Les rêves d'Arthur
Arthur Tungalik avait accepté le contenu de l'enveloppe avant même son ouverture. Il avait fait à Toshiro une réponse, positive et concise. Ce qu'il n'avait pas dit, c'est pourquoi il acceptait cette mission, difficile, en terre étrangère.
Souvent sa femme se réveillait la nuit pour le trouver assis, les yeux ouverts. Il faisait de nombreux rêves qui lui donnaient du fil à retordre. Arthur était chaman. Rêver était une fonction officielle mais il était aussi, par goût, un très grand rêveur, qui partageait volontiers et savait écouter les autres. On venait de loin pour le rencontrer.
Comme il le disait souvent, les rêves sont de deux sortes. Il y a les petits rêves, ceux qui font le contrepoint des jours, et sont le reflet des conflits en cours, souvent mesquins (il lui arrivait ainsi de rêver encore de sa femme, mais plus comme avant). Et puis, il y avait les grands rêves, ceux qui ont un sens ou une portée pour le destin d'un individu ou d'un groupe. Ceux-là sont importants, et il est vital d'en parler pour ne pas les laisser pourrir. Le rêve devait absolument devenir vie.
Arthur savait tout ça, et il savait comment faire. Mais là, il ne pouvait rien. Les choses et les gens dont il rêvait à présent n'existaient pas dans son monde arctique. Les éléments de code classiques, les jeux subtils, étaient devenus sans utilité. Souvent, il soupirait. Le cosmos jouait avec lui.
Il ressassait avec tendresse son savoir menacé, ses victoires passées.
Par exemple, une femme qui rêve de corbeau, en a assez de son mari, ou aura un enfant, des choses comme ça. Le corbeau, c'est l'attente. Il avait des explications pour tout. La neige, les viandes, les poissons, les animaux, les étoiles, la chasse, les querelles. Il avait même trouvé le sens d'un rêve où un homme avait trouvé un peigne dans la neige, et puis s'était mis à se peigner. L'homme en question était venu de loin pour avoir une réponse. Il habitait à deux villages d'ici, ce qui dans l'Arctique représente beaucoup de kilomètres. Il craignait de se transformer en femme, et s'isolait souvent pour voir si tout était bien en place. Il avait même consulté le docteur, car il trouvait que son sexe devenait de plus en plus petit, qu'il réduisait. Il n'ouvrait plus son pantalon qu'avec crainte, il lui fallait des preuves. Le constat du professionnel lui donna quitus, le déclarant bon pour le service, mais il n'était pas satisfait. Le docteur Kabluna n'avait peut-être pas les bonnes références, qui sait ? Peut-être que lui aussi était malade, avec tous ces gens qui venaient.
Arthur lui avait dit que sa femme ne lui donnait plus satisfaction et qu'il la trompait dans ses rêves, et qu'il ferait mieux d'avouer, parce qu'il était en train de moisir. L'homme ayant avoué, il se sentit beaucoup mieux.
Chaman Tungalik avait trouvé l'interprétation pour un peigne, mais il savait que pour sauver son monde, il lui faudrait rêver beaucoup plus grand.
Aussi ne fut-il pas surpris lorsqu'arriva la lettre fleurie de Toshiro.
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