Chapitre 5 :

La semaine fut plus riche encore que les précédentes. Les propositions pleuvaient, il était sollicité partout. Son agent accepta une rencontre dans un des plus grands supermarchés de la ville. Il rencontra ses fans au milieu des fromages pasteurisés Senbon et des céréales Césucré. S’engagea à porter un jean Trobeau et une chemise Troclass lors de l’émission suivante. On décida de le décoiffer un peu et de lui peindre les ongles en vert, la couleur de l’espoir. Cela lui donnerait un côté rebelle et transgenre qui lui rapporterait sans doute de nombreuses voix.

Les audiences du spectacle ne furent cependant pas jugées suffisantes. Math avait fini deuxième, juste derrière Judith, qui finirait sans doute par ne plus rien porter. Il n’avait eu aucun mal à écrire sur le thème de la vie. Il y avait longuement réfléchi. On avait supprimé deux candidats. Mais tout ne s’était pas déroulé comme prévu. Les perdants avaient sauté dans les flammes trop tôt, avant même que le présentateur ait eu le temps de pleurer. Le public avait été frustré.

Pourtant, ce n’était pas le plus gros problème. Une chaîne concurrente venait de lancer un concours de lecture hilarant qui grignotait leur part d’audience. L’idée était simple. Chaque candidat lisait un texte et recevait une décharge électrique lorsqu’il faisait une erreur. Bien sûr, l’intensité des impulsions électriques grandissaient et les textes se compliquaient. Il fallait réagir, la demi finale était dans une semaine, et on ne pouvait pas se permettre de perdre davantage de téléspectateurs. Dans les bureaux de la maison Deschants, on réfléchit intensément à des solutions pour redynamiser l’émission. On envisagea d’abord d’avoir recours à des décharges électriques lorsqu’un des auteurs ferait un faute d’orthographe, mais ce serait trop rare. On se dit qu’on pourrait les placer dans des boîtes dont le plafond les écraserait petit à petit, créant ainsi un inconfort supplémentaire. Mais ce ne serait pas assez spectaculaire.

Ils n’étaient plus que trois, Math, Judith et Lionel, un jeune homme fraîchement tatoué qui écrivait chemise ouverte parce qu’il était très velu. Le show était prévu pour le lendemain, mais on les avait convoqués pour un entretien. Ils étaient tous les trois assis confortablement devant un écran géant, on les avait maquillés et coiffés. Il faisait chaud, et les boissons qu’ils avaient réclamées tardaient à arriver. Ils ne se parlaient pas. Les échanges entre les candidats n’étaient pas souhaitables. L’écran s’alluma sur le logo de la maison Deschants, un rossignol perché sur une branche devant une campagne paisible. Soudain, une loge apparut, c’était celle de Lionel. On le voyait discuter avec son agent. Et puis ils entendirent les paroles échangées :

— Je vais gagner, j’en suis sûr ! disait le candidat.

— C’est certain, répondit l’agent en souriant.

— Je ne peux pas perdre devant l’autre strip-teaseuse et le vieillard.

— Je suis d’accord, le vieux va s’effondrer, et Judith n’est pas assez douée.

— Douée ? Elle n’a aucun talent ! La seule chose qu’elle sait faire c’est de montrer son…

La scène s’arrêta là. Lionel regardait ses chaussures tandis que Judith, folle de rage, tentait de le fusiller du regard. La température dans la petite pièce semblait grimper. Math suait et Judith enleva sa veste, dévoilant un tee-shirt vert logoté. L’écran se ralluma, Judith parlait au téléphone :

— Ca marche comme sur des roulettes. Tu aurais vu le vieux quand sa copine a sauté ! C’était trop drôle. On aurait dit qu’il allait pleurer. Et l’autre, velu comme un ours, il me fait presque un peu de peine. On a l’impression qu’il sort tout droit d’un film de science-fiction !

La chaleur devenait franchement gênante. Math s’était levé et invectivait Judith qui essayait de taper Lionel avec l’une de ses chaussures. On échangea des coups avant que les agents interviennent. Ils amenaient des boissons qui servirent surtout de projectiles. Tout le monde se calma un peu et se rassit. Judith et Lionel, qui se sentaient aussi honteux que diffamés, se regardaient intensément. L’écran s’alluma une nouvelle fois. Math discutait avec un jeune homme sur le pas d’une porte.

— Je me souviens de vous. Mais que voulez-vous ? Demandait Math.

— Vous aider, répondit le jeune homme.

— M’aider ?

— Je peux vous faire gagner le concours. Je connais les thèmes qui seront proposés jusqu’à la finale.

Lionel et Judith se tournèrent vers le lui. On pouvait percevoir dans leur attitude toute la colère que cette révélation venait de réveiller. Ils s’étaient levés, les poings serrés, prêts à passer à l’action. Math était sidéré. Incapable du moindre mouvement. Il continuait de fixer l’écran devenu noir pendant que Judith hurlait :

— Tu n’es qu’un sale tricheur ! Tu savais tout à l’avance !

— Mais tu n’a aucun honneur ? Tu n’es qu’un vieux trou…

L’agent de Math venait d’entrer. Il le saisit par le bras et l’emmena sous les insultes des deux autres. Il le guida jusqu’à sa loge. Math tomba sur son siège, face à l’immense miroir. Il n’osait pas lever les yeux vers son reflet. Il avait triché, c’était vrai. Il avait cédé à la tentation d’une victoire assurée. Mais il l’avait fait pour dénoncer ce système, pour essayer de le saboter de l’intérieur. Maintenant que les autres étaient au courant, tout était terminé. Ils allaient le faire exclure. Pourtant, son agent ne semblait pas inquiet du tout, il terminait une conversation téléphonique en souriant.

— Ne t’inquiète pas Math. Ça va bien se passer. J’en suis sûr. On se retrouve demain pour le direct !

Et il partit. La nuit fut très longue. Il refusa la compagnie de plusieurs personnes et passa son temps à se morfondre dans la culpabilité.