Chapitre 23 : romantique
Une fois le silence revenu, personne n’osa le briser. Tous se saisirent de leur As de cœur, chacun se demandant s’il devait ou non le retourner. Rubie n’avait plus aucune certitude, si ce n’est qu’elle ne possédait guère d’affinité avec toutes les personnes qui se tenaient dans cette pièce. Néanmoins, elle ne pouvait se résoudre à les trahir. Si le terme meurtrier apparaissait entre ses doigts, que devrait-elle faire ? Pourrait-elle seulement dissimuler la détresse qui lui scierait le visage ?
La petite forme rouge commençait à trembler sur son bout de papier. L’angoisse reprenait le dessus. Il fallait la retourner.
Une respiration.
Silence.
Une respiration.
Silence.
Recto… verso.
Romantique.
Son cœur retomba lourdement. Soulagement. Peu importe à quoi correspondait cette carte, dont le nom lui seyait si mal, elle n’aurait pas à tuer.
Le Romantique est un amoureux de l’amour.
Il aime et a besoin d’être aimé.
Avec son âme sœur, il doit tout partager.
Choisissez. Parmi ces beaux jeunes hommes, un vous fait rêver.
Ses pouvoirs deviendront les vôtres, et ensemble vous gagnerez.
Soyez découvert, et vous perdrez.
A en croire ce que signifiait ce poème étrange, elle devait choisir un allié dans cet amas de garçons arrogants et pleins de faux honneur. Génial.
Peu importe qui ils étaient, seules deux questions lui taraudaient désormais l’esprit : comment savoir à qui faire confiance ? Et comment être sûre de ne pas donner avantage au meurtrier ?
- Vous devez choisir, mademoiselle Falcon.
Elle se retourna brusquement. Les bavardages résonnaient de nouveau à foison, mais cette voix n’avait rien d’humain.
- L’heure tourne mademoiselle Falcon.
A ces mots, toutes les horloges se mirent à tinter.
Tic.
Tac.
Tic.
Tac.
Tic.
Tac.
Ce son était aussi stressant qu’insupportable.
- Choisissez mademoiselle Falcon.
Les mains plaquées sur ses oreilles, Rubie tenta de rassembler le peu de concentration qui lui restait. D’un œil avisé, elle inspecta la salle. Connor semblait être un homme intelligent, assuré et perspicace, mais il avait l’étoffe d’un chef. La jeune fille s’en méfiait. Les chefs sont toujours ceux dont on doit se méfier. Il lui fallait chercher encore. Les bras musclés de Thao ne lui seraient d’aucun secours dans un jeu de logique, et les petites lunettes de Louis cachaient une timidité dont elle n’avait pas besoin de s’encombrer. Maider peut-être. Il paraissait moins affolé que les autres, presque amusé. Cette nonchalance l’attirait. Sous sa peau sombre, Maider lui rappelait Théoxane. D’ordinaire, c’était lui qu’elle appelait pour se sortir des situations délicates. Lui, et Andréas. Il lui fallait trouver le mélange parfait de ces deux êtres dans une foule de gens qu’elle connaissait à peine. Cette tâche n’était pas faite pour la raison. Rien ici ne lui était destiné. Ces garçons, Rubie devait les regarder avec le cœur. Après tout, la carte avait mentionné une « âme sœur ».
Elle ferma les yeux, et tenta de percevoir laquelle de ces voix résonnait en elle avec une intensité différente.
- Elya ?
Plongée dans les profondeurs de son être, elle ne s’attendait pas à être dérangée.
Devant elle, un jeune homme tenait un miroir en forme de cœur.
- Votre reflet brillait à l’intérieur. J’ai préféré vous l’apporter avant que les autres ne le trouvent, qui sait quelles conclusions ils auraient pu en tirer.
Lorsqu’il parlait, des petites boucles brunes s’échappaient de son chapeau et venaient danser sur son front doré par le soleil. D’apparence il n’avait rien de spécial, mais son regard – noir comme celui des autres - détonnait. Ses yeux avaient quelque chose d’unique, un je ne sais quoi qui lui donnait de la couleur. De toutes les personnes qui s’agitaient autour d’elle, rare étaient celles dont Rubie avait retenu le prénom. Lui, il s’appelait Marco.
- Et vous, demanda-t-elle, quelles conclusions en avez-vous tirées ?
Il sourit.
- Aucune. Je ne pense pas que ce miroir soit un indice pour trouver le meurtrier. Ce serait trop facile, bien loin de ce qui intéresse le Conseil.
- Si ce n’est pas un indice, à quoi est-il sensé me servir ?
- Je n’en sais rien, vous n’avez qu’à lui demander.
Ironique, mais pas fondamentalement idiot.
- Dans cet endroit, avoua-t-elle, parler à un objet ne paraitrait presque pas insensé.
- Presque pas, en effet. Rien ne vous empêche d’essayer.
Elle rapprocha ses lèvres de l’objet, prête à lui ouvrir son cœur, lorsque celui-ci la devança.
- Avez-vous choisi mademoiselle Falcon ?
Son cœur rata un battement. La voix déroutante qui chantait des Tics et des Tacs dans sa tête venait donc d’un miroir ! Très bien. Ou pouvait-elle trouver une poubelle, il lui fallait absolument y jeter son bon sens.
- Il vous faut choisir, mademoiselle Falcon.
- Je… j’ai…j’ai choisi, avoua-t-elle à demi-mots, encore troublée par son interlocuteur.
- Il me faut un nom, mademoiselle Falcon.
Elle se retourna.
- Marco… Marco Da Silva.
Les horloges se turent enfin, et le miroir afficha la carte du médecin.
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