Chapitre 60 : la grâce d'un pachyderme
- Bordel, t’étais où !
Les boucles rousses de Nala surgirent comme un soleil d’été entre les nuages blancs d’uniformes. Son visage se détendit quand elle aperçue Rubie, Marco revenu à ses côtés. Ce qu’elle imaginait était, certes, bien loin de la vérité, mais suffisait à la réjouir.
- Oh, je comprends, déclara-t-elle pleine d’insinuations. Malheureusement toutes les bonnes choses ont une fin, le cours reprend et Rose ne plaisante pas avec le retard.
- Depuis quand t’inquiètes-tu des pensées de Rose ? demanda Rubie qui avait très bien comprit le but de son manège.
- Depuis que…
- De toute façon je devais partir, la coupa Marco dans un clin d’œil. J’ai des affaires à régler, qui vous ennuierais au plus au point, mais que je ne peux laisser de côté quand bien même ce serait pour regarder danser de charmantes jeunes filles. Ravie de t’avoir revue Nala, à bientôt Elya.
Puis ce fut à son tour de disparaitre.
Rubie le laissa terminer son discourt sans rien dire, le laissant croire que ses mots l’avaient touchée, et craignant intérieurement que ce soit le cas.
- Je vois que tu t’es bien amusée, lui glissa Nala.
- Ce n’est pas ce que tu imagines. Il ne s’est rien passé entre nous.
- Ah oui, pourtant vous êtes proches. Ne me dit pas le contraire, je l’ai très bien vu lors du dernier jeu, et je ne t’ai jamais vu aussi pimpante que lorsqu’il est revenu parmi nous.
- Tu utilises le mot « pimpante » maintenant, railla Rubie tout en se positionnant sur la piste de danse.
- Mes mots n’ont pas d’importance. Marco t’aime bien, et il te plait aussi. Je ne vois pas où est le problème.
- Le problème, c’est que je n’ai ni le temps ni l’énergie à accorder à ce genre de bêtises. J’aspire à une autre liberté que celle du mariage. Et si, au lieu de parler de mes déboires amoureux, on évoquait les tiens. Neve ? Il est mignon.
Nala rougit, mais ne désira pas poursuivre la conversation.
Tout le restant de la journée, les jeunes filles s’attelèrent à l’apprentissage de pas de danse, tous plus complexes les uns que les autres. Rubie trébuchait, s’emmêlait les bras et les pieds, oubliait la moitié de la chorégraphie, perdait le fil de la musique… Sa grâce de pachyderme lui empotait le corps tandis que ses camarades tourbillonnaient telles des plumes dans le vent. Elle détestait cette sensation d’être forcée à l’exercice d’une chose qu’elle ne maitrisait pas, qu’elle ne voulait pas maitriser. Dès qu’elle tendait la main, pliait la jambe, elle sentait les regards se poser sur elle et les railleries fuser dans son dos. Cette pression supplémentaire, couplée aux continuelles reproche de Rose sur sa tenue et son maintien, la poussait de plus en plus à la faute. Elle voulait retrouver ces soirées où la danse lui paraissait simple et délicieuse.
Dans une tentative de grand jeté, ses orteils se fracassèrent sur le sol et sa cheville tourna à l’envers. Elle s’écroula sans un cri, contemplant sa pauvre articulation qui enflait à vue d’œil. Nul ne prit la peine de s’arrêter pour aider la pauvre blessée, hormis Nala qui se précipita vers elle.
- Elya ! ça va ? Je t’ai vu tomber, tu ne t’es pas fait trop mal ?
Bien sûr qu’elle c’était fait mal, horriblement mal même, mais elle n’en dit rien.
- Je vais bien, ne t’en fais pas.
- Ne te fiche pas de moi, je vois bien que tu mens. Il faut t’emmener à l’infirmerie tout de suite !
Rubie le savait, mais elle connaissait aussi la terrible réputation des infermières de l’aile Ouest. Jamais elle ne mettrait les pieds là-bas, pas de son plein gré.
- Je vais y aller, je te promets, déclara-t-elle les dents serrées, mais Rose ne te laissera quitter le cours avec moi sous aucun prétexte. Ne t’en fais pas, je vais me débrouiller toute seule.
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