39. Défilé de nanas
Joy
— Vous travaillerez sur cet exposé par groupe de deux. Je veux des photos, de la couleur, de la gaieté, un format étonnant. On parle de danse, pas de guerre. Compris ?
Tout le monde répond docilement alors que Kenzo et moi nous jetons un œil. J’ai trouvé mon partenaire, et ça me convient très bien. Nous travaillons bien à deux, chacun motive l’autre et nous pouvons être francs. Au moins, pas de non-dits, si ce que je fais est nul, il me le dira et inversement.
La cloche sonne alors que je gribouille sur le bord de ma feuille : “exposé vidéo ?”, ce qu’il acquiesce avec engouement. Parfait. Si le prof veut des photos, de la couleur, de la gaieté, on va lui en proposer, avec vidéos et musiques en prime.
Nous sortons de cours rapidement et rejoignons la cafétéria sous un soleil bien agréable, et nous séparons alors que je vais m’asseoir avec les filles pour notre habituel repas girly, souvent potins, parfois chiant à mourir, de temps à autres rigolo. J’y vais toujours avec appréhension, ou à reculons, parce que malheureusement pour moi, le sujet d’Alken revient souvent sur le tapis. Trop beau. Trop doué. Trop sexy. Trop tout. Il est une attraction à lui tout seul, et peut-être que la direction devrait songer à lui faire faire des pubs pour l’ESD, parce qu’il attire la gonzesse en chaleur.
Oui, je sais, c’est plutôt déplacé de ma part étant donné que je suis la première à profiter de tout ça. Enfin, je ne sais plus. Depuis que Marie est chez lui, je ne profite plus de grand-chose, quand elle l’a tous les jours auprès d’elle. Encore une fois, ma jalousie me fait un peu honte étant donné ce qu’elle a vécu, mais les paroles d’Alken me reviennent en tête et me confortent dans mes sentiments. “Elle est collante, comme si elle pensait avoir toujours une chance de me reconquérir”. Rassurant.
Lorsque je m’installe avec les filles de la promo, elles sont en train de chuchoter entre elles, et le regard qu’elles me portent me fait me dire que j’aurais dû prétexter avoir autre chose à faire.
— Joy, toi qui es proche de Kenzo, tu sais peut-être, me demande une Sarah, toujours aussi intéressée par la vie d’Alken.
— Savoir quoi ? demandé-je bêtement.
— Marie est revenue bosser depuis ce matin. Tu sais ce qu’elle avait ?
— Sans doute quelque chose qui ne nous regarde pas, marmonné-je, blasée de devoir parler d’elle, même ici.
— Ouais, mais il paraît qu’avec Alken, ils se sont remis ensemble. Tu en sais plus ?
Je manque de m’étouffer avec ma gorgée d’eau et tousse bruyamment en m’essuyant la bouche.
— Non, je ne sais rien. Je vais rarement chez Kenzo… Et puis, ils font bien ce qu’ils veulent, non ?
— Moi, je crois qu’elle est enceinte et qu'elle porte le bébé de notre Prof. Ce matin, ils sont arrivés ensemble et il avait son bras autour de son épaule. Qu'est-ce que j'aimerais qu'il s'occupe de moi comme ça !
Ben voyons ! Il lui a roulé une pelle devant son bureau aussi, peut-être ? Bon sang, à quoi ils jouent, tous les deux ? Je savais que ce déjeuner était une mauvaise idée, et je lance déjà un regard désespéré à Kenzo, assis quelques tables plus loin avec certains gars de notre classe.
— Ou alors ils sont juste amis et font du covoiturage, dis-je d’une voix tout sauf convaincante avant de me racler la gorge. Et tu es une élève, la seule façon pour qu’il s’occupe de toi, c’est de danser.
— Moi, je ne dirais pas non à un plan à trois avec les deux, reprend Sarah, toute à son envie de se taper mon mec. Vous avez vu comme Marie est une jolie femme ? Elle a des gros lolos et je suis sûre qu’Alken en est dingue. Peut-être que si je l'approche, elle, elle dirait oui pour le partager.
— Tu peux toujours tenter, rit Jasmine alors que le sujet de notre conversation entre dans la cafétéria.
Ils entrent d’ailleurs tous les deux et mon sang bouillonne déjà dans mes veines. Ils sont collés l’un à l’autre jusqu’ici, bon sang. Il ne se rend pas compte de ce que ça me fait de les voir ensemble comme ça.
D’ailleurs, je pensais que ma jalousie avait déjà atteint son sommet, mais c’était sans compter sur la petite élève de première année qui se précipite vers lui, tout sourire, et minaude comme pas possible, battant des cils et se dandinant, la poitrine en avant. Bordel, qu’est-ce qu’elles ont toutes à vouloir le coller dans leur lit ?
— C’est qui, cette fille ? ne puis-je m’empêcher de demander sans les quitter des yeux. Elle n’est absolument pas discrète…
— Tu parles ! C'est une prodige qui a tout juste dix-huit ans, explique Émilie. Il paraît qu'elle danse divinement bien. Et qu'elle a parié avec ses copines qu'elle mettrait notre Prof dans son lit avant Noël. Elle a de beaux arguments aussi, n'est-ce pas Sarah ?
— Oui ! s'extasie ma camarade. Je l'ai vue sous la douche et je peux vous dire qu'il n'y a pas un poil ! Elle est prête à passer à la casserole à tout moment ! pouffe-t-elle alors que les autres éclatent de rire, attirant l’attention d’Alken sur notre petit groupe.
Je me retiens de lui lancer un regard agacé et tente de rester de marbre. Pourquoi est-ce que je ne suis pas tombée amoureuse d’Enrico ? Personne ne fantasme sur lui, au moins. Je n’aurais pas l’impression de pouvoir le perdre chaque fois qu’il parle à une autre femme. Surtout qu’elle est jolie, la première année qui pose sa main sur son avant-bras pour retrouver son attention. Je vais devenir vulgaire si ça continue.
— Heureusement qu’il y a un règlement qui interdit les relations entre prof et élève alors, marmonné-je. Et puis, si Marie est enceinte de lui, elle risque de se prendre un vent, la prodige.
— Je crois que cette Charline ne s'arrêtera pas à un simple vent… Regarde comment elle bouge ses fesses ! Elle a le feu au cul cette nana, constate Jasmine, légèrement envieuse.
— Ou alors, c’est lui qui a le feu au cul, soupiré-je en me levant. Je vous laisse, je n’ai plus faim. Je vais passer à la bibliothèque. Vous me direz si Alken me mate au passage ? Qui sait, si ça se trouve, dès qu’on a un cul, on est dans ses petits papiers.
— Vas-y, Poulette, je t'envoie un SMS pour te dire le résultat, répond Sarah, amusée.
Je récupère mon plateau et traverse la cafétéria, passant par l’autre allée que celle où se trouve Alken. Marie semble s’impatienter à ses côtés alors qu’il discute avec la prodige en chaleur. Je vide mon repas et récupère ma pomme avant d’emprunter l’allée qui va m’obliger à passer près d’eux.
— Excusez-moi, dis-je en passant entre Alken et Charline en souriant, l’air désolé. Bonjour, Marie, bonjour Alken.
Je poursuis mon chemin sur quelques pas et me retourne pour m’adresser à nouveau à lui.
— Au fait, Prof, est-ce que tu pourras me remontrer le porté qu’on a fait hier, cet après-midi ? J’ai un doute sur les appuis, dis-je avant de croquer dans ma pomme, mon regard plongé dans le sien, et d’essuyer le jus sur mes lèvres de mon pouce comme il m’arrive de le faire dans des moments bien plus intimes.
— Euh… baragouine-t-il avant de se reprendre un peu. Bien sûr, Joy. On fait ça à la fin du cours cet après-midi ?
— Super, merci beaucoup ! lui dis-je d’un ton enjoué alors que la petite Charline me regarde de haut. A tout à l’heure, alors.
Je tourne les talons et sors de la cafétéria en ondulant des hanches, de façon aussi naturelle que possible, et fais un clin d'œil à Sarah au passage. J’ai presque eu envie de dire à Charline que si elle voulait jouer, nous serions deux, mais j’ai encore un minimum de self control, heureusement.
Je reçois quelques instants après le SMS de Sarah avec une photo en pièce jointe.
— Joy 6, Marie et Charline 0. Victoire par KO.
Sur la photo qui s'affiche, on voit mes hanches au premier plan et Alken derrière, la bouche entrouverte et les yeux clairement dirigés vers mes fesses alors que Charline fait une grimace et que Marie détourne le regard. Mission accomplie, même si ce n’est absolument pas sérieux d’avoir attiré l’attention sur l’attirance qu’Alken peut avoir pour moi.
Je file donc à la bibliothèque le cœur un peu plus léger, avant de voir dans mon agenda mon chèque pour le trimestre. Je suis en retard, et il faut que je vois Marie pour le lui donner. Ravissement… Ou pas !
Je bosse un peu en attendant qu’elle reprenne son poste, et file au bâtiment administratif avant d’aller en cours. Forcément, Marie est en retard. Tu m’étonnes, moi non plus, en déjeunant avec Alken, je ne fais pas attention à l’heure.
— Joy, tu as besoin de quelque chose ? me surprend-elle alors que j’ai le nez sur mon téléphone.
Je lève les yeux vers elle et sens mon agacement poindre à nouveau. Elle est tout sourire quand elle s’installe à son bureau et j’ai envie de l’effacer de son visage, parce que tout ceci ne me fait absolument pas sourire, moi.
— Payer mon trimestre, et ne pas arriver en retard en cours, en prime, si possible, dis-je plus froidement que je ne le devrais en faisant glisser mon chèque dans sa direction sur le comptoir.
— Tu es déjà en retard pour le paiement, ce n’est pas de ma faute à moi si maintenant, je dois faire les régularisations, réplique-t-elle un peu sèchement.
— Il me semblait qu’on avait tout le mois de Septembre pour régler, désolée… Et puis, techniquement, je serais bien venue plus tôt, mais tu n’étais pas là.
— Oui, et tu sais pourquoi, s’énerve-t-elle un peu. Heureusement qu’Alken a plus de cœur que certains ici, sinon je me serais retrouvée à la rue. Bref, voilà ton reçu. Tu vas pouvoir aller en cours à l’heure. Dépêche-toi sinon tu auras encore quelque chose à me reprocher.
— Je sais pourquoi, et ce n’était pas un reproche, mais tu ne peux pas me faire remarquer que je suis en retard alors que je n’y peux rien si tu n’as pas été remplacée pendant ton arrêt. Bref, bonne journée, Marie, marmonné-je en récupérant mon reçu avant de filer.
J’ai un cœur, il est juste en mode survie, là. Parce qu’être amoureuse du danseur que j’aperçois en entrant dans le bâtiment D, ce n’est pas la chose la plus facile à vivre. Il attire l’œil, l’attention, et les nanas comme une vache attire les mouches. Comparaison pas très flatteuse pour mon chéri, mais véridique. Et moi, je suis l’une de ces mouches. Celle qui a ses faveurs, mais qui a peur de faiblir et de se faire doubler par les autres.
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