5. ça sent le sapin!
Mes kidnappeurs finirent par m’apporter de l’eau et une gamelle de gruaux. Je n’avais jamais autant apprécié un repas aussi simple. Je percevais chaque saveur plus intensément et mon corps, cherchant désespérément à se sustenter, me fit ressentir une intense satisfaction lorsque les premières bouchées atteignirent mon estomac vide. L’eau qui hydrata ma bouche était meilleure que le plus grand des crus de ma collection, je saisissais maintenant la chance que j’avais de posséder de l’argent et de ne manquer de rien.
Comme une dorade dans des remous pélagiques, je fus pris de vertiges. Ces escrocs m’avaient drogué avec l’eau ou la nourriture, je me sentis chanceler puis m'affaler sur le sol bétonné.
Après ce qui me parut duré quelques minutes, j’ouvris péniblement un œil encore étourdi par le somnifère. Ma tête se trouvait enfermée dans un sac en tissu qui m’empêchait de savoir où je me situais. Deux hommes, certainement mes tortionnaires, me transportaient par les bras en laissant traîner mes pieds sur un sol bitumineux. Je remarquai que la nuit était tombée, seules des lueurs artificielles orangées, blanches et rouges parvenaient péniblement à traverser quelques mailles de ma cagoule aveuglante. Je décidai de ne pas montrer que j’étais éveillé de peur qu’ils m’assomment pour me garder inconscient. Une voix d’homme interpella mes ravisseurs :
— Hey ! Vous là ! Que faites-vous avec cet homme ? Montrez vos mains bien en évidence !
L’homme à ma gauche que je reconnus comme étant le grand mince, lui répondit sans s’émouvoir.
— Bonjour monsieur le vigile, je suis l’agent spécial Ikonomov. Je suis des forces spéciales du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie spécialisé dans l’antiterrorisme. Cet homme est notre prisonnier et suspecté d’avoir commis des exactions en Russie avant de se réfugier dans votre pays. Nous le ramenons à Moscou pour qu’il y soit jugé.
L’homme avait fait sa tirade sans une hésitation. Le vigile resta muet pendant quelques secondes avant de reprendre.
— Ne me prenez pas pour un idiot, il n’y a pas d’accord d’extradition avec votre pays.
Le talkie-walkie du gardien crachota, une voix parasitée résonna dans l’appareil. Bien que je ne vis rien, je perçus que l’homme dégainait l’engin, certainement pour répondre à son collègue. C’est alors que celui qui me tenait fermement à ma droite, fit un mouvement brusque et le son d’une arme équipée d’un silencieux chuinta dans l’air. Le son fut suivi d’un bruit mate de corps qui s’écroule sans retenue contre le tarmac.
Les deux imposteurs s’échangèrent quelques mots empressés dans leur langue maternelle et reprirent vivement la marche tandis que celui de l’autre côté du talkie-walkie appelait vainement son collègue.
Une minute plus tard, ils me faisaient monter les marches d’un avion, au vu du bruit de réacteur qui émanait de l’appareil, il s’agissait d’un jet privé. Quels genres de personnes ont les moyens de mener une telle opération et aurais un intérêt à obtenir les codes de Minerva ? me demandais-je avec incompréhension.
Peu de temps après le décollage, les hommes me retirèrent le sac de tissus. Je me trouvais bien dans un jet privé luxueux en plein survol de l’océan Atlantique. Les deux gaillards qui m’avaient séquestré encadraient un individu au ventre rond, au faciès boursouflé et au crâne nu. Son costume blanc, hors de prix et fait sur-mesure, s’accordait avec une chemise noire et une cravate rose satinée. Ses doigts boudinés portaient une alliance à l’annulaire droit, signe de son mariage, et une énorme chevalière en or dont le sceau représentait un chevalier en prière entouré de symboles cyrilliques indéchiffrables pour moi. La caricature du bibendum Michelin me regarda avec ses petits yeux de fouine qui s’enfouissaient sous la graisse de ses pommettes proéminentes.
— Michaël Davis, 38 ans, célibataire. Patron de Robotics Davis Groupe dont la dernière découverte en date fera s’envoler les cours de la bourse à ce qu’on raconte. dit le ventripotant individu mielleusement.
Je le regardai sans broncher, j’avais décidé de ne plus me laisser intimider. J’avais laissé Bélinda en sûreté, mes codes se trouvaient dans mon placard secret et nous étions en route vers la Suisse où j’allais les promener le plus longtemps possible dans l’espoir qu’on me retrouve. Il continua :
— Vous habitez au 3264 Park Avenue dans un coquet petit penthouse où vous séjournée avec une certaine Bélinda qui vous attend en ce moment si je ne me trompe pas.
Mon sang se figea dans mes veines. Comment avait-il appris pour Bélinda ? Je n’en avais encore parlé à personne, elle n’était pas sortie de l’appartement depuis son arrivée et personne ne nous avait rendu visite.
— Je vois à votre air décontenancé que vous vous demandez, comment je peux bien le savoir ? conjectura-t-il. La chose est simple. Nous avons dissimulé un mouchard dans votre résidence qui nous retransmettait toutes vos conversations en direct. Je représente des gens puissants Michaël, vous devriez nous prendre au sérieux. poursuivit-il d’un ton altier.
— Et qui est ce « nous » dont vous me parlez ? demandais-je de façon acariâtre.
— Pardon Michaël, j’en oublie les politesses. Je suis Zakharov Pavel Grigorievich, mais appel moi Pasha. Je suis le porte-parole et membre chevalier de la société de la Sainte Croisade de la Volga. Les deux messieurs qui vous ont si gentiment conduit jusqu’à moi sont deux anciens membres du KGB reconverti dans les intérêts privés de riches hommes d’affaires comme moi. Dimitri et Grégory, mais je suppose que vous avez déjà fait connaissance.
— J’ai eu ce déplaisir en effet.
Une question me brûlait les lèvres.
— Que voulez-vous faire de Minerva ?
Souriant de toute la largeur de sa petite bouche aux dents parfaitement blanches et alignées, il prit un air taquin et répondit avec simplicité.
— Nous voulons le contrôle des nations bien entendu Michaël. Qu’avez-vous cru ?
Devant mon hébétude, il continua.
— Nous voulons faire chanter les gouvernements, prendre le contrôle des infrastructures informatiques et boursières, éliminer nos ennemis avec leurs propres drones de combats, contrôler l’acheminement de l’énergie partout dans le monde et j’en passe.
Je restais coi devant un tel détournement de ma technologie. Bien entendu, l’I.A. n’avait pas été conçue en ce sens mais avec de bons programmeurs, ils pourraient arriver à leur fin.
— Vous manquez cruellement d’imagination Michaël. Le cerveau virtuel que vous avez créé est un immense bac à sable pour l’expérimentation de nos projets.
— Je refuse de vous donner cet accès !
— Bien entendu, que vous me donnerai cet accès Michaël, ou Bélinda paiera les pots cassés. dit-il d’une voix glaciale.
Je me repliai dans mes pensées qui se télescopaient :
— Bélinda ! Comment vais-je pouvoir te protéger maintenant qu’ils connaissent ton existence ? Et que vais-je faire une fois à la ATAG Private & Corporate Services ? Ils vont me tuer et avant ça, ils vont m’obliger à regarder Bélinda mourir. Dans quel pétrin me suis-je dont fouré ?
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