Jour 5 : Jumelles
Nous sommes deux soeurs jumelles, nées sous le signe de la divergence. Nous nous ressemblons physiquement, enfin, de base (je vous expliquerai plus tard), mais à part ça, nous sommes comme le jour et la nuit, l'huile et l'eau, l'été et l'hiver... de totales opposées.
Je me présente, moi c'est Sasha et ma soeur c'est Vera. Nous passons notre temps à rendre nos parents fous à cause de nos disputes, nos fréquentations, nos notes, et tant d'autres sujets encore. Je ne sais pas comment ils ont eu le courage d'avoir un autre enfant, notre petit frère, Dimitri, un amour de bambin qui ne comprend pas pourquoi ses grandes soeurs se déchirent.
Pourtant, Vera et moi étions quasiment fusionnelles quand nous étions plus petites. Toutes deux des bébés rieurs, pleines de vie et de joie. Puis, un jour, sans comprendre vraiment, elle s'est mise à s'éloigner. Elle a arrêté le piano et la danse classique tandis que je continuais à m'y épanouir. De blonde aux yeux d'un bleu azur pétillant elle est passée par toutes les couleurs de cheveux que vous pouvez imaginer (parfois même plusieurs couleurs en même temps) et s'est mise à porter des lentilles associées à son humeur du jour. De simple et naturelle, elle s'est mise à se maquiller (parfois à outrance), à s'habiller de manière provocante, et même à parler comme ces jeunes (de notre âge mais ce n'est qu'un détail) qu'elle ne comprenait pas autrefois.
La seule activité que nous avons en commun, c'est la peinture. Nous avons toujours adoré ça et nos parents nous ont toujours encouragées à faire ce qui nous plait. Je suis plutôt de la team aquarelle et Vera peinture à l'huile. Nous avons même une salle d'activité pour nos travaux manuels (fimo, poterie, peinture, scrapbooking, bougies, coloriage, diamond painting et j'en passe), une chambre noire pour développer nos photos. Nous aimons les photos numériques et avons même tous les logiciels possible pour les retoucher, mais nous sommes également fans de l'argentique, de sa magie et de la surprise. Tant qu'une photo n'est pas développée, nous ne savons pas si elle a été bien prise ou si elle est floue. Nous avons même un petit studio de danse annexé à la maison, où maman donne des cours le samedi à des petites filles qui ne peuvent pas se payer une école. Maman était une grande ballerine du Bolchoï et elle nous a mis des chaussons dès que nous avons su marcher.
Nos vies ont toujours été rythmées par les rires, les activités, les cours... Je suis une littéraire et elle une scientifique, ce qui fait que nous ne sommes pas dans la même classe, et notre séparation coïncide avec les changements survenus chez ma soeur. Quelques semaines après la rentrée, elle commençait déjà à se plaindre que le piano devenait trop contraignant. Cela se comprend, les sciences sont complexes et nécessitent plus de concentration et de temps pour les études et les devoirs. Mais ensuite, cela a été la danse, alors qu'elle a toujours adoré ça et qu'elle excellait. Plus petite, elle disait qu'elle aussi serait une grande danseuse, comme maman.
Je crois que le tournant, ça a été quand elle s'est mise à faire des TikTok avec ses nouvelles amies. Elle les a ramenées à la maison un soir et l'ambiance a vite été tendue. Papa regardait, horrifié, ces jeunes filles aux multiples piercings, aux cheveux multicolores et au langage tout aussi coloré. Nous ne sommes pas du genre à juger les autres sur leur apparence, leur origine, leur âge, ni rien. Au contraire, nous sommes bienveillants et ouverts d'esprit. C'est pour ça que j'ai été choquée de voir па́па (papa en russe) se fermer et prendre ses distances avec les nouvelles amies de Vera.
Mama (maman en russe, mais je suis sûre que vous aviez deviné), elle, a gardé son sourire tout au long de la soirée et a même invité le petit groupe à dîner (papa a été soulagé qu'elles refusent), mais ses yeux étaient moins brillants que d'habitude. Elle a essayé de parler à Vera plus tard dans la soirée, mais cette dernière s'est enfermée dans sa chambre en claquant la porte et nous ne l'avons pas revue avant le lendemain matin. Je lui avais déposé un plateau devant sa porte pour qu'elle puisse au moins souper et j'ai été soulagée de voir qu'elle avait mangé.
Je ne vais pas vous mentir, ma soeur me manque. Elle était mon double, ma jumelle, celle qui pleurait quand je me faisais mal et me faisait rire quand j'étais triste. Aujourd'hui, c'est à peine si elle m'adresse la parole. Il n'y a que quand il s'agit de garder Dimitri qu'elle accepte de faire un effort. Nous le gardons quand nos parents s'offrent une soirée en amoureux et nous en profitons pour l'initier à la peinture devant des dessins animés. Il a son petit bureau rien qu'à lui qui l'attend dans la salle d'activités quand il sera assez grand, en attendant il peint avec ses doigts dans sa chaise haute, nous faisant un grand sourire édenté, nous éclaboussant de son rire. Dans ces moments-là, je retrouve ma complicité avec Vera et je me prends à rêver qu'un jour elle reviendra vers moi et que tout sera comme avant.
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