ANNA MÊME LUNDI FURIEUSEMENT TROP TÔT :
Les bols fument, les gueules grises s'étirent. Anna avale à petites gorgées un thé russe, le père grogne au-dessus de la mare noire d'un café soluble bon marché. La mère court du frigo au grille-pain pour alimenter la table, son bol encore vide. Les regards s'évitent, les bouches mâchent les rancœurs de la veille. L'atmosphère s'alourdit à mesure que les ventres se remplissent. Le père toussote. Anna pressent une avalanche de reproches. Elle s'empare de sa tasse et recule dans la salle de bain. Elle tourne le verrou, les robinets crachent leur vapeur. Elle se réfugie sous le tintamarre de la douche. Une voix masculine traverse la cloison, incompréhensible, incohérente. Elle attend que son père quitte l'appartement pour sortir de son refuge. Serviette autour de la taille, sèche-cheveux en main, elle cherche une prise libre. Sa mère la suit avec des conseils et des miettes plein la bouche. Elle branche le soufflant, secoue la tête dans tous les sens, une main soulevant le roux de ses cheveux, une autre arrosant d'air chaud les mèches humides. L'appareil en veille réveille la diatribe maternelle. Des "tu devrais" et des "tu devrais pas", des "quand même" souvent alignés avec des "tu exagères" la poursuivent alors qu'elle s'habille face au miroir du couloir.
- À ce soir maman...ou pas.
Elle lui pose un baiser sur le front et se jette dans la cage d'escaliers.
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