Banana
- Il flotte une odeur bizarre…
- Je dirais, une odeur de banane mure.
- L’odeur des feuilles mortes, les champignons ?
- Le système de ventilation n’est pas celui de la résidence.
Arthur, Cassy et Maesath, accompagnés du Conseiller Spécial, examinaient l’intérieur de la salle de tir, furetant au long des murs. Ils cherchaient la seconde porte.
- Je crois l’avoir trouvée. Ce joint mural sent l’ananas, et aussi les fruits de mer. C’est répugnant !
- Ouverture facile ! Celle-là s’ouvre aussi avec le nounours aluminium.
- C’est un stub. Il s’enfonce selon un axe perpendiculaire. Il y a des serres géothermiques en dessous, qui fonctionnent avec la chaleur du volcan.
- Nous ne pouvons pas y aller ! Les gardes vont se réveiller, nous allons nous retrouver coincés dans une souricière.
- Moi, je vais y aller ! Arthur se tâtait le haut du crâne. - Depuis qu’il m’a assommé, j’ai un petit compte à régler avec cet Homme Rouge !
- Parfait ! Cassy et moi, nous restons à la Résidence. Nous n’avons pas fini d’en faire le tour. Vous nous guiderez, n’est ce pas mon cher Conseiller ?
- Si cela vous convient…
Voilà comment les choses s’étaient décidées. Et maintenant, Arthur Tungalik, Agent de Conservation de la Faune de première classe, fusil de chasse sur le dos, s’enfonçait dans les profondeurs de la terre. Il n’était pas à l’aise du tout. Non seulement il s’enfonçait loin de la lumière du jour, sous des tonnes de glace dont il sentait la pression au dessus de lui, à l’étroit dans un boyau grinçant, mais il était aussi à la merci d’une panne de stub. Il n’avait aucune idée de ce qui se passait, dans ces cas là. Le stub s’arrêtait-il ? Ou bien se trouvait-il laché d’un coup dans le tunnel comme dans un tobogan ? Il n’eut pas besoin d’avoir une réponse à cette question. Le stub s’arrêta devant la porte de sa seconde angoisse. Sur le panneau à l’arrivée était indiqué « Serres tropicales ».
Il avait beau s’y attendre, le choc thermique fut brutal. Passé la porte, le thermomètre mural indiquait 36°C et une hygrométrie de 92%. Et ce n’était rien en comparaison du choc visuel. Il se trouvait projeté dans la jungle, une vraie cette fois, avec des arbres énormes, des lianes tombant de la canopée, des épiphytes poussant partout sur les troncs, les branches, des mousses, fougères, orchidées, qui accueillaient des myriades d’insectes et de papillons colorés, d’oiseaux criards, passant en bandes d’arbre en arbre, le tout dans un boucan infernal de vie grignotante, hululante, grondante, zinzolinante.
Arthur chassa du revers de la main les mouches qui venaient goulument boire sur son front et ses lèvres la sueur qui perlait. Il écarta de sa parka une scolopendre d’une vingtaine de centimètres. Il était arrivé en enfer. Surtout, pour survivre, il allait devoir enlever ses trois premières couches de vêtements, pour ne plus garder que la jolie chemise à fleur de Hawaii. Il avait l’impression d’être nu. Donc d’être vulnérable.
- Mais comment ont-ils réussi à faire ça ?
Il ne s’interrogea pas longtemps sur d’inutiles questions. Il avait une mission. Il s’agenouilla, et commença à examiner les traces laissées au seuil de la porte.
Cela faisait maintenant vingt minutes qu’il explorait son environnement. La serre était grande, mais il avait pu trouver, assez rapidement, un des murs. C’est ce mur qu’il longeait à présent, non pas en le rasant au plus près, mais en restant à portée de vue. Il fallait se rendre à l’évidence. Les traces dans la forêt n’avaient rien à voir avec celles que l’on pouvait laisser dans la neige, et il se trouvait démuni.
Quelque chose lui indiquait une présence. L’Homme Rouge avait une demi-heure d’avance. Mais il ne savait pas quel était son but, ni s’il s’arrêterait en chemin. Arthur était partagé. Il fallait aller vite, mais dans un même temps ralentir par prudence, afin d’éviter de tomber dans un piège.
- Crack !
Un bruit de branche morte écrasée venait de se produire, derrière un rideau de végétation, à une trentaine de mètres. Une masse noire venait de passer, semblant aller à sa rencontre, lentement, passant de droite à gauche, puis de gauche à droite, dans un mouvement de balancier.
- Curieux comme mouvements. Mais adapté ici certainement…
Arthur s’arrêta devant un minuscule ruisseau qui serpentait à travers la forêt, et frissonna, malgré la chaleur infernale. Devant lui se dressait, plus haut d’une tête seulement, mais autrement musclé, un gorille des montagnes mâle d’au moins trois-cent kilos.
- Ha !
- Graaahh !!!
Le ruisseau n’offrait aucune protection, mince filet d’une eau dont la seule vertu était d’être rafraichissante. Le gorille semblait inquiet de voir son territoire piétiné. Il faisait des roulades, et se frappait le torse en poussant des grognements intenses et graves.
- Boum Boum Boum ! Graaahh !!!
- Ha ! Moi aussi je peux crier ! Et puis danser aussi, regarde !
Arthur se souvenait d’une danse qu’il avait faite avec Toshiro en Hokkaïdo, et qui lui avait donné beaucoup de plaisir. C ‘était la danse de l’ours, qui se pratique en levant légèrement les bras, et en se dandinant comme le ferait un ours dressé. Il n’avait pas toutes les paroles en tête, mais pour le gorille des montagnes, le refrain allait suffire. Du moins il l’espérait.
- Rrou, rrou, Hoï, Hoï ! Rrou, rrou, Hoï, Hoï !
- Graaahh…
- Rrou, rrou, Hoï ! Mais oui c’est bien mon gros !
Il fallait maintenant continuer à danser en longeant le ruisseau, avec un peu de chance, il ne traverserait pas, et toute cette eau devait bien aller quelque part.
- Rrrou, rrou, Hoï, Hoï !
En arrivant devant le mur percé à ras de terre, permettant à l’eau de s’écouler de l’autre côté, Arthur se dit que Kaïla, déesse du Ciel Glacé, avait eu pitié pour ses Ancêtres, et qu’elle avait voulu leur éviter la honte d’une mort infâme.
- Rrou, rrou, Hoï !
- Splash !
Arthur Tungalik, serrant contre soi son fusil et son baluchon, sautait dans la rivière, passant à plat ventre, narines serrées, de l’autre côté.
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