayait de faire. Est-ce qu’il cherchait à m’attirer quelque part pour me casser la gueule ? De toutes façons, au point où j’en étais, je me disais que ça me réveillerait, au moins.
Et puis je l’ai suivi en voiture pendant deux heures. On est arrivés chez lui.
Chez Charlotte, Allan et leurs deux petites, mes nièces, qui ne m’avaient encore jamais vu. Anaïs, âgée de 3 ans, et Emilie, de 2 ans.
Il m’a invité à rentrer, nous a préparé deux cafés et a insisté pour que je monte à l’étage avec lui. Là, entre sa chambre et celle des petites se trouvait un couloir dont les murs étaient remplis de livres. C’était beau, je trouve. C’étaient des murs-étagères. J’ai reconnu quelques titres. L’Île Mystérieuse, le Seigneur des Anneaux, les Fabuleux… Et tout en haut, il y avait mes livres. L’Attaque, la Défense…et Comment devenir un héros. Ce sont ceux que je lui avais dédicacés, soi-disant pour ses amis.
- Alors ces exemplaires étaient pour elle. Chacha les a vraiment achetés.
- Non, m’a-t-il interrompu. Ce ne sont pas ceux de Charlotte. Ce sont les miens.
- Quoi ?
- Qu’est-ce que tu crois, Sam ? Je les ai tous lus. Je les ai tous achetés. Parce que c’est toi qui m’as fait m’évader pour la première fois. C’est le jour où vous êtes venus me voir, toi et Charlotte, qui a changé ma vie.
Je suis perdu.
- Mais tu me détestes. Tu as jamais pu me voir.
- T’es fou, ou quoi ?
J’ouvre les livres. Les pages sont un peu jaunies et ne sentent pas le livre neuf. Même sans ça, j’aurais su qu’il ne me mentait pas.
- Pourquoi est-ce que tu évitais toujours de me voir, quand on était petits ? Tu ne parlais qu’à Chacha, presque jamais à moi.
- Chacha me disait que toi, tu ne m’aimais pas trop, et puis tu m’intimidais. T’avais toujours de super idées, des histoires de fou. T’étais le mec cool, quoi. Et moi, j’étais un pauvre type solitaire. J’osais pas.
Je me sens bête. Terriblement bête.
- Mec, tu… T’as toujours été un exemple, pour moi. Je suis désolé que tu l’aies pas compris. Me dis pas que c’est à cause de la fois où je t’ai poussé ?
J’ai presque envie de vomir. Je me suis trompé sur toute la ligne. Depuis toujours.
Nous passons la journée avec Allan et les petites. Je n’avais jamais pris le temps de le connaître, mais il est bien plus sympa que dans mes souvenirs. Le soir, je lui serre une ferme poignée de main et je lui dis que j’ai hâte qu’on se fasse quelque chose en famille.
Sur le retour. Mes oreilles bourdonnent. J’ai l’impression de n’avoir rien compris a ce qui m’entourait. Je repense aux mots de Chacha, d’il y a quelques années. Quand elle m’a dit que mon problème, c’était que je cherchais toujours à ce que les choses marchent comme je le voudrais.
La voilà, l’étape cruciale de ma quête. Je me suis menti et j’ai accepté ces mensonges toute mon existence. Ils ont défini ce que je croyais être le monde qui m’entourait. J’ai cru qu’Allan me détestait, mais c’est parce que je n’ai accepté de voir qu’une chose de lui. Ca a été pareil pour Chacha, alors qu’elle souffrait autant que moi.
Avec cette information en tête, qu’est-ce que je dois penser de mon père, alors ?
Soudainement, les mots du frère de mon grand-père me reviennent en mémoire.
« On en arrive là, tu vois, dans la vie. Quand on ne parvient pas à faire la paix avec quelqu’un. Un jour, on se retrouve devant une boîte et celle-ci ne peut ni nous répondre, ni nous pardonner. Tout ce qu’elle peut faire, c’est nous rappeler tout le temps qu’on a perdu en fierté et en futilités. »
Je dois aller le voir.
Je dois me réconcilier avec lui.
Avant qu’il ne soit trop tard.
Mais pas maintenant.
D’abord, je dois finir quelque chose.
Je dois me rappeler de ce que j’ai perdu.
Je dois savoir qui je suis.
Pour ça, je dois retourner là où tout a commencé.
Je suis en Auvergne, après tout.
Allons rendre visite à Pépé.
Annotations
Versions