Chapitre 1 - La maison du silence
Le soleil déclinait lentement à l'horizon, inondant le salon d'une lumière dorée. Léa était assise sur le rebord de la fenêtre, les genoux ramenés contre sa poitrine, un cadre photo serré entre ses mains. C'était une photo de famille, prise un été, bien avant que leur monde ne s'effondre. Ses parents riaient, insouciants, tandis qu'elle et Josh se chamaillaient en arrière-plan, les pieds dans l'eau d'une plage où ils allaient chaque année.
Elle ferma les yeux, cherchant à retenir ce souvenir qui, comme du sable, semblait lui échapper dès qu'elle essayait de s'y accrocher. Une voix douce,mais hésitante la ramena à la réalité.
- Léa, le dîner est prêt.
Sa tante, une femme au visage marqué par l'âge, mais au regard bienveillant, se tenait dans l'encadrement de la porte. Elle n'était pas froide, mais sa retenue trahissait un inconfort, comme si elle ne savait pas vraiment comment naviguer dans cet océan de douleur.
- J'arrive, répondit Léa, en glissant le cadre photo sur la table basse.
En passant par la chambre de Josh, elle s'arrêta une seconde. La porte était entrouverte. Il était là, assis sur son lit, les coudes sur les genoux, fixant un point invisible.
- Tu viens ? murmura-t-elle.
Josh leva les yeux vers elle, ses traits tirés, fatigués. Il hocha la tête sans un mot. Ce silence pesant entre eux était devenu une routine, un langage qu'il partagaient depuis l'accident.
Ils descendirent ensemble dans la salle à manger. La maison de leur tante était simple mais chaleureuse. Les murs étaient ornés de photos de famille anciennes, et des petites plantes en pot garnisaient les rebords de fenêtres. Une table en bois usées trônait au centre de la pièce, recouverte d'une nape brodée à la main.
- Je vous ai préparé un peu de soupe et des pâtes. Ce n'est pas grand chose, mais j'espère que ça ira, dit leur tante avec un sourire un peu nerveux en déposant les assiettes devant eux.
- Merci, murmura Léa.
- Si vous avez besoin de quelque chose, n'hésitez pas, ajouta-t-elle en tirant doucement une chaise pour s'assoir en face d'eux.
Léa piqua distraitement sa fourchette dans son assiette, appréciant malgré elle la chaleur du plat. Sa tante semblait faire de son mieux, mais chaque tentative de combler le vide restait maladroite. Léa ne lui en voulait pas ; après tout, elle-même ne savait pas comment gérer ce vide.
- Comment s'est passé l'école ? demanda la tante d'une voix posée, brisant le silence.
- Bien, répondit Josh, sans lever les yeux.
Léa se contenta d'un haussement d'épaules. L'école était devenue un décor flou dans lequel elle évoluait comme un fantôme.
Alors qu'elle repoussait son assiette, son regard se posa sur Josh. Quelque chose dans son expression la troubla. Il avait ce regard, absent, qu'elle commençait à reconnaître.
Elle n'avait aucune idée que ce dîner seraient l'un des derniers moments qu'elle passerait avec lui.
Le dîner se déroula dans un silence pesant, ponctué par le bruit de la fourchette contre l'assiette, les petits éclats de verre des tasses posées sur la table, et la respiration calme de leur tante. Léa sentait la lourdeur du moment, mais elle n'arrivait pas à y échapper. Elle aurait voulu que tout se dissolve, que le temps se fige et que cette vie, qu'elle n'avait pas choisie, cesse de les étouffer.
Lorsque leur tante se leva pour débarasser la table, Léa chercha à capter l'attention de Josh. Il n'avait pas bougé depuis qu'ils s'étaient assis, ses yeux perdus dans le vide. Une nervosité sourde s'était installée dans ses traits, comme une ombre qui n'arrivait pas à chasser.
- Josh, tu vas bien ? souffla-t-elle, presque à contre coeur, comme si elle en voulait pas déranger le silence dans lequel il s'était enfermé.
Il tourna la tête, ses yeux rencontrant les siens. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, mais il était vide, comme une façade fragile prête à se briser.
- Ca va. C'est juste... c'est juste que... je pense trop à tout ça, tu sais.
Léa ne répondit pas tout de suite. Elle savait bien que "tout ça" était bien plus vaste que la simple perte de leur parents. C'était leur monde qui s'était écroulé. C'était la nouvelle maison, la tante qu'ils ne conaissaient pas, la solitude qui pesait sur eux comme un nuage sombre.
La tante, qui avait observé la scène du coin de l'oeil, sembla hésiter avant de se rapprocher d'eux. Elle posa doucement les assiettes vides dans l'évier et se tourna vers Léa.
- Léa, si tu veux, tu peux toujours m'en parler.
Léa hocha la tête, bien qu'elle ne soit pas certaine de vouloir parler à quelqu'un, même si ce "quelqu'un" était sa propre tante. Elle n'arrivait pas à l'imaginer pleinement ce rôle de confidente. La douleur était trop intime, trop profonde. Et puis, sa tante était gentille, mais il y avait cette distance, cette barrière invisible entre elles. Elle n'était pas vraiment "là", pas comme leurs parents l'auraient été.
- Merci, murmura-t-elle, mais elle n'ajouta rien d'autre.
Les minutes passèrent en silence, jusqu'à ce que Léa sente la fatigue lui envahir. Elle se leva lentement, son corps alourdi par une journée interminable, et se dirigea vers les escaliers.
- Je vais me coucher, dit-elle sans vraiment chercher l'approbation de quiconque.
Josh la suivit du regard, mais ne fit aucun geste pour la retenir. Il reste là, comme un spectateur de sa propre vie. Avant de disparaître derrière la porte, Léa s'arrêta une seconde et lança :
- Bonne nuit, Josh.
Mais il ne répondit pas. C'était devenue une habitude.
Léa se glissa sous les couvertures de son lit, le silence de la maison s'insinuaient dans chaque recoins de la pièce. Le bruit de la vieille horloge qui frappait les heures lui parvenait, lointain et réconfortant. Elle ferma les yeux, mais le sommeil ne vint pas.
Elle pensa à Josh. Il avait ce regard, ce regard qu'elle ne pouvait pas ignorer. Quelque chose n'allait pas. Il n'était pas comme d'habitude. Léa ne savait pas si c'était la culpabilité, le deuil, ou quelque chose de plus profond qui assombrissait son esprit, mais elle savait qu'elle ne pouvait pas simplement rester là, les bras croisés, en attendant que les choses s'arrangent. Elle devait comprendre. Elle devait savoir ce qui se passait. Mais par où commencer ?
Tout à coup, un bruit sourd, comme un frôlement contre la porte de la chambre, la fit sursauter. Le coeur battant, elle se leva précipitament, scrutant l'obscurité. Un souffle à peine perceptible lui fit froncer les sourcils. C'était peut-être juste une branche secouée par le vent, mais le malaise dans sa poitrine grandissait.
Elle se dirigea vers la porte et l'ouvrit doucement. Le silence qui l'accueillit était presque trop lourd, comme si quelque chose de plus sombre se cachait dans cette maison. Elle jeta un coup d'oeil dans le couloir. Rien. Le vent soufflait à travers les fenêtres ouvertes mais tout semblait calme.
Pourtant, quelque chose ne tournait pas rond. Léa le sentait dans chaque fibre de son être.
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