Le succès
Chapitre 3 :
Tout alla très vite. On le conduisit dans une pièce sans fenêtre et on lui fit signer des piles de documents. On l’entraîna ensuite devant un mur blanc, on le déshabilla et on le mitrailla sous tous les angles. Il était devenu le neuvième participant. Il rayonnait, la fierté le rendait léger et ambitieux. Qui sait jusqu’où il pouvait aller ? Il suivait les couloirs blancs de la maison Deschants lorsqu’il croisa un jeune homme tout voûté qui transportait un bon mètre cube de papier. Il n’était pas très bien habillé, ses cheveux étaient en désordre. Il éprouva un peu de peine pour lui, sans savoir exactement pourquoi…
A peine deux semaines de promotion plus tard. Les dix élus étaient recrutés. Cette année, le nombre de prétendants avait été exceptionnel. La maison Deschants, qui organisait pour la quatorzième fois le concours, avait déployé des moyens exceptionnels pour sélectionner les meilleurs. Le tri par manuscrit avait été prometteur, et les entretiens avaient confirmé les capacités hors du commun des lauréats. Ces dix personnes représentaient ce qu’il y avait de plus formidable en terme d’auteurs et de vies intérieures. Des affiches géantes avaient été placardées dans toutes les villes. On organisa des rencontres, on créa des inimitiés, des disputes et de la haine. Le décor était planté et l’attente était à son comble lorsque le présentateur décacheta la première enveloppe.
— Le thème de cette première confrontation a été proposé par nos internautes. Fidèles à leur esprit décalé et iconoclaste, il ont choisi : la rose ! Vous allez donc avoir une heure pour produire votre texte. Je vous rappelle que cette épreuve est éliminatoire et que pour deux d’entre vous, ce sera le bûcher !
Il se tourna alors vers une jeune femme très séduisante dans sa tunique serrée. Elle agita les bras et fit voler ses cheveux au-dessus d’un trou dans la scène, au milieu des candidats. Une caméra filma le fond qui s’embrasa. Le public présent sentit la bouffée brûlante et applaudit à tout rompre.
Math avait sa feuille et son stylo. Autour de lui, les dix candidats commençaient à gratter. Que pouvait-il bien écrire d’intéressant, et de nouveau, sur un sujet aussi débattu ? Les autres ne semblaient pas s’inquiéter, ils ne levaient pas la tête. Il devait commencer par choisir une forme. Il avait beaucoup étudié les votes du public lors des précédentes éditions, il fallait un texte court et percutant. L’humour marchait assez bien, mais il ne pourrait pas le faire à chaque fois. Peut-être devrait-il garder cette carte pour plus tard ? Il se décida pour un Haïku. Les gens adoraient ce qui venait d’Asie. Le problème, c'était qu'il n'était pas du tout un spécialiste. Il connaissait l'armature, mais n'en savais pas beaucoup plus. Il essaya donc d'aligner quelques mots distants et d'établir des liens inattendus. On ne vit pas grand-chose de l’heure d’écriture. On satura l’écran de publicités et de femmes à moitié découvertes. On put suivre de petits reportages flatteurs sur les différents participants. Et puis l’heure du vote arriva. Math était sixième, une ravissante demoiselle qui avait sûrement oublié une partie de sa robe était en première place.
Un jeune homme à la barbe bien soignée et une femme d’une trentaine d’années allaient être éliminés. Il avait opté pour une longue évocation symbolique. Elle avait choisi un calligramme représentant une fleur fanée. Math distingua très nettement les gouttes de sueur qui coulaient sur leurs visages. Ils s’approchaient timidement du trou lorsque le présentateur intervint :
— Je tiens a vous féliciter pour votre prestation exceptionnelle. Vous avez fièrement défendu votre écriture et je vous remercie pour votre opiniâtreté. Mais les votes sont ce qu’ils sont, vous le savez. Allez, on les encourage ! Dit-il en sollicitant la foule.
Les applaudissements étaient chaleureux, on criait son affection. On entendit même des déclarations d’amour. Un mélange de crainte et et de cruauté envahit le public. On retenait son souffle. Une musique grave et un éclairage tamisé imposa le silence. Le jeu devait bientôt quitter l’antenne. Alors on poussa doucement les deux condamnés vers les flammes. La femme ne dit rien, mais Math entendit clairement l’homme hurler de douleur au milieu des célébrations.
Il était dans sa loge, il entendait encore les cris de souffrance du pauvre écrivain rejeté. C’était tellement inhumain et cruel. Comment en était-on arrivé là ? Le monde avait perdu toute retenue. Tout avait cédé face aux exigences du spectacle permanent. Une jeune femme s’occupait à le recoiffer pendant que l’agent qu’on lui avait attribué téléphonait. Il s’approcha :
— Les chiffres sont bons ! Lança-t-il. Votre petit texte fait fureur ! Il est déjà entrer dans le top 20 des textes les plus échangés ! Big Boosy veut en faire un rap ! Pour un premier jet, c’était un coup de maître !
— Merci, répondit-il, mais je ne vous cache pas que j’ai eu très peur.
— Oui, à ce propos. On n’a pas suffisamment vu cette peur. Il faudra être plus convaincant la prochaine fois. Vous pourriez peut-être trembler un peu, ou vous tirer les cheveux ? Le public veut des émotions fortes ! Vous savez, on en fait beaucoup sur le texte, mais l’important, c’est surtout vous.
— J’essaierai.
— Bien, maintenant on va vous raccompagner chez vous. Ouvrez-vous une bonne bouteille et profitez de votre nouvelle notoriété.
ez vainqueur, et que vous fassiez tout exploser !
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