Chapitre 14 - Le jour du souvenir
Pendant les jours qui suivirent l'apparition des deux dragons morts-vivants, Freyki avait ordonné la surveillance des cimetières de la capitale. Mais rien de spécial ne se passa.
— C'est quand même étrange que des nécromanciens s'amusent à ramener à la vie des dragons de la première guerre...
Il regardait le ciel par la fenêtre de sa chambre pendant que sa compagne se changeait. Il était encore tôt, et le soleil venait à peine de se lever.
— C'était sûrement un test. Ils voulaient vérifier que ce genre de magie ancienne fonctionnait...
La voix de la jeune femme était légèrement inquiète. Tandis qu'elle enfilait une longue tunique bleue, elle continua :
— Je pense que c'est sûrement des membres du Culte des Ombre qui sont derrière tout ça. Il en restera toujours quelques-uns...
— C'est une croyance que je ne comprends pas...
La voix du roi loup était fatiguée. Il se tourna vers la jeune femme.
— Comment peut-on vénérer une déesse qui n'apporte que mort et destruction ?
Sa compagne attachait ses longs cheveux en queue de cheval. Avec un sourire ironique, elle lui retourna la question.
— Et comment peut-on vénérer une déesse qui n'apporte que paix et prospérité ?
— Tu te moque de moi ?
Jaelith secoua la tête.
— J'essaie seulement de me mettre à leur place. Il s'agit peut-être de personnes déçues par la lumière et qui cherchent le réconfort ailleurs...
— Foutaises !
Freyki avait hurlé. Son regard noir de colère plongea dans celui de sa compagne, et cette dernière compris qu'il était temps de parler d'autre chose. Sans le regarder, elle demanda :
— Tu te sens d'attaque à supporter cette journée du souvenir ?
L'homme à la cicatrice poussa un long soupir.
— Comme chaque année, il va falloir que je fasse un petit discours et que je participe à ce bal idiot qui termine la journée.
— Un bal ?
La jeune femme eut un léger sourire. Le souverain grogna :
— Oui, un bal. Ce genre de soirée idiote où je dois danser avec des pimbêches qui ne cherche qu'à me séduire pour avoir une place dans mon lit.
A peine avait-il finit sa phrase qu'il se rendit compte de ce qu'il avait dit. Il lança un regard triste à Jaelith qui haussa les épaules.
— Ne t’inquiète surtout pas Freyki. Je ne te demanderai pas de danser avec moi.
— Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.
— Je sais.
Pourtant, elle était un peu vexée. Le roi tenta d'arranger la situation.
— Si c'est avec toi, alors ça ne me dérangerais pas.
— Je le sais aussi.
Elle lui lança un sourire.
Le petit garçon était planté devant le vitrail qui venait tout juste d'être posé à la chapelle. Il représentait un immense dragon noir, attaqué par quatre personnes. Chacune d'elle portait une épée et se jetait sur la terrible bête. Un profond sentiment d'admiration monta en lui, car les personnes qui étaient représentées existaient réellement. Elles s'étaient battues avec courage pour défendre la cité. Quelques bardes chantaient même leurs exploits.
— Tu sais qui sont ces personnes ?
Une voix claire venait de prononcer ces paroles et le petit garçon se retourna. Il se retrouva face à un adolescent aux yeux dorés.
— Non, je ne sais pas. Tu les connais ?
Feiyl fit un léger sourire. Il s'approcha du petit garçon.
— Tu vois le paladin aux longs cheveux bruns qui utilise son bouclier ?
Le gamin hocha la tête. Le dragon continua.
— C'est Elrynd Kervalen. C'est le général paladin de la cité.
— Général paladin ?
— Oui. Et l'homme aux cheveux noir qui saute au-dessus du dragon avec son épée, c'est le roi.
Le petit garçon semblait émerveillé.
— La femme avec les longs cheveux blonds qui se trouve face au dragon, c'est Jaelith Librevent. Elle est aussi paladin.
— Ça existe les femmes paladin ?
— Bien sûr !
L'enfant tendit son bras et demanda :
— Et celui avec les cheveux bleus qui se trouve à côté de la fille et qui tiens une épée, c'est qui ?
— Lui ?
Feiyl baissa la tête.
— C'est un dragon.
Le petit garçon semblait soudain perdu.
— Un dragon ? Alors pourquoi est-ce qu’il ne ressemble pas à un dragon ?
— Parce qu'il a peur de blesser ses amis en se transformant.
Le gamin hocha la tête et un grand sourire apparut sur son visage.
— C'est un gentil dragon alors !
Une voix de femme retentit plus loin, et l'enfant soupira.
— C'est ma maman, je dois y aller.
Il commença à courir, puis se retourna vers Feiyl en lui faisant signe :
— Merci pour l'histoire du vitrail !
Le dragon eut un sourire. Il se sentait beaucoup mieux. Tous les humains n’étaient pas mauvais. Chaque jour, il en avait un peu plus la preuve.
Pour beaucoup, le jour du souvenir était un jour de liesse. Il commémorait la fin de la première guerre de la Griffe Noire. Pourtant, Jaelith n'aimait pas cette journée. Elle lui rappelait que sa mère était morte. Seule, elle s’était aventurée dans le grand cimetière de Goldrynn. Là reposaient tous ceux qui étaient tombés. Elle avançait dans les allées, les dates étaient toutes différentes, les tombes étaient plus ou moins entretenues. Certaines étaient recouvertes par la verdure environnante. La joie était dans tous les cœurs, mais pas dans le sien. La jeune femme resta debout devant les tombes, sans rien dire, pendant quelques minutes. La voix de Freyki se fit alors entendre derrière elle.
— Tu es partie si vite ce matin... Tu es fâchée à cause de ce que j'ai dit ?
Jaelith hocha la tête.
— Non... J'avais juste besoin de me recueillir un peu ici.
Une larme coula lentement le long de sa joue gauche, ce qui n'échappa pas au roi.
— Est-ce que ça va ?
La jeune femme hocha la tête pour lui signifier que oui. Pourtant, elle sentit que les larmes coulaient à flots.
— Jaelith...
Sa vue se brouillait derrière les larmes qui ne cessaient de couler. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Sa main tremblante se posa sur le bras de Freyki. Elle eut un vertige et sentit ses jambes se dérober sous elle. L'homme à la cicatrice la soutint pour l'empêcher de tomber.
— Viens, allons-nous reposer un moment.
Il l'emmena plus loin et l'aida à s'assoir sur l'herbe avant de se placer à ses côtés. Les pleurs de la jeune femme se calmèrent au bout de quelques minutes.
— Est ce que ça va mieux ?
La voix du souverain était emprunte d'inquiétude. Jaelith lui lança un regard triste. Elle se força à sourire.
— Oui... Oui, je vais mieux.
Le roi loup n'y croyait pas un seul instant. Cependant, il lui proposa de faire un tour dans le quartier des marchands pour se changer les idées. Elle accepta. Ils descendirent le chemin qui conduisait la place principale de la cité en quelques minutes. Une fois arrivés, ils se dirigèrent vers le quartier des marchands.
Freyki souriait. Mais son sourire s'effaça bien vite lorsque son regard croisa celui de Jaelith. Le visage de la jeune femme reflétait une indicible tristesse. L'homme à la cicatrice la dévisagea intensément alors qu'ils marchaient le long de la grande allée marchande. Il y avait foule en ce jour de célébration. Elle s'arrêta en face d'une vitrine d'un magasin. Quelque chose avait attiré son regard. Elle s'était approchée, suivie de près par son compagnon.
— Tu as vu quelque chose d'intéressant ?
— Elles ressemblent aux siennes...
C'était des boucles d'oreilles. La jeune femme les examina de plus près. C'était des anneaux d'argent gravés, qui brillaient sous le soleil. Le vendeur lui lança un large sourire.
— Vous êtes intéressée par ces boucles d’oreille ? Je peux vous faire un prix, c’est jour de fête après tout…
Jaelith fouilla dans sa bourse et en sortit quelques pièces d'or. L'affaire fut conclue et les boucles d'oreilles étaient désormais en sa possession. Même si ce n’étaient pas les siennes, elle pouvait les porter en souvenir de sa mère.
— C'est étonnant.
Freyki avait pensé à voix haute. Sa compagne s'était tournée vers lui et lui avait demandé :
— Qu'est-ce qui est étonnant ?
— Tu n'es pas du genre à porter de bijoux comme toutes ces dindes de la cour.
— C'est parce qu'elles ressemblent à celles que portait ma mère.
Elle leva les yeux au ciel, l'air triste.
— Excuse-moi, je ne voulais pas...
— Tu n'as rien à te reprocher Freyki. C'est juste moi. Je prends cette journée trop à cœur.
Elle lui fit un large sourire, et même si elle se forçait, cela ne se voyait pas cette fois. Au loin, les cloches de la chapelle de lumière s'étaient mises à sonner.
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