chapitre 58 : il devait être là
Les cours de danse ne s’effectuaient pas dans leur salle habituelle, ils avaient lieux au théâtre de l’aile Ouest, dont Rubie ignorait jusqu’à lors l’existence. Là, un grand homme au corps athlétique se tenait debout, un bâton à la main. Sa peau mate semblait avoir absorbé tous les rayons du soleil et ses cheveux noirs, noués en queue de cheval sur son cou, décoraient toujours de leurs mèches espiègles les contours de son visage.
- Préparez-vous les enfants, nous allons commencez, dit-il en roulant sensuellement chacun des « r » de sa phrase.
Il ponctua ses mots d’un coup de bâton sur le parquet, et toutes les jeunes filles se mirent en rang devant lui. Rubie aimait la liberté qu’offrait la danse, les mouvements que le corps contrôle davantage que l’esprit, loin du rythme imposé par la cadence du bâton d’un marionnettiste qui se prenait pour un maitre à danser.
Puis la porte s’ouvrit, et les garçons entrèrent dans la salle. On entendit des gloussements fendiller l’air, vit des sourires scintiller et des baisers virevolter dans le vent. Mely regardait Sacha avec insistance, et Rubie se rappela la confidence qu’elle lui avait faite un jour. La possibilité de leur couple l’amusait, mais pas assez pour oublier que Marco n’était pas là. Malgré le temps, elle pensait encore à lui, et elle avait l’étrange sensation que cela ne se terminerait jamais.
Les garçons ne portaient qu’une simple chemise blanche sur un pantalon noir, souvent entre-ouverte, laissant apparaitre la musculature de leur torse. La chaleur augmenta dans la salle. Ces jeunes hommes avaient l’habitude de plaire, et ils aimaient cela.
- Je m’appelle Rodrigo Sanchez, poursuivit enfin le professeur en jouant de nouveau du bâton. J’ai été invitée ici par votre charmante enseignante afin de vous inculquer les bases de la danse.
- Mais avant cela, l’interrompit poliment Rose, je voudrais accueillir vos sept camarades qui, à la suite de leur échec au jeu précédent, ont survécus à l’épreuve de la foule.
Dans un tonnerre d’applaudissement, Lydia Derris franchit la porte du théâtre. Le cœur de Rubie se serra. Il devait être là. Il devait être là. Il devait être là.
Bastian Schmit entra à son tour, suivit de May Karter, de Zoé Grutën, de Marlon Hörvat et de Silas Sila. Ils étaient déjà six, il n’en restait plus qu’un. Une vie. Une seule vie.
Rubie ne pouvait plus respirer, son cœur allait éclater en morceau. Il éclata. Marco franchit la porte.
Elle aurait voulu courir, le prendre dans ses bras, mais la pudeur et l’égo la maintinrent à sa place. Merry Monero, Connor Rajer, Léandro Korhonen, Lauriane Silawen et Norie Fuson ne reviendraient pas. Qu’importe, Marco était là.
- Très bien. Tout d’abord, mettez-vous en rond, les filles à l’intérieur, les garçons à l’extérieur, tournés les uns vers les autres. Les filles tendez votre main, les garçons embrassée-là.
- Ravi de vous revoir, mademoiselle Falcon, souffla-t-il à son oreille.
- Plaisir partagé, monsieur Da Silva.
Leurs regards se croisèrent, il lui sourit. Deux petites fossettes creusèrent ses joues aux deux coins de sa bouche, donnant à son visage une douceur enfantine. Ces bouclettes sombres lui chatouillaient le front tandis qu’il attrapa Rubie par le bout des doigts, et la fit tourner au rythme de la musique. Il commença ensuite à marcher, suivant le fil de la ronde, croisant les pieds si adroitement que la jeune fille se sentait terriblement gauche à ses côtés. Puis il l’attrapa par la taille, collant son bassin contre ses hanches, son tors contre ses seins, son nez contre son nez. Malgré ce torride rapprochement, leurs lèvres gardèrent une distance raisonnable et, sous les ordres du professeur, Rubie se laissa tomber en arrière. Son dos ne se plia pas autant qu’elle l’aurait voulu, mais assez cependant pour qu’on ne lui fasse pas de remarque.
- Maintenant les garçons, faites tourner vos cavalières jusqu’au centre du rond et rejoignez-les en suivant le même pas. Quand vous arriverez à leur hauteur, mettez-vous à genoux.
Le jeune homme lui donna juste assez d’élan pour qu’elle parvienne à atteindre le cœur de la ronde sans trop de difficulté. Une fois à genoux, il tendit les bras vers elle, l’attrapa de nouveau à la taille et la souleva dans le ciel. Rubie ne savait trop quoi faire, peinant à rester droite tandis qu’elle imaginait les bras de ce pauvre garçon tremblants sous son poids. Quand il la reposa enfin, il ne semblait pas affecté par son effort.
- Bien les enfants, pour une première leçon c’est très bien ! Je suis très fière de vous !
Rodrigo sorti ensuite de la poche de son pantalon une petite boite à cigare, en fit tourner un entre ses doigts et alla le fumer sur le balcon. Rubie jeta un léger coup d’œil à Nala, absorbée par le flot de parole que lui débitait son cavalier. Elle ne disait rien, riait quelquefois, ne faisant qu’écouter ce que le jeune homme lui racontait. Rubie la trouvait pathétique de s’effacer ainsi devant lui, mais la lueur qui brillait dans ses yeux lui donnait envie.
- Nala t’a fait faux bond on dirait.
Marco n’avait pas bougé d’un pouce. Tous les autres étaient déjà partis, mais lui était toujours là.
- Il faut croire, lui répondit Rubie en détachant son regard. Elle a l’air heureuse, c’est le principal.
- Ça ne te donne pas envie ? déclara-t-il tout en se rapprochant.
- Tu es là pour me faire danser, lui répondit Rubie d’un ton ironiquement sulfureux, rien d’autre. Je ne sais pas ce que tu as l’habitude de faire avec tes autres cavalières, mais n’y compte pas avec moi. Je ne suis pas intéressée.
A ces mots, elle attrapa la cape qu’elle avait laissée à l’entrée et sortit.
Marco laissa échapper un petit rire étouffé. Cette fille n’avait décidément rien d’ordinaire.
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