Chapitre 22 - L'attaque des Drinvels
La nuit venait de tomber sur la cité. Freyki arracha presque des mains le papier que tenait le messager elfe. Il le déplia et se figea sur place. Son visage était devenu blanc comme un linge.
— Elle est partie... Mais elle n'est pas morte. Elle n'est pas morte...
Il sentait mal. La voix tremblante du messager résonna dans un humain approximatif :
— Elle avec rebelles maintenant.
Toujours pas de mouvement du roi. Son regard était resté bloqué sur ce bout de papier. En son for intérieur, il priait la lumière (chose qu'il ne faisait jamais) de protéger Jaelith. Puis, dans un silence absolu, il quitta la salle. Elrynd et Feiyl, qui étaient présents, se regardèrent : leur devoir était de suivre le roi loup, mais ce dernier les aurait chassés s'ils essayaient. Laissant Freyki, ils indiquèrent au pauvre messager la direction de l'auberge la plus proche.
Freyki parcourait les couloirs du donjon, sans but précis. A l'intérieur de lui, c'était le chaos total. Il avait envie de partir, tout de suite, pour la retrouver. Le roi loup passa près des cuisines et une pensée lui vint à l'esprit. L'alcool. Les cuisines étaient vides à cette heure-ci. Les repas avaient été servis il y a deux heures et le personnel avait tout rangé et nettoya avant de partir.
— Tant mieux...
Il entendit sa voix résonner dans la salle et se dirigea vers la réserve. Là, il y avait tout ce qu'il fallait. De l'hydromel local, des vins en provenances des villes du sud, de la bière... Freyki cherchait du regard quelque chose qui serait assez fort pour lui permettre d'oublier ses problèmes pour la nuit. Il attrapa une bouteille de Vodka en provenance des terres du nord et se retourna pour prendre la direction de sa chambre.
En moins d'une heure, il avait bu la moitié de la bouteille. Le roi loup avait réussi à chasser le chaos de ses pensées. Il se sentait mieux, malgré sa vision floue. Il avait l'impression que son esprit flottait. Des mots pourtant revenaient sans cesse. Jaelith. Partie. Morte. Avec difficulté, il essayait de reconstituer la phrase mais savait qu'elle lui ferait de la peine. Il se laissa tomber sur le lit et attendit que la déesse du sommeil vienne faire son œuvre, ce serait plus simple.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, la lumière du jour l'aveugla au point de lui faire mal. Il trébucha en tentant de se lever et retomba sur le lit. Freyki avait l'impression que quelque chose cognait à l'intérieur de son crâne et son regard se posa sur la bouteille à moitié vide qui se trouvait au sol. Il était sur d'une seule chose : sa gueule de bois serait toujours plus agréable que de savoir qu'elle était partie.
Le soleil s'était levé sur la grande forêt. Beaucoup de rebelles avaient pris le chemin du nord, vers les terres de Fereyan, pour plus de sécurité. Seuls ceux qui désiraient se battre étaient restés.
— Est-ce que tout est prêt ?
La voix claire de Siara résonna. Un elfe lui répondit rapidement. Désormais, il ne restait plus de civils parmi les rebelles. Jaelith demanda à son amie :
— Tu vas attendre l'arrivée des humains avant de lancer une attaque contre l'Impératrice ?
— C'est préférable. Nous sommes trop peu pour réussir quoi que ce soit.
La dame paladin acquiesça. Si elle avait posé la question à Freyki, il lui aurait répondu tout autre chose. Il n'aurait pas hésité un seul instant et se serait lancé avec ses hommes même si ils étaient en sous-nombre.
— Tu repenses à lui ?
Jaelith sursauta.
— Pardon ?
— Tu repenses au roi loup ?
La dame paladin secoua la tête, et Siara eut un rire.
— Tu mens très mal jeune fille. Ton regard dit le contraire. Pourquoi t'a-t-il laissée partir seule ?
— Freyki ne voulait pas que je m’en aille, alors... Je suis partie comme une voleuse.
— Il s'inquiète pour toi.
— Je n'aime pas avoir l'impression d'être enfermé dans une cage. Et il n'a pas l'air de comprendre ça.
Siara haussa les épaules avec un léger sourire. Soudain, un cri brisa le calme du camp. Les deux femmes avaient porté leurs mains sur leurs épées. Inquiète, Jaelith demanda :
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Je ne sais pas, mais nous sommes attaqués.
Les épées sortirent des fourreaux, et tous se dirigèrent vers le lieu des cris. Cinq corps étaient allongés sur le sol. Au-dessus, des elfes bien armés et habillés de noir se tournèrent vers les rebelles. Siaraliane frissonna de peur, elle leva sa main et hurla.
— Les Drinvels ! Fuyez vers le nord !
Sans attendre plus longtemps, tous se mirent à courir, abandonnant le camp. Derrière eux, les Drinvels les suivaient de très près. De trop près. Il y eut quelques cris d'agonie. Jaelith se tourna vers son amie.
— Fuyez !
C'était un ordre. Siara se tourna vers la jeune femme.
— Mais qu'est-ce que tu racontes Jaelith ? Tu comptes rester seule à te battre contre les Drinvels ?
— Je peux les ralentir pendant que toi et les autres prenez la fuite.
— Tu es folle ? Nous n'abandonnerons pas l'une des nôtres et...
— Je te jure que je ne mourrais pas.
Jaelith semblait si sûre d'elle. Siara allait répliquer, mais elle connaissait le caractère de la demie humaine. Elle était têtue et ne céderait pas.
— Reste en vie, c'est tout ce que je te demande.
La femme paladin lui lança un sourire puis l'elfe disparut à travers la forêt avec ses camarades. Deux Drinvels lui arrivaient dessus, mais elle les repoussa avec un bouclier de lumière. Assommés, ils tombèrent à terre un peu plus loin. Une flèche se ficha dans l'épaule droite de la jeune femme, lui arrachant un cri de douleur. Un archer Drinvel se trouvait sur sa gauche. Elle leva son bras et fit appel à la lumière qui brûla la main de son ennemi, lui faisant tomber son arme. Jaelith arracha la flèche qu'elle jeta à terre, puis utilisa la lumière pour guérir sa blessure. A cette vitesse, son énergie viendrait à manquer rapidement. Très vite, elle fut entourée par une dizaine d'ennemis. Elle secoua la tête, les larmes aux yeux. Elle allait mourir là sans avoir revu Freyki une dernière fois ?
— Quelle surprise... La catin du roi Loup...
La voix qui venait de résonner était glaciale. Jaelith l'avait déjà entendue une fois, il y a longtemps. Un elfe sortit de derrière ses camarades, un large sourire aux lèvres. La jeune femme le reconnu. Elle prononça alors son nom.
— Enki...
Le susnommé s'inclina légèrement.
— Je suis surprit que vous vous souveniez de moi. Nous ne nous sommes adressé la parole qu'une seule fois.
— Je dois voir l'Impératrice ! Cette guerre idiote doit...
— Fermez-là !
Enki venait de gifler la jeune femme à la volée. Cette dernière, les yeux écarquillés par la stupeur, ne savait pas comment elle devait réagir. L'elfe la regarda d'un air dédaigneux, puis fit signe à deux de ses hommes qui ceinturèrent l'intruse, l'empêchant de bouger.
— J’ai très envie de vous tuer. Mais avant cela, je me ferais un véritable plaisir de vous torturer.
Cela faisait des heures que la petite armée avait pris la route du sud. Freyki était en tête, le regard perdu dans le vague. Le dragon se trouvait à ses côtés et l'observait à la dérobé. Il savait très bien pourquoi Jaelith était partie d'elle-même. Mais il ne comprenait pas pourquoi le souverain avait voulu l'en empêcher. Il connaissait le caractère de la jeune femme et cette dernière ne se serait pas laissé faire. Elle l'avait prouvé encore une fois.
Feiyl se tourna vers le roi loup.
— Vous avez l'air inquiet.
Ce dernier haussa les épaules.
— Oui... Ce n'est pas vraiment le genre de Jaelith de filer comme ça toute seule.
Feiyl se retint de rire. Décidément, ce pauvre Freyki était bien aveugle.
— Elle doit être folle de chagrin de savoir que son peuple s'entretue à l'autre bout du continent.
Le roi loup leva les yeux au ciel et soupira.
— Est ce que tu crois qu'elle m'en veut ?
Le dragon secoua la tête.
— Vous avez fait ce que vous pensiez être le mieux. Personne n'est capable de lire l'avenir...
— J'allais pourtant envoyer des hommes là-bas, mais cela ne semblait pas suffire pour la rassurer. Elle doit me détester.
Un léger sourire apparut sur le visage enfantin.
— Vous êtes liés par une puissance bien plus forte que la haine. Elle ne peut pas vous haïr. Du moins, pas pour toujours...
— Je l'espère, Feiyl.
La ville d'Ergon était enfin visible à l'horizon. Le convoi allait enfin arriver. Feiyl ronchonna :
— Cet endroit empeste la mort. On dirait qu'il y'a eu un massacre...
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