Robinson

Je vivais seul, j'en ai déjà parlé, dans une de ces modestes chambres sous les toits, où l'on grelotte l'hiver et où la chaleur vous cuit à point à la belle saison.
Occupé à mettre de l'ordre dans mes notes, je ne me préoccupais pas des aiguilles de l'horloge, ni de ma chandelle, dont le suif commençait à se répandre sur mon pupitre. Tout à coup, j'entendis frapper sur le bois vermoulu de ma porte. Je glissai précipitamment mes feuillets dans le tiroir où je cachais ma bourse et mon pistolet, puis je me levai et allai ouvrir. Je m'attendais à revoir cette folle de Bastet qui assurément, reviendrait s'excuser de m'avoir quitté si précipitamment. *
Or, ce n'était point elle qui se trouvait devant moi, mais un voisin qui résidait deux étages plus bas. Depuis des années, nous nous croisions quotidiennement dans l'escalier. Nous n'échangions rien de plus que quelques banalités. Pour être franc, je ne connaissais pas ce jeune homme qui comme moi, vivait seul dans son petit appartement. D'ailleurs, outre madame Lacage, la concierge, je ne connaissais tout bonnement personne dans notre immeuble. En le regardant attentivement, je me rendis compte que sa physionomie, ce soir-là, n'était plus tout à fait la même que de coutume. J'avais en face de moi comme son double, un double légèrement transparent. Son visage affichait une infinie tristesse. Il me salua :
— Bonsoir monsieur, sans vouloir abuser de votre temps, je suis monté vous voir, car je m'interroge à votre sujet.
— Vous vous interrogez à mon sujet ? Diable ! Entrez donc mon cher voisin ! rétorquai-je, lui désignant le coffre qui me servait de banc. Asseyez-vous et dites-moi ce que je peux faire pour vous être agréable.
— D'abord, je ne suis pas votre voisin, enfin... Pas tout à fait. Je ne suis malheureusement que sa solitude. Je sais que depuis bien longtemps, vous vivez solitairement, vous aussi. Dites-moi, en souffrez-vous aussi âprement que j'en souffre ? Pour ce qui me concerne, cela me pèse de plus en plus. De jour en jour, je sens la vie me quitter. Voyez mon corps, on commence à voir au travers. Bientôt, je ne serai plus qu'une solitude invisible et abandonnée.
En effet, je commençais à entrevoir ses os et ses vaisseaux.
— Si vous ne m'aviez parlé de cela, répliquai-je, jamais je ne me serais douté que vous viviez une situation aussi amère. J'en suis désolé pour vous...
— Mais vous ? observa-t-il, vous ne semblez point affecté par votre retraite sous les toits... Vous paraissez enchanté et charmé par la vie ! Par quel mystère endurez-vous si aisément une telle infortune ?
— J'ai toujours été seul, répondis-je. Depuis ma première enfance, je n'avais personne à qui parler. On ne me disait point d'histoire comme à tous les bambins ; on me couchait sans un mot et on faisait le noir complet dans ma chambre. Je ne tardai pas à discerner nettement la solitude dans la noirceur. Elle était comme vous, transparente. Une nuit, elle s'est mise à tourner et à danser autour de mon lit d'enfant. J'eus très peur...
Pendant qu'il m'écoutait les yeux écarquillés, mon infortuné voisin... Plus exactement sa solitude, commençait à perdre sa transparence, je distinguais de moins en moins ses os, et ses muscles reprenaient de la consistance. Alors qu'il avait presque retrouvé son apparence d'homme naturel, comme un enfant demande la suite de son histoire, il me pria :
— Et après... Dites-moi, que s'est-il passé ?
— Alors qu'elle tournoyait autour de moi, pour lui résister, je me suis mis à inventer une multitude de personnages, ils ressemblaient à tout ce qui est beau et fort sur la terre, ils prenaient corps pour me rassurer et me protéger. Je leur avais à tous, attribué des facultés surhumaines. Certains pouvaient voler jusqu'aux nuages, d'autres sans difficulté, parlaient avec les animaux sauvages, d'autres encore...
— Tout cela est pure vérité n'est-ce pas ? me coupa-t-il. Comment pouvez-vous peupler votre solitude ainsi ?
— Ah ! Mon cher, il suffit pour ça, d'un peu d'imagination ! Tous ces personnages issus de mes rêveries d'enfant, je les ai gardés en moi ainsi, je peux les convoquer au gré des romans que j'écris, car je suis écrivain... Un petit écrivain qui débute sa carrière.
Puis, je désignai à mon voisin éberlué, mes livres préférés, rangés en bon ordre sur mon unique étagère :
— Voici le meilleur moyen de peupler sa solitude. Ne vous en privez pas !
— Vous me prêteriez un de vos ouvrages ?
— Si le cœur vous en dit !
Il hésita entre plusieurs publications, puis se décida :
— Je vais vous emprunter celui-ci. Il est gros et va me durer longtemps.
— Je vous le recommande. Daniel Defoe ne vous décevra pas, soyez-en assuré !
*: Un quart d'heure de folie. https://www.atelierdesauteurs.com/text/408684606/un-quart-d-heure-de-folie/chapter/735326
Table des matières
En réponse au défi
À votre porte se trouve...
... la Solitude. Voilà que quelqu’un frappe à votre porte. Vous ouvrez et vous voyez la Solitude. Il/elle est là pour répondre aux questions que vous voudriez vous poser et discuter avec vous.
Quel serait le contenu de votre discussion ?
Pas plus de 10 minutes.
Vous avez jusqu’au dimanche 18 Août.
PS : oui, je cherche des trucs de plus en plus abstraits et vraiment illogique, sinon c'est pas drôle...
Commentaires & Discussions
Robinson | Chapitre | 9 messages | 7 mois |
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