Samedi 18 décembre
Tout le monde est au courant du « Tom Gate ». Les voix s'amenuisent en ma présence. De longs silences s'installent lorsque je rentre dans une pièce. On me lance des regards pleins de pitié. Je suis devenue « la nouvelle qui s'est fait avoir par Tom ». Le pire c'est que tout le monde semble penser que j'étais, peut-être même que je SUIS amoureuse de lui ! Ma tête de déterrée ne plaide pas vraiment en ma faveur. Je ne peux malheureusement pas leur avouer que mon petit cœur brisé bat tant bien que mal pour Karim. Je les gratifie donc de larges sourires sans saveur et retourne m'isoler dans mon bureau. J'ai pas mal de menus travaux à terminer. Je fignole des publicités de clients réguliers de la boîte. C'est uniquement un travail d'ajustement. Les scénarios ont été entièrement réfléchis bien avant mon arrivée.
Soudainement, mon téléphone sonne. Je vois le nom de Jacques Dakota apparaître. Zut ! Est-il possible de m'enfoncer encore plus profondément dans mon désarroi ? Je prends une voix neutre pour lui répondre :
« Mademoiselle Perlier?... Tamara ?
- Bonjour Monsieur Dakota.
- Bonjour. Je reviens pour vous présenter mes plus plates excuses. J'ai été berné par votre collègue... ancien collègue. Karim a essayé de m'avertir mais... vous savez... Tom Johnson sait être persuasif. Cela ne justifie rien... Je m'excuse et j'aimerais de nouveau travailler avec vous si vous me pardonnez.
La situation est improbable ! Je me demande s'il s'agit d'une nouvelle manigance de Tom. J'avance avec méfiance.
- Comprenez mes réserves Monsieur Dakota mais vous paraissiez bien sûr de vous dans votre mail de la veille.
- J'entends bien ce que vous me dites. Acceptez de déjeuner avec moi au salon de thé à midi. Je vous expliquerai tout.
- D'accord. A midi alors. » dis-je avant de raccrocher. Je ne suis pas tout à fait convaincue par le retournement de situation mais je vais écouter ce qu'il a à me dire.
A 12h05 je rejoins Jacques qui est déjà attablé. Je m'installe. Impassible, j'attends qu'il parle. Le serveur vient prendre nos commandes avant qu'il n'ait commencé son plaidoyer. J'hésite à prendre un déjeuner ou uniquement un café. Si l'entrevue se déroule mal et que je dois faire une sortie spectaculaire, je n'aimerais pas avoir à abandonner un repas à peine entamé mais... j'ai faim ! Allez j'opte pour un burger vegan et un café sans sucre. Jacques m'explique alors que Tom m'a discréditée en lui montrant des messages venant d'un numéro identifié à mon nom. Dans cette conversation, je me moquais des valeurs de Jacques et je dénigrais son travail. En réalité, il s'agissait d'une conversation entre sa mère et lui. Il avait fomenté un plan machiavélique avec sa mère pour me nuire ! Sa mère ! Vous imaginez le délire ! En plus d'être un menteur et un manipulateur, Tom s'est révélé être homophobe. Il a ostensiblement méprisé mon choix d'inclure une femme célibataire et un couple homosexuel heureux. C'est le meilleur moyen de faire fuir la clientèle selon lui. A la place, Tom a proposé de montrer une mère et femme au foyer en train de cuisiner pour toute sa famille avec le livre. L'homme et le garçon se régalent tandis que les figures féminines sont au service. Attention, moment fort à suivre : la publicité s'achève sur une scène durant laquelle la mère transmet le livre à sa fille ! Les révélations de Jacques m'écœurent. J'accepte finalement de retravailler avec lui et nous terminons le déjeuner sur une note plus légère. J'ai hâte de diffuser la bonne nouvelle au bureau lundi.
Je rentre chez moi exténuée par les montagnes russes dans lesquelles mon cœur s'est embarqué malgré lui. Je croise ma voisine de palier avec qui j'ai déjà eu l'occasion d'échanger quelques mots. Elle me propose d'aller dans le fameux bar cubain où Tom m'avait emmenée une semaine plus tôt, avec ses amis. Je n'ai aucune envie de sortir mais j'espère secrètement y croiser Karim alors j'accepte. Nous nous donnons rendez-vous à 21h pour y aller. Je choisis de porter un chemisier beige avec de la dentelle et un pantalon en cuir noir qui met en valeur ma silhouette Je mets mes bottines de la même couleur et je m'en vais, mon épaisse chevelure en liberté.
Il y a beaucoup de monde dans les ruelles autour de la Comédie. Le bar ne fait pas exception. L'ambiance est folle ce soir et pourtant j'ai du mal à m'amuser. Je guette toute la soirée les clients qui entrent et sortent dans l'espoir d'apercevoir Karim, sans succès. A 1h, Maddie, ma voisine me propose de rentrer. Lorsque nous quittons les lieux, nous entendons un couple se disputer dans une petite rue perpendiculaire à la notre. Nous nous rapprochons et j'aperçois Karim et la petite stagiaire. Elle lui hurle de la laisser tranquille tandis qu'elle essaie d'échapper à son étreinte pour s'en aller. Karim m'aperçoit et m'appelle à l'aide. Je quitte Maddie qui me guette assez inquiète, pour le rejoindre. Il m'explique que la jeune fille a probablement du ingérer une drogue à son insu ce soir et qu'elle a des hallucinations. Il a appelé le SAMU mais il a du mal à la retenir. Nous nous y mettons à plusieurs avec Maddie et ses amis jusqu'à ce que les urgentistes arrivent enfin. L'un d'entre eux descend du camion et demande qui l'accompagne. Karim s'empresse de répondre : « Moi ! Je suis son oncle ! Elle vit avec moi. » Il ajoute ensuite « Merci infiniment Tamara. Je t'appellerai demain. » et s'en va.
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