Le Père Noël se fait la malle

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Il venait de se réveiller.

— Mais, pourquoi le Notanou... Juste avant le 24 décembre...

Ah ! Oui. Père Noël. Il était Père Noël. Organisait des spectacles, des shows ! Hé hé ! D'ailleurs, à propos de chaud, ça, ce n'était pas prévu, et ça lui pétait la cervelle.

La chaleur le rendait dingue. Sa peau le grattait sous l’épais costume rouge.

Il allait crever, c’est sûr ! Bien cuit à l’intérieur, gratiné à l'extérieur. Son épiderme cloque par cloque se détacherait dans un bruit de cuisine vapeur, et de petites fumerolles lui sortiraient des narines.

Pour échapper aux flammes de l'enfer, dans un dernier sursaut, il se jetterait alors par la fenêtre. Viserait la piscine, et, vu son état, se taperait la margelle. Courrait nu sur les plages, dans les vagues de l'océan, zigzaguant parmi les touristes japonais. Ou bien, resterait là sur le balcon, tout habillé dans les alizés, jusqu’à la pneumonie fatale, la bronchite, le desséchement définitif par sublimation.

Ou mieux. Qu’il en finisse ! Il lui fallait du rapide, nom d’un petit pois !

Il attraperait, plus simplement, un cancer, mais foudroyant ! Pile dans le cerveau ! Hémisphère droit, ou gauche peut-être ! Alors, il regarderait la mer. Tout son intérieur se viderait, ses flux neuronaux, enfin inutiles, lui ficheraient la paix, et il ne vivrait plus qu’au ressac des vagues, cette paix éternelle à laquelle il aspirait de toutes ses fibres surchauffées.

Aggripé au balcon, en équilibre instable, il versa une larme pour lui même, contemplant l’immensité.

Au loin, il eut le pressentiment d'une immense grenouille assise en tailleur, au large sourire, et qui le regardait avec une infinie compassion.

Il hésita.

Renonça.

Puis s’étendit sur le lit moîte et attendit, dans l'inconfort, la mort, ou du moins son irrémédiable substitut quotidien, en vente libre, conditionné en gros ou en détail.

La jolie réceptionniste de l’accueil, entourée de fleurs et de manous, allait bientôt appeler. Les enfants, certainement, le réclamaient.

Il fallait partir, se faire la malle et fissa ! La mort attendrait. Déjà on toquait à la porte.

- Monsieur Pelot, que faites vous ? Les petits enfants vous attendent, depuis déjà un quart d’heure !

Le directeur se tordait les mains, dans le couloir, mèche décollée. Pelot se redressa. Son esprit était dans une brume de chaleur opaque, au bord du coma.

- Surtout, ne pas lui répondre ! Je ne veux plus être Père Noël ! Plutôt crever dans cette macération, tellement répugnant qu’on me jettera à la mer, et je dériverai, grosse tâche rouge flottant dans l’horizon bleu, vers le Bouddha des grenouilles. La fenêtre, oui, la fenêtre !

Ha ! tout ce ciel !

Il avait fait de l’alpinisme dans sa jeunesse, il allait y arriver. Partir par la fenêtre, descendre le long de la gouttière, ou non, en nouant les draps ! et puis ensuite, il serait dans l’anonymat le plus complet, dans la rue comme tous les Pères Noël en ce 21 décembre, ignoré de tous, au prix de quelques innocents, - Ho, hO, ho ! Joyeux Noël ! Sous sa grande barbe blanche. Et il irait vers la mer et le ciel là-haut, dans le vent frais, vers le blanc des nuages et les moutonnements de l ‘écume.

La liberté.

- Toc-toc-toc… Monsieur Pelot !

Vite nouer les draps.

- Zut, ma chambre donne au dessus, en plein sur la réception. Trop tard ! Avec un peu de chance… je descends.

Erreur fatale ! La famille Kerby arrivait pour la remise des cadeaux, en retard, à cause du père Kerby. Malgré un décret céleste pourtant sans appel – du genre, par cinq nœuds de vent, pointes à dix dans la journée, abandonne toute idée de faire du kite - le père Kerby, en bermuda les pieds dans l’eau, avait offert depuis le matin un front buté à toutes les lois de la physique.

- Attendons encore un peu, je sens que ça vient… Mais bon, son fils trépignait et sa femme levait les yeux au ciel.

C’est donc avec satisfaction qu’il vit le Père Noël descendre par la fenêtre du second étage.

- Regarde fiston, le Père Noël arrive ! On n’est pas en retard, j’ te l’avais bien dit !

- Maman, le père Noël descend du toit de l’hôtel !

Passablement énervé, le Père Noël dérapa sur le G de Grand Luxe, et une pluie de papillotes et de menus cadeaux tomba devant l’entrée, le Père Noël apparaissant dans l’encadrement des portes vitrées, à l’instant même où les enfants se retournaient.

- Le Père Noël !

- Merde ! Je suis repéré !

- Ho, hO, ho ! Joyeux Noël à tous, les enfants !

La tentative d’évasion avait été tuée dans l’œuf. Jacques Pelot le voyait bien, à la mine soulagée et épanouie du directeur.

- Vous êtes le plus incroyable des Pères Noël, lui glissa-t-il à l’oreille, lorsqu’il se fit photographier sur ses genoux, sous les applaudissements des membres du personnel.

- Comme le Président ! Comme le Président ! Hurlait-il encore, radieux, ravi et conquis, pendant que le flash se déclenchait.

Si le regard du Père Noël avait pu irradier en rayonnement gamma, il aurait, c’est sûr, pulvérisé l’appareil.

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