60. Quand on parle chinois à Bruxelles

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Alken

Le jour J est enfin arrivé et je me dis, alors que je profite encore un peu de mon lit en ce froid matin de novembre, que nous ne sommes toujours pas vraiment prêts. Nos entraînements nous ont, certes, permis de nous améliorer, mais je n’ai pas encore l’impression que nous avons relevé assez notre niveau pour remporter la compétition. Il va falloir que l’on se surpasse si on veut réussir.

Je me lève et vais préparer un café et du pain pour Joy qui dort encore, puis je la réveille doucement en caressant ses beaux cheveux étalés sur l’oreiller. Elle s’étire à mes côtés et je souris. Elle n’a toujours pas récupéré l’usage complet de sa cheville, mais à mon retour de Belgique, dans deux jours, elle pourra à nouveau abandonner les béquilles et reprendre l’entraînement. On est sur la fin de sa convalescence et elle a fait tous les exercices conseillés pour reprendre au plus vite. Je dépose le plateau avec le petit déjeuner sur ses genoux et m’installe à ses côtés pour profiter de ce petit moment à deux.

— Bon appétit, ma Chérie ! dis-je en l’invitant à se servir.

— Bonjour, homme parfait, rit-elle en se penchant pour déposer un baiser sur mes lèvres. Merci, tu es un amour.

— Je sais, je suis parfait ! Et puis, comme je ne pourrai pas le faire pendant les deux prochains jours, je fais ce qu’il faut pour que tu n’aies pas envie de me remplacer pendant mon absence !

— Aucune chance que j’aie cette envie, crois-moi ! Quant à toi… Évite de te trouver une petite belge à ramener, il n’y a pas de place dans ce lit et je ne compte pas laisser la mienne.

— Ah dommage pour le plan à trois, alors, me moqué-je. Mais là non plus, il n’y a pas de risque. Tu as pris trop de place dans ma vie pour que ça arrive, mon Cœur.

— Ça vaut mieux pour ton joli petit popotin, mon Chéri !

Je souris et nous finissons notre petit déjeuner en papotant. Je prends une rapide douche, mais reviens vite profiter de ces quelques instants avec elle avant de partir. Je vais l’abandonner ici car ce ne serait pas prudent que nous soyons vus à deux à la gare. Cela m’énerve un peu de passer ces deux jours avec Charline plutôt qu’avec elle, mais malheureusement, je ne peux rien y faire. Et nous sommes obligés de dormir à l’hôtel car il y a des réceptions et des événements avec la famille royale en soirée. C’est un concours international et il nous faut assister à toutes les cérémonies et faire honneur à l’ESD.

— Tu vas me manquer, ma Puce. On reste en contact par messages, de toute façon. Et demain, je ferai signe à la caméra pour que tu puisses penser à moi !

Le concours va en effet être diffusé en direct à l’ESD même s’il ne passera officiellement à la télé belge qu’autour des fêtes de Noël. Cela permet à tous les étudiants qui le souhaitent d’assister au spectacle. Et bizarrement, comme ça remplace les cours, il y a beaucoup de volontaires.

— Toi aussi tu vas me manquer, Amour, dit-elle en se lovant contre moi. Profite bien, éclate-toi, mais juste sur scène, hein ? Pas de bêtises !

Pas de risques que je fasse des bêtises. Je crois que je n’ai jamais été aussi amoureux de ma vie. Je la laisse aux bons soins de Kenzo et parviens enfin à quitter l’appartement non sans avoir échangé une tonne de baisers avec elle. Nous sommes vraiment comme deux adolescents qui se séparent pour la première fois. Tout ça pour aller à Bruxelles, à même pas une heure de train de Lille !

Quand j’arrive à la gare Lille Europe, je retrouve Charline en compagnie d’Elise qui est venue nous donner les dernières instructions avant le départ.

— Ah Alken, j’ai cru que tu n’allais jamais arriver ! Prends bien soin de Charline, surtout. Tu es prêt ? Charline me disait qu’il y avait un petit blocage de ton côté qui l’empêchait de s’exprimer. Il faudra que tu le fasses sauter pour le concours, hein ? Enfin, je n’ai pas trop d’inquiétude, tu te surpasses toujours pendant les compétitions officielles. Bref, je compte sur vous pour représenter dignement l’ESD et surtout remporter le concours.

Je la regarde, amusé. Je crois que, de nous trois, c’est elle la plus stressée, vu son débit de mots à la minute.

— Relax, Elise, ça va aller. Je crois que Charline sait pourquoi il y a un petit blocage en effet, mais on devrait y arriver, ne t’inquiète pas. Charline, tu es en forme ? Prête à danser devant le roi et sa cour ?

— Plus que prête, j’ai hâte d’y être, sourit calmement la jeune danseuse, pleine d’assurance.

— Tant mieux, tant mieux, reprend Elise. Demain, je serai dans l’auditorium pour vous encourager. Même si vous ne pourrez pas m’entendre à travers les écrans, sachez que je serai là pour vous. Et n’oubliez pas, si vous saluez le roi, de mentionner l’ESD ! On a besoin des élèves belges à notre école ! Je compte sur vous pour faire aussi bien que l’année dernière au concours de salsa !

— Bien, allons-y, Charline, avant qu’Elise ne nous fasse travailler la chorégraphie directement sur le quai.

La jeune rousse pouffe à ma blague et me suit, sa petite valise à roulette derrière elle et nous montons dans le TGV qui va nous mener à Bruxelles. J’avais un peu peur de son attitude avec cette proximité forcée, mais je suis rassuré car elle ferme immédiatement les yeux, à peine assise, et écoute sa musique dans ses écouteurs. Je peux l’observer à loisir et mon esprit ne peut que la comparer à Joy. Toutes les deux sont jolies, mais ma brune a tellement plus de charme et j’aimerais savoir d’où ça vient. Ce n’est pas du côté des formes et des courbes que je vais trouver la réponse car Charline n’a pas à se plaindre de ce qu’elle a. Celles de ma chérie sont juste un peu plus rondes, mais la différence ne peut pas venir de là. Le sourire peut-être ? Là, c’est sûr que Joy est beaucoup plus expressive, mais je crois que je serais amoureux de Joy même si elle ne souriait jamais. Je ne sais pas pourquoi mon cœur a choisi Joy, mais c’est en tous cas une réalité. En face de Charline, même en l’observant avec attention, je n’éprouve aucune attraction. J’apprécie et peux constater qu’elle est mignonne, mais cela ne va pas au-delà.

Le train arrive rapidement à la gare de Bruxelles-Midi et nous descendons l’un derrière l’autre. Un taxi nous attend et nous nous y engouffrons pour aller directement à l’hôtel afin de nous préparer pour les essayages et répétitions du jour. La présence de la télé oblige en effet à quelques réglages et il va falloir que l’on fasse une représentation aujourd’hui pour que le réalisateur sache à quoi s’attendre. En attendant, le taxi nous dépose et le chauffeur nous indique qu’il repassera nous prendre juste après le déjeuner pour nous emmener dans la salle où aura lieu le concours.

Je précède Charline dans le lobby de l’hôtel et donne nos noms à la réception. Un jeune homme, habillé comme Fantasio car on n’est pas en Belgique pour rien, nous montre le chemin vers notre chambre, sous le regard émerveillé de la jeune femme qui m’accompagne.

— Ouah, c’est vraiment superbe ici. Je ne suis jamais venue en Belgique, c’est l’occasion rêvée, même si on ne va pas avoir le temps de faire du tourisme.

— Tu es originaire de où ? Comme tu vois, la Belgique n’est pas si loin. Et il va falloir t’y faire à ce type d’hôtel. Si tu as du succès, cela deviendra une habitude pour toi.

— Je suis Bretonne, j’ai vécu à Brest toute ma vie. Il faut que j’envoie des photos à mes parents, sourit-elle en sortant son téléphone.

Je la regarde faire, attendri de la voir aussi enthousiaste, juste parce qu’elle est en Belgique. Cela fait des années que j’habite à Lille et, vu la proximité du pays, j’y suis régulièrement, que ce soit pour visiter, danser ou simplement faire des courses ou acheter de l’essence. Charline a ses défauts, c’est sûr, mais elle reste une jeune femme toujours un peu naïve.

Nous arrivons à nos chambres qui sont côte à côte et communiquent par la salle de bain qui se situe entre les deux. Je vérifie tout de suite et suis soulagé de constater que je peux verrouiller l’accès de ma chambre depuis l’intérieur de celle-ci. Charline est cependant entrée avec moi et je suis immédiatement sur mes gardes.

— Alken, tu as vu tout l’espace que nous avons ?

— C’est juste ma chambre, Charline. La tienne est à côté. Ne te trompe pas ! rétorqué-je, un peu gêné alors qu’elle s’assoit sur mon lit, sans être plus perturbée que ça.

— Oui, oui, t’inquiète pas. Pas de panique, Alken. De quoi tu as peur, au juste ? Je ne vais pas te violer, non plus.

— On est juste là pour danser ensemble, Charline, rien de plus. Je veux juste que ce soit clair entre nous. Et j’essaie donc d’éviter les situations où ça pourrait ne pas être clair, tu vois ce que je veux dire ? Chat échaudé craint l’eau froide, comme on dit.

— Je laisserai la porte de ma chambre ouverte quand même, au cas où tu changerais d’avis, dit-elle en me faisant un clin d'œil avant de se lever et de tournoyer dans la pièce, le sourire aux lèvres.

— Si j’étais toi, je la fermerais bien quand même. Ce n’est pas moi qui vais venir, alors c’est juste une invitation au crime, ça. Mais bon, quoi que je dise, tu as l’air heureuse d’être ici, soupiré-je. Tu veux que je te laisse cette chambre et je prends l’autre ?

— Non, non, je vais prendre l’autre, pas de souci. Mais c’est vrai qu’on est bien ici aussi. N’oublie pas mon invitation, Alken, dit-elle en se mordillant la lèvre, charmeuse.

Elle sort en m’envoyant un baiser virtuel de la main et je me dis que des fois, je dois parler Chinois avec mes élèves. Surtout avec elle. Je n’ose pas renchérir ou répéter à nouveau qu’elle ne m’intéresse pas du tout car nous avons un concours à passer ensemble, mais je sais qu’il va falloir que je reste sur mes gardes. Ça promet, car nous allons passer énormément de temps à deux, entre les répétitions, le concours, les cérémonies. J’espère qu’elle ne va pas faire une bêtise et que tout se passera bien.

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