62. Bourreau des cœurs

7 minutes de lecture

Alken

Quelle belle performance nous avons réalisée ! C’est fou comme j’ai réussi à oublier que j’étais en train de danser avec Charline pour m’imaginer dans les bras de ma brune. Finis les blocages, envolées les réticences, j’ai dansé pour danser et cela a délivré la rousse qui a réalisé là sa meilleure prestation. Elle a su se sublimer pour le moment clé de la représentation, ce qui est aussi le signe d’une future grande danseuse.

Suite à notre prestation, nous nous sommes installés à l’arrière de la salle où les autres couples se produisent. Charline est à mes côtés et n’est visiblement pas contente de me voir passer tout mon temps sur mon téléphone. Mais maintenant que la représentation est terminée, je ne vois pas pourquoi je ferais des efforts pour effacer le mur que j’essaie d’instaurer depuis qu’elle s’est déshabillée devant moi. Et c’est tellement bien de pouvoir échanger avec Joy qui me manque énormément pendant ce concours. Je sais que ce ne sera pas la dernière fois que je danse avec une autre partenaire qu’elle. Mais si ça arrive, ce que je veux, ce dont j’ai besoin, c’est d’elle dans l’assistance. Elle avec qui échanger après ma prestation. Elle avec qui patienter en attendant les résultats.

Quand enfin le concours s’achève, je ne sais plus trop quoi penser. Je crois que nous avons nos chances, mais nous ne sommes pas les seuls. Beaucoup de très belles choses pendant cette journée. Mais je suis rassuré car nous n’avons pas démérité et nous nous sommes surpassés. La retransmission s’étant arrêtée, Joy est en train de rentrer chez nous, raccompagnée par Kenzo. Je peux donc me tourner vers Charline qui boude à côté de moi.

— Bravo, Charline, belle prestation. Tu as réussi à faire mieux qu’aux entraînements.

— Ah ben merci, il était temps, je pensais que tu allais faire comme si je n’existais pas jusqu’à notre retour en France.

Elle n’a pas tout à fait tort, la petite. Je l’ai magistralement ignorée pendant tout le concours et ce n’était pas très poli.

— Désolé Charline, tu as raison, je me suis montré un peu rustre. Ce qui n’enlève rien à la qualité de ce que tu as montré ce soir.

— Merci. T’étais moins coincé, aussi, ça aide.

— Comment ça, moins coincé ? J’ai dansé avec mon cœur, comme je le fais toujours, c’est tout. Je me transcende dans les grandes occasions, tu sais ?

— Ouais, enfin ça aurait été pas mal que tu sois comme ça avant aussi, ça m’aurait permis de m’ajuster davantage, soupire-t-elle.

— Arrête de te plaindre, on a fourni un beau spectacle, c’est ce qui compte, non ? Tu as été superbe, vraiment.

— Merci. J’ai tout donné, mais c’est un peu frustrant toutes ces heures de travail pour trois minutes de prestation…

— Eh oui, tu découvres la vie de danseuse. C’était quand même trois belles minutes, non ?

— Oui, sourit-elle. Tu crois qu’on a nos chances ?

— On a toutes nos chances. Reste à savoir si la Reine a apprécié. Tu sais que sa voix est prépondérante ? Et puis, même si on ne gagne pas, on aura porté une belle image de l’ESD à nous deux.

— Je ne fais pas ce concours pour l’ESD mais pour moi, Alken. Pour ma carrière. Offrir une belle image à l’ESD, ça ne m’apportera rien. Je veux prouver à mes parents que me battre pour entrer dans cette école n’était pas juste une petite crise, que c’est ce pour quoi je suis faite. Bref, tu peux pas comprendre, soupire-t-elle.

— Si je ne peux pas comprendre, je n’essaierai pas, rétorqué-je un peu brusquement, redressant le mur que j’avais un peu fait tomber.

Je me renfrogne dans mon siège en attendant les résultats qui tardent à venir. Nous avons une vue sur le jury et j’ai l’impression que les discussions vont bon train. Il n’y a pas l’air d’avoir d’accord. Je constate que Charline est stressée et qu’elle se serre maladivement les mains. Je me décide à refaire une petite tentative en attendant l’annonce du résultat.

— Tu sais comment ma carrière s’est vraiment lancée, Charline ?

— Non, comment ? me demande-t-elle en se tournant vers moi.

— Eh bien, c’était en Irlande, j’avais à peu près ton âge. Un peu plus, en fait. J’ai fait un concours de danse contemporaine et je pensais avoir donné le meilleur de moi-même. Mais je n’ai fini que quatrième. J’étais désespéré. Quelques jours après, j’ai reçu l’appel d’un chorégraphe alors encore pas très connu. J’avais tapé dans l'œil de Mohamed Benkali et il m’a demandé d’assurer le rôle principal dans sa création. J’ai perdu le concours mais gagné une carrière. Ce qui compte, c’est donc bien de toujours donner le meilleur de soi-même.

— Ça, ça ne suffit pas à mes parents. Je dois être la meilleure tout court, pour eux. Pas de deuxième place acceptée, pas de faux pas. Tu vois ?

— Je vois, tu sais, des fois, il faut relâcher la pression et se détendre un peu. Il y a tellement de choses plus importantes dans la vie. J’espère que tu apprendras à vivre un peu pour toi et moins pour tes parents.

— Mais moi aussi je veux être la meilleure, rit-elle doucement. A quoi bon venir ici si ce n’est pas pour gagner ?

— Pour profiter, prendre du bon temps, danser, s’exprimer, donner du bonheur aux autres. Tu connais la devise des Jeux Olympiques, non ?

— Profiter et prendre du bon temps, hein ? Je t’ai proposé, tu ne veux pas, me dit-elle en posant sa main sur la mienne, sur l’accoudoir.

— Je parlais du plaisir de la danse, Charline, de rien d’autre, m’énervé-je un peu en enlevant ma main.

Elle a le chic pour revenir toujours à la charge et ne comprend pas du tout que l’on ne peut pas toujours gagner et que ce n’est pas grave. Si Joy était là, je suis sûr qu’elle comprendrait, elle, et qu’elle serait d’accord avec moi. Elle me manque trop, ma brune. Néanmoins, quand enfin la Reine s’avance pour annoncer les résultats, malgré tout ce que j’ai dit sur l’importance de la participation, je ressens les battements de mon cœur dans tout mon corps. J’ai envie de gagner, moi aussi, et je laisse ma main dans celle de Charline quand celle-ci s’en empare, emportée par l’émotion. Nous écoutons tous religieusement la souveraine qui remercie tous les participants, évoque le talent de tous et souligne l’importance du travail et de l’engagement pour arriver à de tels résultats. C’est toujours un peu le même blabla. Elle en arrive enfin à l’annonce du résultat et nous informe que le classement final sera projeté derrière elle une fois l’annonce faite.

— Et les gagnants du douzième concours royal de danse contemporaine sont… s’arrête-t-elle dans un suspense insoutenable, Matthew et Sabrina de la Royal Academy of London.

Les applaudissements retentissent alors que la déception emplit tout mon être. Mon regard se porte sur l’écran et je constate que nous sommes sur le podium, mais à une modeste troisième place. Charline, à côté de moi, s’effondre en larmes sur son fauteuil. Pour elle qui voulait la victoire, cette médaille de bronze doit avoir un goût amer.

— Troisième, ce n’est pas si mal, Charline. Nous n’avons pas démérité.

J’essaie de lutter contre ma propre déception pour soutenir ma partenaire qui est aussi ma jeune élève. Il faut que je sois là pour l’aider à faire face à cette défaite de notre part.

— Si tu le dis… Je… Je suis dégoûtée, franchement, grimace-t-elle, très déçue.

— Tu as été merveilleuse, Charline. Arrête de pleurer et sois fière de ce que tu as produit ! Du plaisir que tu as provoqué chez les autres !

Je me penche vers elle et lui prends ses mains dans les miennes avant de lui saisir le menton pour qu’elle lève les yeux vers moi.

— Et toi, tu as apprécié danser avec moi ?

— Bien sûr que j’ai apprécié ! C’était une belle prestation et on a formé un beau couple, Charline.

Je mens sans regret pour essayer de lui redonner un peu le moral et surtout pour qu’elle conserve sa confiance en elle. Elle en a déjà trop, mais ce revers devrait l’aider à trouver le juste milieu entre trop et pas assez confiance.

— Merci, Alken, murmure-t-elle avant de poser ses lèvres sur les miennes brusquement en s’accrochant à ma nuque.

Je me recule immédiatement alors que déjà sa langue essayait de s’infiltrer entre mes lèvres et la repousse.

— Non, mais tu fais quoi, là ? Tu n’as toujours pas compris ? On est partenaires de danse ! Pas autre chose !

— Tu n’en avais pas envie ? demande-t-elle, perplexe. Je croyais que… Enfin, tu vois, ta main sur mon menton…

— Mais non, je t’ai déjà dit que j’avais une femme dans ma vie, Charline ! Tu abuses, là !

— Je… Je… Pardon, bafouille-t-elle en rougissant, je ne sais pas ce qui m’a pris.

— Je crois que tu sais très bien ce qui t’a pris. Je vais mettre ça sur le compte de la déception, mais ne t’avise plus de recommencer. Si un jour, je veux un baiser, je saurai le demander.

— Oh, ça va, Alken, c’est qu’un baiser, marmonne-t-elle. J’ai pas réussi à me contrôler, tu me plais, tu m’attires, c’est comme ça.

— Eh bien, il faut que tu te contrôles, Charline. Moi, tu ne me plais pas et j’ai horreur qu’on me force la main, grondé-je alors que j’ai l’impression que ma colère l’excite encore plus.

— Alken, je n’y peux rien, mais j’ai envie de toi. Et un jour, tu céderas à mes envies, je te le promets.

— Tu es folle Charline. Jamais, je ne serai à toi.

Je la laisse et m’éloigne rapidement d’elle. Ses larmes de déception ont été vite oubliées pour laisser à nouveau place à l’expression de son désir malsain. Je ne sais pas jusqu’où elle est prête à aller mais clairement, elle va encore réessayer. Quelle journée pour moi ! Même si j’ai dit le contraire, je suis déçu de notre troisième place. Et maintenant, viennent s’ajouter les avances d’une élève qui a envie de me mettre dans son lit. Il va vraiment falloir que je la calme...

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0