Chapitre 32 - Anh'Feiyl
Tandis qu'elle marchait au plus profond de la grande forêt, Jaelith fut prise d'un malaise. Elle s’agrippa à la manche de son compagnon.
— Je ne me sens pas bien....
L'humain qui l'accompagnait s'était retourné vers elle.
— Nous ne pouvons pas nous permettre de faire à nouveau une pause.
— Juste quelques minutes. S'il vous plait, Freyki.
Le roi loup s’approcha de la jeune femme pour l'observer de plus près.
— Vous êtes encore plus pâle que d'habitude. J'ai bien peur que vous ne soyez malade. Il serait préférable d'atteindre la frontière le plus vite possible.
Il posa sa main sur son front et le sentit brûlant.
— Le plus urgent sera de trouver un prêtre pour vous examiner.
Elle hocha la tête avant de se relever doucement. Freyki lui prit tendrement la main.
— Nous marcherons à votre rythme.
— Mais cela risque de nous ralentir.
— Je préfère cela plutôt que de vous voir vous évanouir.
Un léger sourire était apparu sur le visage balafré, et l'espoir inonda le cœur de la jeune femme. Elle aimait à penser qu'elle avait eu des sentiments pour lui dans son autre vie. Sentiments qu'elle avait toujours, d'une certaine manière.
— Frederik ! Attend moi !
Feiyl avait du mal à suivre l'apprentie. Ce matin, elle lui avait dit qu'elle partait au sud, seule. Elle en avait assez d'attendre dans le village sans rien faire. De plus, l’attitude passive d’Elrynd l’énervait au plus haut point. Le dragon avait haussé les épaules et lui avait demandé si elle était sûre de son choix.
— Bien sûr ! Sinon je ne partirais pas !
L'adolescent s'était retenu de rire à cette réponse. Décidément, cette femme était une véritable tête brulée. Elle lui rappelait Jaelith par certains côtés de sa personnalité.
— Cela te dérangerait si je venais avec toi ?
Frederik l'avait regardé avec de grands yeux écarquillés. Elle avait secoué la tête avant de rire.
— Toi Feiyl, celui-là même qui préconisait de ne rien faire, toi, tu voudrais venir avec moi ?"
Le dragon eut un léger sourire.
— Certes, j'ai proposé de ne rien faire. Mais si tu te décides à partir au milieu du danger, je ne vois pas ce qui m’empêcherait d'en faire autant.
— Le général peut être ?
— Non... Même si il s'inquiète facilement pour tout et n'importe quoi, Elrynd ne me forcerait pas à rester ici.
Frederik attacha son épée à sa ceinture avant de lui adresser à son tour un large sourire.
— Alors, qu'est-ce que tu attends ?
C'est ainsi qu'ils étaient partit tous les deux, de bon matin, sans prendre la peine de prévenir quelqu'un.
Au début de l'après-midi, l'humain et sa compagne arrivèrent devant ce qui avait été la capitale des elfes pendant des siècles. Castelfay. Le soleil inondait les ruines, rendant aux bâtiments éventrés un semblant de vie et de leur éclat d’antan. Pourtant, une odeur de mort envahissait encore les lieux. De nombreux débris de pierres trainaient çà et là. La végétation était quasiment inexistante. Une véritable apocalypse.
Jaelith avançait prudemment, tout en imaginant ce qu’avait autrefois pu être cette magnifique cité. Elle sentait une énergie étrange se dégager des ruines. Quelque chose se trouvait sous le sol qu’elle foulait. Un mal insondable, dont Freyki, qui la suivait, ne soupçonnait pas l’existence. Elle s’attendait à être attaquée, car elle savait qu’ici, il devait se cacher quelques créatures terrifiantes. Jaelith murmura pour elle-même, et pour les âmes qui devaient se trouver là :
— Sina’dora anh’da.
Une larme coula le long de sa joue, rapidement suivie d’une autre. Freyki lui demanda d’une voix douce :
— Est-ce que tout va bien ?
Mais les larmes de la jeune femme continuaient de couler à flot. Elle tremblait. C’était quelque chose qu’elle ne pouvait pas contrôler. Elle sentit monter en elle une immense tristesse à l’idée de tous ceux qui étaient tombés sur le sol qu’elle foulait. La jeune femme n’avait pas connu la guerre terrible qui avait souillé cet endroit. Elle n’arrivait pas à s’imaginer ses semblables se battre ici, de toute leurs âmes, avec tout leur courage, contre une terrible créature si puissante qu’elle avait engloutit toute la vie qui s’y trouvait. Jaelith s’était blottit dans les bras de son compagnon.
— Ils sont morts… Tous morts…
Les mains du roi loup se posèrent son dos frêle et il tenta de la calmer. Au bout de quelques minutes, les sanglots s’étaient taris, et elle leva la tête vers Freyki.
— Il s’est passé quelque chose d’horrible ici…
— Je sais. Nous en avons entendu parler lorsque c’est arrivé.
Il laissa alors sa main s’attarder sur les cheveux dorés de la jeune femme. La princesse frissonna. Bien entendu, on lui avait souvent raconté cette histoire. Celle d’un peuple qui avait perdu beaucoup de ses membres. Un peuple qui avait sacrifié ses souverains pour enfermer ce mal abject. Et elle, Jaelith, demie -elfe, était l’un de ces rares enfants de l’après-guerre.
— J'ai un très mauvais pressentiment...
A peine avait-elle prononcé ses paroles qu'elle sentit le monde tourner autour d'elle. Elle avait entendu la voix de Freyki, puis plus rien.
Les gardes entouraient ceux qui avaient été choisis. Malgré le vacarme qui venait de dehors, tous se trouvaient à l'intérieur du temple du Dieu cerf. Certains s'étaient laisser aller à pleurer, d'autre hurlaient de rage devant la tournée qui leur avaient été annoncée. Jaelith tourna la tête, incrédule. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Où était passé Freyki ? L'un des Drinvels s'avança vers un elfe qui criait sa rage.
— Soyez heureux d'avoir été choisis par le Dieu cerf. Grâce à vous, les ténèbres seront emprisonnées pour l'éternité et les morts resteront en terre.
— Heureux ? Vous vous moquer de moi ? C'est la pire chose qu'il puisse nous arriver !
A côté de lui se trouvait une femme, un enfant dans les bras. Le regard mouillé de larmes, la voix tremblante, elle sanglota :
— Tuez nos proches, nos enfants, nos familles ! Mais c'est impossible ! Pour qui vous pensez-vous ? Mon mari vient de mourir ! Il a été tué par les démons ! Et vous voulez que je sacrifie ma fille, notre fille !
Le Drinvel tourna la tête vers la femme, et son regard se durcit.
— C'est la seule façon de sceller les ténèbres et de détruire ce monstre.
— Non, il doit y'avoir un autre moyen, il y a forcément un autre moyen !
La femme fut repoussée par le Drinvel et tomba à terre. Il hurla :
— Ne discutez pas les ordres ! Vous le ferez, un point c'est tout ! Vos âmes seront les maillons qui scelleront les ténèbres !
Jaelith allait hurler à son tour, mais un homme s'approcha et osa lancer :
— Mais quel monstre est l'empereur pour autoriser une chose pareille ?
— Comment osez-vous blasphémer ?
A cet instant, la grande porte du temple s'ouvrit. Deux elfes s'avancèrent vers les gardes qui les saluèrent avec respect. Il s'agissait de l'empereur et de l’impératrice. Le silence s'était fait instantanément dans la grande salle. La voix douce et apaisante de l'empereur résonna :
— Je sais que le sacrifice que je vous demande est infâme, mais nous n'avons pas le choix.
Il leva Anh‘Feiyl qui brilla faiblement avant de continuer.
— Notre mort ne signifie pas la fin... Nos âmes détruiront ce monstre, scelleront les ténèbres, et la clé sera Anh ‘Feiyl.
L'empereur s'avança au milieu de la salle et planta l'épée dans le sol. Puis il se tourna vers l'impératrice. Il la regarda d'un air attristé et murmura :
— C'est cruel... J'aurai voulu que nous n'en arrivions pas à cette extrémité.
La voix claire de sa femme ne tremblait pas.
— Je ne suis pas triste, car grâce à toi, des milliers d'autres survivront. Et je ne parle pas que de notre peuple...
Il tenait fermement le poignard dans ses mains tremblantes. L'impératrice le força presque à le maintenir près de son cou. Un léger sourire aux lèvres, elle l'encouragea :
— N'hésite pas. Et sache que je t'aimerai toujours...
La lame entra dans la chair tendre qui n'émit aucune résistance et le sang coula le long du bras de l'empereur. Elle tomba lourdement sur le sol, et ses yeux se fermèrent pour l'éternité. Anh’Feiyl brillait de mille feux. Jaelith hurla. Elle venait de comprendre de quoi se nourrissait l'épée.
— Jaelith !
Elle avait ouvert les yeux, d'un seul coup, le souffle court. Freyki était penché sur elle.
— Tout va bien ? Vous m'avez fait une de ces peurs !
— C'était juste un malaise...
L'homme à la cicatrice l'aida à se relever.
— Je ne veux pas rester ici un instant de plus Freyki. Cet endroit est terrifiant.
Le roi loup acquiesça. Il ne l'avait pas dit, mais il pensait lui aussi que cet endroit n'était pas aussi calme que ce qu'il semblait être.
— Quel est cet endroit ?
Frederik observait les ruines de ce qui semblait avoir été une cité elfique. Elle tourna la tête vers son camarade, espérant une réponse.
— J'ai l'impression que c'est tout ce qu'il reste de Castelfay.
— Castelfay ?
Le ton sur lequel elle avait prononcé ce nom indiqua à Feiyl qu'elle n'avait aucune idée de la catastrophe qui avait eu lieu ici.
— Nous nous trouvons dans l'ancienne capitale des elfes. Il y a eu une attaque. Démon, morts vivants, monstres... Ceux qui n'ont pas vécus ici ne savent pas vraiment ce qu'il s'est passé. La seule certitude, c'est que la destruction de cette cité a été orchestrée par des humains.
— Cela ne m'étonne pas plus que l'Impératrice les déteste.
— C'est ce qu'il se dit... Moi, je pense qu'il y a autre chose derrière tout ça.
— Toujours aussi soupçonneux Feiyl.
— Il le faut bien.
Freyki fit signe à sa compagne de ne pas bouger. Doucement, elle demanda à voix basse :
— Que se passe-t-il ?
Sans se retourner vers elle, aux aguets, il répondit :
— J'ai entendu des voix par là-bas.
Il montra discrètement les ruines de ce qui avait dû être un temple.
— Ce sont peut-être des Drinvels. Et je n'ai pas d'arme pour me battre et vous protéger Jaelith.
— Ne vous inquiétez pas pour moi. Je saurais me défendre si quelqu'un venait s'attaquer à moi.
La phrase était sortie toute seule. Pourtant, la jeune femme savait très bien qu'elle était incapable de porter une épée. Alors se défendre, encore moins. Freyki secoua la tête.
— Restez ici, je vais voir ça de plus près. Et surtout, ne bougez pas.
Discrètement, il s'était avancé vers les ruines.
Frederik et Feiyl avaient tourné la tête au même moment. Quelque chose s'approchait d'eux. Quelque chose, ou quelqu'un. Les épées furent lentement sortit de leur fourreaux, sans faire de bruit. Le dragon lança un regard à l'apprentie qui hocha la tête. Cette dernière s'avança vers le mur de pierre qui tombait en ruines. Doucement, elle se plaqua contre lui et se déplaça vers l'endroit d'où provenait l'énergie qu'elle ressentait. La jeune femme serra son arme entre ses mains, prête à frapper. Elle s'approchait, très lentement, puis leva l'épée au-dessus d'elle.
Freyki avait le cœur qui battait de manière frénétique. Il aurait été plus rassuré s’il avait été en possession d'une arme. Il n'entendait plus les voix. Est-ce qu'il avait été repéré ? Très lentement, il regarda derrière le mur, laissant apparaitre une partie de son visage. Il espérait que personne ne le verrait.
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