Des références impeccables
- Comme si le Père Noël avait besoin de références. Pfff…
" Grand établissement hôtelier recherche Père Noël pour les fêtes de fin d’année"
" Hôtel Aurora, île de Notanou, Pacifique Sud. "
" Références sérieuses exigées. "
Jacques se gratta la barbe, vérifia les dates. Relut encore une fois l’annonce. Ça collait pile-poil ! Extraordinaire... Et puis, le Notanou, avec les Lutins, ce serait une négociation facile.
« Frais payés, les gars ! La plage, les cocotiers, de vraies vacances ! Opération blanche pour moi, je ne gagne rien. Mais c’est décidé : vous le méritez ! »
- Ha ha ha ! Il va l’avoir son international, le Fouettard ! Et pas qu’un peu. La totale ! Total Coconuts, vahinées, bronzette tropicale. On va la lui faire avaler, sa grenouille !
Et voilà. Quelques coups de fils, une trentaine d'heures d’avion, un atterrissage grandiose au Notanou, paradis tropical et fiscal aussi discret qu'indiscernable sur une carte, quelques caisses de matériel, et puis il était là, allongé dans son jus, sous les cocotiers, à remâcher ses pensées.
Alors que tout, autour de lui, aurait dû lui changer les idées, quelque chose en lui turlupinait, staccato. Le dépaysement ? La mer trop grande, les gens trop gentils? Le décalage horaire ?
Hier, Jacques Pelot avait subi une prise de conscience à la verticale, une perte, sévère, de motivation. La vérité, c’est qu’il ne voulait plus être Père Noël. Toute cette jovialité forcée lui bouchait l'horizon. Le rose bonbon barrait l'avenir, gris souris sur fond noir.
Le déclencheur en avait été, à l'hôtel Aurora et bien malgré lui, le très ludionesque directeur.
- Vous êtes le meilleur des Pères Noël, Monsieur Pelot ! Avait-il dit, le regardant d’un œil gourmand sous un front haut, front hélas diminué par une mèche de cheveux, le bout comme collé sur la peau du front.
- Avec sa petite moustache, on dirait Hitler, se disait Jacques.
Un tout petit Hitler, un peu confit, ange déchu, amnésique, échoué là suite à un malentendu dans le ciel, et qui vivoterait, dans des plaisirs louches de sous-caporal :
« Vous étiez fait pour être dictateur, mon cher Monsieur, mais comment dire, c’est un je ne sais quoi… Et puis vos références… pourtant… voyons… Grande Guerre, oui… Fondateur d’un club politique, avec un certain succès je dois dire… D’accord… Incendie du Reichstag, très bien… Coup d’Etat… Intéressant… Mais voyez-vous, nous avons une lettre de Monsieur Staline, et une autre de Monsieur Mussolini, qui… »
Mais non. Il avait droit, en ce moment même, à une démonstration d’admiration comme il les détestait, imméritée, venant d’un inconnu qu’il commençait à haïr pas très cordialement.
- des références impeccables, mon cher Monsieur Pelot ! Des références impeccables ! Animation dans les supermarchés, en début de carrière, oui, on prend ce qui se présente au début, mais très vite, vous affirmez votre aura de Père Noël, avec des goûters d’entreprise, des Noëls dans toutes les administrations, toutes enchantées de vos prestations. Même l’Elysée a eu recours à vos services ! Ha ha ! Vive la France ! Je suis impressionné. Peu de personnes peuvent se targuer d’avoir eu un Président de la République sur les genoux, mes félicitations !
- Ce n’était rien Monsieur le directeur, c’est le Président qui a insisté, son conseiller en communication n’était pas d’accord, mais je dois dire…
- Que vous aviez diablement raison ! Cinq points dans les sondages d’opinion, cinq points ! Plus de trois millions d’opinions favorables en plus, d’un seul coup, en comptant bien sûr les enfants, grâce à vous Monsieur Pelot, grâce à vous !
- Vous m’honorez Monsieur le directeur…
- C’est moi, et l’établissement que je représente, l’Aurora Grand Luxe de Notanou, qui sommes honorés d’accueillir le plus grand Père Noël que cette terre ait porté !
Voilà comment s’était terminé l’entretien. Le Père Noël Jacques Pelot remontait dans sa chambre. C’en était trop. Il était fatigué. Il avait bien droit à un petit somme. Il s'endormit instantanément, d'un sommeil agité. En rêve, il se battait avec des grenouilles, implorant leur grâce à genou. Elles étaient impitoyables, et silencieuses lui montraient un grand chaudron glougloutant.
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