Chapitre 6 :

Le grand soir de la demi-finale avait été annoncé comme un combat de boxe. On avait affiché dans la nuit des images provocantes des trois prétendants. Ils apparaissaient comme des gladiateurs, le regard noir et impitoyable. En se dirigeant vers les studios dans une voiture blindée, Math aperçut l’une de ces affiches. On le voyait sauvagement bondir vers Lionel. Il brandissait un stylo acéré qu’il s’apprêtait à planter dans le cœur du jeune homme apitoyé. Judith le regardait, admirative. Elle portait une peau de bête et ses longs cheveux flottaient dans le vent. Tout cela collait particulièrement bien avec le thème qui allait être annoncé : la rivalité. Math eut l’impression fugitive d’une immense manipulation. La confrontation devenait une sorte de rivalité amoureuse, deux hommes allaient se battre pour posséder une femme. C’était primaire et sauvage. Mais il n’eut pas le loisir d’y réfléchir longtemps. On arrivait. Une foule compacte hurlait des noms et agitait des pancartes fournies par les impressions Céclair : l’impression au naturel. La voiture se fraya un chemin en écrasant quelques fans trop invasifs.

En pénétrant sur le plateau, Math fut surpris, le décor avait complètement changé. Il représentait les ruines d’une ville détruite et donnait l’impression d’un monde anéanti par la furie de la guerre. C’était sombre et inquiétant. Il se plaça derrière son pupitre sans regarder les deux autres qui le dévisageaient. Le présentateur annonça le thème. Ils n’avaient que cinquante minutes. Math eut le temps de se demander pourquoi ils avaient moins de temps pendant qu’il recopiait son texte. Il ne trouva pas d’explication.

Il était deuxième et Lionel, qui avait revêtu pour l’occasion une armure médiévale, était dernier. Judith lançait des sourires, elle avait un peu remonté sa mini jupe en fourrure et agitait ses bras nus. Lionel se laissa un peu entraîner vers la trappe avant de s’arrêter. Il avait une déclaration à faire. Le présentateur lui laissa la parole :

— Je ne peux pas être éliminé ! Parce qu’il y a parmi les candidats un tricheur. J’accuse. J’accuse Math de tricherie. Depuis le début, on lui donne les thèmes !

— Ce que vous dites est très grave, intervint le présentateur, si cela est confirmé, ce serait une grande première ! Je me tourne donc vers vous, Math. Avez-vous triché ?

Le public était étonnamment silencieux, la tension qui régnait sur le plateau traversa Math qui bredouilla un « oui » misérable. Un murmure traversa l’assistance. Des cris d’indignation fusèrent. D’autres continuaient de soutenir leur héros.

— Le règlement est clair, en cas de triche, le candidat est immédiatement éliminé s’il ne recueille pas au moins 35 % des votes. Je me tourne donc vers notre huissier de justice. Maître Renart, vous êtes là ? Bonsoir, Maître. Alors dites-nous, quels sont les chiffres ?

— Bonsoir, dit-il, Judith a obtenu 52 % des votes, Math a été soutenu par… 38 %…

La suite des résultats se perdit dans les acclamations. On poussa Lionel qui résistait vers la trappe fumante. Il criait que c’était un scandale, se démenait, sautait, mais plus personne ne s’occupait de lui. Des ballons tombaient du plafond, la musique était forte et les applaudissements accentués par des micros bien placés. On avait les finalistes.