Sous la table renversée, des portes s’ouvrirent à foison. Des caméramans en jaillirent telle une nuée d’insectes. La joie devint euphorique, tous ces adolescents piaillaient désormais à en perdre la voix. Rubie, elle, ne bougeait pas. Elle laissa des hommes la guider vers l’extérieur, la ramenant dans une salle immaculée où avait été dressé un véritable banquet. Elle ne mangea rien, s'assit sur une chaise et admira le temps passer. Puis on la reconduisit dans sa chambre. Elle retira ses vêtements qui lui comprimaient la poitrine, s'alongea sur son lit. Seule. Nue. Vidée.

Elle aurait aimé pleurer, mais son corps n’en ressentait pas le besoin. Tout ce qu’elle venait de vivre lui apparaissait totalement détaché de son existence, comme l’histoire d’un mauvais livre que Théoxane lui aurait racontée. Elle appréciait qu’il en soit ainsi, elle n’avait pas besoin de comprendre la gravité de sa situation. Puis, mécaniquement, elle s'endormit.

Une heure plus tard, une envie pressante la réveilla. Le jour brillait encore, sa journée venait à peine de commencer. Les autres devaient sûrement dormir, tous n’avaient pas pris le temps de faire une sieste. Le Conseil les laisserait peut-être enfin souffler, maintenant qu’il ne pouvait pas prévoir pire que ce qu’il avait déjà fait.

Rubie revêtit une robe blanche, d’un tissu léger, cintrée à la taille. Cette forme soulignait parfaitement la courbure de ses seins. Elle ne savait pas encore ce qu’elle prévoyait de faire, mais elle perdrait la raison à demeurer enfermée dans cette chambre. Elle voulait respirer. Elle voulait vivre.

On toqua à la porte. Peu importe quel serviteur en franchirait le seuil, elle le renverrait sans politesse.

- Je vais bien, hurla-t-elle à travers le battant, je n’ai besoin de rien, vous pouvez repartir !

On toqua de nouveau. Un acharné.

- Dites à votre patron que je vous ai renvoyé, ajouta-t-elle, je ne suis pas d’humeur !

On se remit à toquer.

Agacée, Rubie n’eut d’autre choix que d’aller ouvrir. Elle s’attendait à trouver devant elle un petit être fébrile, tenant péniblement un plateau dans ses mains. Au lieu de cela, elle vit apparaitre un visage qu’elle se souvenait connaitre. Un visage d’une douceur amicale, et d’une force hors du commun.

- Salomé Neverland, votre protectrice, déclara la jeune fille en lui tendant la main.

Ce mot… ce mot ralluma en elle l’étincelle d’un savoir oublié. Les protectrices, la fille du bar, celle qui devait fuir sur le Continent. C’était elle qui lui avait parlé des porteuses de sphère. Sans elle, elle errerait sans doute encore dans la Capitale. Un sort qui aurait peut-être été préférable à celui pour lequel elle s’était destinée. Quoi qu’il en soit, Salomé n’aurait jamais dû être ici.

- Tu… tu ne devais pas… tenta de demander Rubie.

- Si, répondit mécaniquement la jeune jeune fille tandis qu’elle pénétra dans la chambre sans invitation. Quant à toi, le blanc te va bien.

Le ton sarcastique qui émanait de sa voix faisait écho au mensonge dans lequel Rubie avait cru bon de se noyer.

- Je ne voulais pas… je ne savais pas comment te dire la vérité.

- Tu n’avais aucune raison de te révéler à une inconnue. Je ne t’en veux pas, si c’est là ta question.

Une gentillesse… balancée d’un ton agressif.

- Pourtant, tu aurais le droit de me détester.

Salomé s'installa sur le lit qui, d’évidence, avait toujours été prévu pour elle.

- Je déteste déjà tout ce que tu représentes. Maintenant, j'espère simplement que tu vaux mieux qu’une simple porteuse de sphère.