4 impasse Jeannot l'Ampère

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Une semaine auparavant, l'un des nombreux Pères Noël qui se multipliaient on ne sait comment à la surface de la planète, regardait le panneau publicitaire que l'on venait d'installer au 4 impasse Jeannot L’Ampère à Clichy, pas très loin de Paris. Son oeil brillait. Il lisait à haute voix, pour lui-même avant toute chose, et très secondairement pour celui qui l'accompagnait.

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- Tu n’as pas peur d’en faire trop ? Lui avait dit son adjoint, le dénommé Fouettard.

- Pourquoi ? Jacques Pelot, le patron, regardait, éperdu d’admiration, le jus de crâne qu’il avait copieusement aspergé sur trois mètres de large et deux en hauteur.

- Classe internationale, c’est bizarre. On a déjà fait ça, l'International ?

- Heu...

- Et puis c’est toujours pareil. On ne se renouvelle pas. La routine, quoi. Le seul truc que tu nous trouves, c’est un panneau qui barre l’entrée de notre impasse où personne ne passe jamais. Il faut réagir, Jacques.

La conversation s ‘était mal terminée. Jacques Pelot était de mauvais poil. Enfilant son pantalon rouge, il avait mis le contact d'une fourgonnette grise. Le Père Noël, accompagné de Fouettard, filait répandre le bonheur à la truelle.

- Tu peux bien dire, Fouettard, mais t'as cassé l'ambiance !

Ils venaient de s'arrêter devant le parking du premier client.

Jacques, depuis un moment, se doutait de quelque chose, il entendait de temps en temps comme un bruit de charnière un peu rouillée, et Fouettard à chaque fois se raclait la gorge, disant - T'as un problème de pneus, non ? Ou bien - Ho ! t'as vu ! Ils ont ouvert un nouveau Deli-Chicken ! C'est chouette.

- Mais, Fouettard ! Qu'est-ce que t'as dans la poche ? Mais c'est un crapaud ? Dans un bocal ?

- Heu, une grenouille...

- Mais pourquoi ?

- Ben, je l'ai achetée sur internet. Elle prédit l'avenir. Tu lui poses une question, et si elle est d'accord, elle monte sa petite échelle, et elle fait coâ-coâ, si t'as de la chance, c'est en bonus.

- C'est super-chouette ! Je peux essayer ? Bon, ben, je lui pose la question que je veux ? Alors voilà ma rainette, t'es bien installée ? Lui fait pas peur hein Fouettard ? Alors voilà, c'est qui qu'est toujours le plus sympa, le plus drôle, le plus beau des Père Noël, qu'a toujours les meilleures idées, qu'est un génie publicitaire ? Hein, c'est qui grenouillette ? C'est moi !

La grenouille regardait Jacques de ses grands yeux placides, bien décidée à ne pas bouger le moindre bout de spatule d'aucun des doigts de chacune de ses petites pattes, gonflant les bajoues de sa large bouche inexpressive, soulevant un bref espoir, aussitôt retombé.

- Allez, quoi...

Jacques regardait la grenouillette, suppliant presque.

- Allez...

- Bon ben, Jacques, je crois que Rainette est pas d'accord là, il va falloir y aller.

Jacques fit son job de père Noël, mais ça n'allait pas du tout, du tout. - Quelle idée, aussi, de croire aux prévisions des grenouilles ! Il ne pouvait s'empêcher, pourtant, d'y accorder de l'importance, une grande importance même, comme le signe malheureux d'un destin funeste qui s'annonçait, dans l'amoncellement de lourds nuages gris.

De retour à Clichy, accoudé au comptoir du Lampion, son bar préféré, Jacques Pelot, d'humeur sombre, émiettait son croissant gras dans un bol de café. Se léchant d'une main le bout des doigts, retenant de l’autre sa barbe synthétique, l’oeil relevé sur le barman au dessus des lunettes, il soupesait du sourcil l’intérêt d’engager la conversation.

- Tu vois, Marco, le plus grand danger pour un Père Noël, c’est de perdre sa barbe. La barbe, c’est le respect, la dignité, quoi ! Le problème mon petit Marco, c’est que c’est une fausse barbe, alors forcément, ta dignité, ben voilà, elle est toujours menacée. C’est terrible de vivre sous la menace !

Il faut être très professionnel. Tu savais, mon petit Marco, que même que le Président de la République, en personne, il m’a félicité pour mon professionnalisme ?

Ledit Marco le regarda à peine, délivrant les paroles classiques d’un répertoire maîtrisé, spécialement conçu à l’intention des poivrots incurables et autres habitués chroniques, des dames seules, des étudiants sans argent, des amoureux, des amants clandestins. Tout un art séculaire, long fleuve du verbe et de l’acte porté par des bataillons en veston noir et chemise blanche, irriguant par delà le temps les Villes de l’Europe, les Faubourgs industrieux, les Hubs aéroportuaires.

Lui aussi était un professionnel, de vielle tradition.

Mais déjà, le Père Noël n’écoutait plus, occupé à mâcher à nouveau son croissant, la barbe agitée de hoquets parmi les miettes tenaces accrochées aux poils.

Il était préoccupé.

Quelque chose n’allait pas, mais quoi ?

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