Chapitre 33 - Guet-apens
L'apprentie paladin avait vu quelque chose bouger, et sa main s'était crispée sur le poignet de son épée. Elle avait vu apparaitre quelque chose. Des cheveux noirs comme le plumage d'un corbeau, et un visage balafré. Le coup qu'elle allait porter s'arrêta prêt de la gorge de l'homme à la cicatrice. D'une voix tremblante, elle demanda :
— Majesté ? C'est bien vous ?
Freyki tourna la tête vers celle qui avait failli le décapiter.
— Qu'est-ce que... Mais qu'est-ce que vous faites ici ?
Frederik recula. Feiyl parut soulagé. Le dragon s'avança vers le souverain.
— Roi Loup, c'est rassurant de vous savoir en vie et en bonne santé.
Le regard de l'homme à la cicatrice se posa sur l'arme que portait l'apprentie. D'une voix pleine de colère, il demanda à l'adolescent :
— Elle a essayé de me tuer ?
Jaelith avait peur. Peur pour elle, certes, mais aussi peur pour l'humain. Elle avait entendu des éclats de voix, mais Freyki lui avait dit de ne pas bouger. Elle hésitait à lui désobéir. La jeune femme entendit un bruit derrière elle. Elle se retourna. Au loin, elle avait aperçu des Drinvels. Sans attendre l'autorisation de son compagnon, elle fonça le rejoindre.
— Freyki !
L'intéressé se tourna vers la jeune femme qui arrivait en courant. Voyant sa mine déconfite, il avait rapidement compris qu'il se passait quelque chose. Elle annonça dans un souffle :
— Des Drinvels !
Elle se jeta dans les bras de l'homme à la cicatrice qui jura. Il tourna son visage vers ses deux compagnons d'infortune. Feiyl, qui avait su garder son sang-froid, leur fit signe de rentrer dans les ruines.
La salle où ils s'étaient réfugiés fit frissonner la princesse. C'était celle qu'elle avait vu dans son rêve. Combien de personnes avaient mis fin à leur vie ici pour sauver celles de leurs compatriotes ? Elle n'en avait aucune idée. Il y avait encore des traces de sang séché sur le sol. La voix de Feiyl résonna.
— Nous sommes quatre et il y a une dizaine d'elfes dehors. Vous avez une idée ?
— Un dragon nous serait d'un grand secours.
Frederik avait tourné sa tête vers l'adolescent en disant cela. Le dragon secoua la tête.
— Rien que la transformation me prendrait beaucoup d'énergie. Un dragon affaibli ne servirait à rien. Toi et moi, nous sommes armés. Tu sais utiliser la lumière, c'est un plus non négligeable. Si le roi pouvait trouver une arme, ce serait parfait.
Feiyl porta son regard sur Jaelith en soupirant.
— Et si Jaelith se rappelait comment se battre, nous aurions une petite chance.
La jeune femme se confondit en excuses. Elle avait honte de devoir compter sur ces étrangers pour la protéger. Elle avait l'impression d'être un fardeau.
— N'importe quoi pourrait me servir d'arme.
Freyki avait joins le geste à la parole en ramassant l'une des épées rouillées qui se trouvait au sol.
— En espérant qu'elle tienne le coup et ne se brise pas entre mes mains.
A peine avait-il dit ça que le premier groupe d'elfe entra dans le temple. Il se retourna vers sa compagne et lui fit signe de se cacher au fond de la salle. Cette dernière acquiesça d'un signe de tête et couru aussi vite qu'elle le pouvait dans son état. Les bruits des épées résonnèrent dans la salle, suivit de cris de douleurs. Si elle le pouvait, elle disparaitrait de cet endroit.
Frederik avait sorti son épée de son fourreau dans un éclair d'argent, puis elle fonça sur le premier elfe, s'interposant entre elle et le roi. Le choc des épées la fit reculer de quelques pas, mais elle était bien décidée à ne pas laisser ses ennemis s'en sortir. Un elfe tenta d'attaquer Freyki par la droite. Ce dernier esquiva facilement avant de lui donner un coup d'épaule qui lui brisa le bras. L'elfe tomba lourdement sur le sol. Ceux qui pouvaient le voir avaient l'impression que Feiyl dansait entre ses adversaires. Ses coups d'épées étaient peut être faible, mais d'une vitesse impressionnante. Les blessures qu'il infligeait n'étaient pas mortelles, mais handicapantes.
Les bruits du combat étaient proches. Trop proche. Discrètement Jaelith s’approcha pour observer la bataille et vit Freyki qui était le plus proche. Elle aurait pu choisir de sortir immédiatement de sa cachette mais attendais le moment propice.
— Tues-les.
La princesse sursauta. La voix provenait de derrière elle. Elle se retourna, mais il n'y avait personne.
— Prends-la, tues-les.
Elle l'avait encore entendue mais ne savait pas d'où elle provenait. C'est alors qu'elle vit une épée dans le sol au fond de la salle. L'épée qu'elle avait aperçue dans son rêve pendant son malaise.
Anh'Feiyl. La sublime lumière. Elle s'en approcha et eut l'impression que l'air vibrait autour d'elle. Cette épée l'appelait. La jeune femme tendit sa main vers la poignée qu'elle effleura du bout des doigts.
— Non !
C'était un cri de peur, terrifiant. Il provenait de l'un des Drinvels. Jaelith s'arrêta pour les regarder, puis posa sa paume sur la poigné de l'arme. Une terrible douleur se fit sentir, et la princesse retira sa main rouge de sang. L’un des Drinvels avait tiré une flèche dans sa direction.
— Pardonnez-moi princesse, mais je n'avais pas le choix.
La voix de l'elfe tremblait. Freyki avait foncé vers sa compagne, inquiet. Il demanda rapidement :
— Ça va ?
— Oui, ce n'est qu'une égratignure.
La blessure qu'elle avait n'était pas profonde. Le roi loup se tourna vers ses compagnons. Feiyl et Frederik se battaient comme ils le pouvaient, passant plus leur temps à esquiver les coups plutôt que de frapper. Si seulement il avait une arme... Ses yeux se posèrent sur Anh'Feiyl. Le poignet de l'épée était taché de sang. Sans attendre un instant de plus, il la retira.
Une lumière aveugla les personnes qui se trouvaient dans la salle. Et lorsque chacun put enfin rouvrir les yeux, Anh'Feiyl se trouvait entre les mains du balafré. Les Drinvels ne bougeaient plus, terrorisés. Freyki s'approcha de l'un d'eux.
— Prêt à mourir ?
L'humain leva l'épée vers son adversaire qui recula, terrorisé. Tremblant de tous ses membres, l'elfe hurla de frayeur avant de prendre la fuite sans se retourner. Le roi loup n'avait pas compris ce qui avait pu le mettre dans cet état-là. Le principal, c'est qu'il était partit sans demander son reste. Ce ne fut pas le seul. Tous s'échappèrent.
Freyki s'était assis à même le sol, reprenant son souffle. Rares étaient les fois où il avait vraiment ressenti la peur. Il leva la tête vers le plafond puis son regard se porta sur l'étrange épée. La lame argentée était recouverte d’inscription elfique qu'il ne comprenait pas. Elle brillait faiblement à la lumière. Le poignet, quand à lui, était d'une grande simplicité. Un joyau, semblable à celui que portait Jaelith autour du cou, décorait la garde. Il n'y avait rien de plus. Si la légende d'Anh'Feiyl n'était pas connue, alors cette épée aurait pu être semblable à beaucoup d'autres.
— Vous avez entendu sa voix ?
Freyki releva la tête vers la jeune femme.
— Non... Une épée ne parle pas...
— Alors, ça devait être dans ma tête. J'ai entendu l'épée m'appeler et me dire de tuer nos ennemis.
Le balafré posa son regard sur Anh'Feiyl. Ce n'était qu'une épée. Le souverain se releva.
— Il est temps de partir. Je ne sais pas si les Drinvels reviendront dans les parages, alors autant prendre la poudre d'escampette maintenant.
Le dragon acquiesça, tout comme l'apprentie. Jaelith ne pouvait détacher son regard de l'épée. Elle avait un mauvais pressentiment.
Elrynd ne comprenait pas l'attitude de ses élèves. Que Frederik parte seule, soit. Ce n'était pas une grande surprise pour lui. Il connaissait le caractère de la jeune femme. Mais que Feiyl la suive, alors ça... Il ne s'y attendait pas du tout. Le général espérait qu'il ne leur soit rien arrivé de grave. Un soldat arriva en courant dans la grande salle où il se trouvait.
— Général ! Le seigneur Gareth est venu de Silverlake pour vous voir !
Le paladin se retourna vers son subordonné et lui fit signe qu’il pouvait faire entrer son mentor. Ce dernier s’approcha du général, le visage inquiet.
— Je suis bien heureux de vous voir sain et sauf, Elrynd.
— Pareillement, mais qu'est-ce qui vous amène ici seigneur Gareth ?
Le vieil homme prit place sur une des rares chaises de la salle.
— Les nouvelles vont vites. J’ai appris la disparition de Jaelith. Vous l'avez retrouvé ?
— Hélas non. Et la tentative du roi a été un désastre.
— C'est à dire ?
— Les hommes qui l'accompagnaient sont tous morts. Et il est actuellement retenu à la cité d'argent en tant qu'otage. Enfin, c'est ce que nous espérons.
Elrynd baissa la tête. Au fond de lui, il gardait l'espoir que le souverain soit encore en vie. Tout comme Jaelith.
Les elfes avaient l’impression que le couloir qui les menait à la grande salle était démesuré. Haletant, ils arrivèrent à destination, s’agenouillant immédiatement face à Enki. Peu des siens le portaient dans leur cœur, mais le chef des Drinvels avait prouvé par ses actes qu’il était un terrible adversaire. Il valait mieux l’avoir dans son camp plutôt qu’en ennemi… Enki regardait ses hommes de haut, et demanda d’une voix sèche :
— Quelles sont les nouvelles ?
Le chef du groupe qui s’était rendu aux ruines de Castelfay se leva, tremblant. Tête baissée, penaud, d’une voix faible, il annonça au général :
— Anh’Feiyl a été retiré de sa prison… Tout ce que l’empereur a scellé risque à tout moment de revenir à la surface. Nous avons pris la fuite et sommes venus vous prévenir le plus rapidement possible.
— Et vous n’avez pas essayé de récupérer l’épée ?
Le chef secoua la tête qu’il osa lever vers son interlocuteur.
— Anh’Feiyl choisit son porteur. Nul autre ne peut la toucher.
Enki ricana.
— Si c’est Jaelith qui possède Anh’Feiyl, alors je ne vois pas où est le problème. Elle est incapable de s’en servir dans son état.
— Général… En fait… Ce n'est pas elle qui a retiré l’épée.
— Pas elle ? Seuls les membres de la famille royale peuvent toucher cette épée !
L’elfe cherchait ses mots. Le général perdait patience. Trépignant, il demanda :
— Mais quoi ?
— C’est l’humain qui l’accompagnait qui en est le porteur.
Le Drinvel ne comprenait pas. Ce n'était pas possible. Seul une personne possédant le sang royal de la famille Lokliar pouvait prétendre à cette épée sacrée. Enki s’avança vers le chef et lui décocha un coup de pied qui le fit tomber à terre. Ce dernier se tordait de douleur, tandis que le général s’adressait à ce qui restait du groupe.
— Il y a un moyen de séparer le porteur et l’épée… La mort brisera ce lien, si profond qu’il soit.
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