Chapitre 15

16 minutes de lecture

Lui faire du mal, c’est comme m’en faire à moi.


J’ai passé la matinée de mon jour de congé couchée dans mon lit, à fixer le plafond d’un regard vide. Très tôt ce matin, j’ai entendu mon père et Angel se rendre chez un fermier, puis revenir.

Je n’ai plus envie de rien. Plus aucun projet, plus aucune perspective. Mon monde s’est écroulé.

La porte s’ouvre doucement.

— Je dors, maugréé-je.

Mais personne n’entre. J’entends juste un genre de grattement, et soudain, quelque chose monte sur le lit.

Un écureuil, d’un roux flamboyant. Perché sur ma couette, il me fixe de ses petits yeux noirs.

Un sifflement doux retentit, et il repart aussi vite qu’il est arrivé.

Je me redresse, le suit des yeux.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Vient manger avec nous, fait alors la voix d’Angel derrière la porte. On a préparé un brunch du dimanche.


*


Je retrouve papa et Angel – l’écureuil perché sur son épaule – autour de la table de la cuisine. Je n’ai pas pris la peine de me composer une tête correcte : j’ai juste attaché mon fouillis de cheveux en une queue de cheval haute et enfilé un gros pull moche. Je note qu’Angel me scrute avec intérêt, devant probablement noter que je suis bien moins attirante sans maquillage. Mais je m’en fous. Je n’arrive pas à penser à autre chose que Dan, à sa trahison, et au vide abyssal que va représenter ma vie sans lui.

Tu l’as bien mérité, Ree. À zyeuter un autre mec dès que tu le pouvais. Tu l’as même embrassé… c’était logique que ça te retombe dessus. Ça s’appelle le karma, ou le « choc en retour », si on en croit le livre wicca de Rowan.

Une assiette de pancakes atterrit devant moi.

— Le pain elfique. Goûte, et dis-moi ce que t’en penses.

Je relève un regard morne vers Angel.

— Ce n’était pas une blague ? Une référence au Seigneur des Anneaux ?

Angel me regarde sans rien dire, le coin de sa bouche légèrement relevé.

Très drôle.

— Angel a appris à faire les pancakes, Ree, m’apprend papa en passant la main au-dessus de la table pour en prendre un. Et ils sont délicieux. Un petit je-ne-sais-quoi de féérique, en effet. Notre ami est un bon cuisinier !

Notre ami. Pour papa, c’est essentiel d’être un bon cuistot, quand on est un homme digne de ce nom. Ça fait partie du pack.

J’en prends un, pour faire plaisir. Mais je n’ai pas faim du tout.

Pendant ce temps-là, Angel est en train de donner un tout petit bout à son écureuil.

— Tu l’as trouvé où ?

— Il venait souvent à la fenêtre de ma chambre. Je lui ai ouvert, et voilà.

— Angel attire les animaux, commente papa. Quand il entre dans un pré, tous les chevaux viennent vers lui, et le chien du vieux Rogers arrête de grogner dès qu’il apparait. Ce matin, pendant que tu dormais, on y est retourné. Il y a un taureau vraiment pas facile dans son troupeau… eh bien figure toi qu’il n’a pas tiqué quand Angel s’est approché !

— Franchement pratique, pour un véto ! dis-je avec un sourire un peu faible. C’est cool.

J’ai envie de baisser les armes. Plus la force de faire la guerre sur tous les fronts. Angel me jette un regard de lac. Il n’a pas l’air étonné.

Je me demande dans quelle mesure papa est au courant pour moi et Dan. Il ne l’est probablement pas.

— Aujourd’hui, il faudrait décorer le sapin de Noël, déclare-t-il. Puisqu’on a décidé de contrer la malédiction des douze nuits de Noël et de le fêter à trois… Que dites-vous de s’y mettre cet aprèm ?

Il sait. Soit Angel lui a dit – ce qui m’étonnerait, vu la discrétion du fae - , soit il a compris. Mon père est assez subtil. Il a dû comprendre de lui-même, en me voyant m’enfermer dans ma chambre sans manger hier soir.

— On n’a pas de décorations, remarqué-je.

— Je vais en chercher, propose aussitôt Angel. Il suffira de me dire où, et ce que vous voulez. Je ne sais pas ce que vous accrochez dans vos arbres de Noël.

— Ree pourrait t’accompagner, elle ne travaille pas aujourd’hui. Hein, Ree ?

Mais Angel intervient.

— Non, je vais y aller seul. Ree n’a pas l’air au mieux de sa forme. Mieux vaut qu’elle se repose au calme.

Je lui jette un regard reconnaissant. Angel me soutient, à sa manière.


*


Mais en fait, au moment où il part, je décide de l’accompagner. Ça ne me changera peut-être pas les idées, mais je trouve ça vache de le laisser galérer tout seul, alors qu’il ne connait pas les coutumes humaines.

— Je viens avec toi. Au fait, ton pancake était très bon.

Angel, qui était en train d’enfiler son manteau, lève vers moi un regard surpris.

— D’accord. Tu veux conduire ?

Qu’est-ce qu’il est prévenant, aujourd’hui… Mais il faut reconnaître qu’hier aussi, il a assuré. Pas un mot, la moindre remarque déplacée. Il m’a ramenée à la maison et escortée tranquillement alors que je courrais me réfugier dans ma chambre pour pleurer tout mon saoul, en occupant papa qui me parlait depuis le salon. Il avait formé autour de moi une bulle protectrice et rassurante. Il excelle à ça : cette façon de faire, c’est vraiment sa spécialité. Pas étonnant que les animaux en souffrance l’apprécient.

— Comme tu l’as dit toi-même, papa a peur que je plante son beau 4x4. C’est déjà arrivé. Après ça, j’ai plus osé prendre le volant pendant des mois. Alors je te laisse conduire.

Angel sourit, et ses yeux verts pétillent de malice.

— Je sais. Il me l’a raconté.

Ils sont vraiment devenus complices, tous les deux.

— Il t’en raconte, des choses !

— Effectivement. Il m’a même raconté que tu adorais lécher les congères, étant petite, et qu’un jour, tu es restée accrochée par la langue sur coulée de givre à la balançoire du quartier.

La honte. La veille encore, j’aurais été mortifiée qu’Angel connaisse ce genre d’épisode. Mais aujourd’hui, tout me passe au-dessus.

— C’était horrible ! Il t’a raconté ça ?

— Il m’a aussi dit que tu étais amoureuse d’un certain « Nicholas », à l’école élémentaire. Brun, très pâle, un peu à part des autres.

— Pff, n’importe quoi.

Je devine pourquoi papa a raconté toutes ces inepties à Angel. Il essaie de le faire parler sur sa propre enfance. Je me demande si ça a fonctionné. Angel est affable avec nous, mais au final, il ne nous dit jamais rien sur lui.

— Et toi ? Tu lui as raconté des épisodes embarrassants ?

— Il n’y a aucun épisode embarrassant dans ma vie. J’ai toujours été comme je suis aujourd’hui.

Mais bien sûr.

— T’as jamais fait pipi au lit, toi, par exemple ?

Petit regard surpris. Il ne s’attendait pas à la question.

— Non. J’avais pas intérêt. La moindre tache sur les draps, ou un lit pas plié au carré, c’était dix coups de trique, à l’orphelinat.

Son ton soudainement dur me contraint au silence.

Ne creuse pas plus sur son enfance. Pas une bonne idée.

Il a beaucoup neigé cette nuit, comme la météo l’avait annoncé. Je suis contente de ne pas conduire, vraiment.

Et puis, c’est agréable de voir Angel le faire. Ça me permet de le mater tout ma saoul, sans qu’il s’en aperçoive.

Je ne vais pas à Costco, car je sais à quel point ce grand espace plein de stimulations lumineuses et sonores est difficile pour Angel. Le livre que m’a prêté Jolene, ainsi que mes recherches sur Internet, ne cessaient d’insister sur les sens ultra développés des elfes, ainsi que leur grande sensibilité. Comme des chats, ou des chevaux. Et on amènerait aucun cheval et aucun chat à Costco. Je veux pas non plus l’emmener dans le magasin où on s’est engueulé et donné en spectacle devant tout le monde. Je choisis donc une petite boutique en ville, un peu confidentielle, qui vend des décorations artisanales, plus chères, mais moins plastifiées. Cet environnement sera mieux pour Angel. Il s’y sentira plus en sécurité.

— Tu as dit à mon père que tu ne savais pas comment on décorait un arbre de Noël… est-ce que c’est vrai ? lui demandé-je en entrant dans le magasin, au son du carillon.

— Oui. Je n’ai pas fêté Noël avant l’âge adulte, avec mes frères du clan. Et chez nous, les traditions sont différentes.

— Mais tu as dit que vous aviez celle de l’arbre de Noël, chez vous aussi.

— À l’époque, oui. Après la chasse rituelle, on décorait l’arbre du clan avec les têtes des ennemis vaincus, ou leurs armes.

Ah oui… très éloigné de la pub Coca-Cola.

— On va éviter d’embrocher des gens dans l’arbre, décidé-je. Les boules, c’est très bien.

— T’inquiète pas. Ça ne se fait plus depuis plusieurs siècles, me rassure Angel.

Encore heureux.

Angel a l’air fasciné par les boules en verre transparentes, surtout celles avec de la fausse neige en polystyrène dedans. J’en prends quelques-unes dans mon panier. Il est également attiré par tout ce qui est brillant et argenté. Jusqu’ici, je l’ai comparé à un cerf, un cheval, un félin sauvage ou un sanglier, parfois à un corbeau ou un coucou, mais il a également du sang de pie. Il attrape une petite étoile de ses longs doigts, et, avant que je ne puisse réagir, la glisse dans mes cheveux.

Je l’enlève, gênée.

Je le suis du regard alors qu’il s’éloigne dans les rayons. Les regards des gens sur lui ne me font plus honte : ils m’irritent. Si un tel ange descendait dans mon magasin, je construirais un autel pour le vénérer. Mais le première reflexe des gens est le rejet. Le désir ou l’effroi : ce sont les deux seules réactions qu’il suscite. Alors qu’il mérite tellement mieux.

Souviens-toi. Il y a encore une journée… ce que tu pensais de lui.

Je croyais que j’avais de bonnes raisons de le détester. Mais en fait, plus j’y réfléchis, moins j’en ai. Angel n’est pour rien dans la mort d’Angelo. C’est Shaun Blackfyre, l’ard-æl des Black Heart, le responsable. En dépit de ce que peuvent prétendre Rowan et Arabella, toutes deux dévouées à sa cause… comme elles l’ont dit elles-mêmes, elles n’étaient pas là, à l’époque où ça s’est passé. Et Shaun ne leur dit pas tout. Elles sont les premières à le reconnaître.

— On dirait qu’il va neiger à nouveau, m’apprend la vendeuse à la caisse.

Effectivement. Le ciel est lourd, blanc. En dépit des lumières qui éclairent les magasins et de la musique de Noël qui retentit partout, c’est un jour froid, à rester chez soi avec un bon chocolat chaud. Je jette un coup d’œil à Angel, qui continue de tripoter tous les articles du magasin. Il relève la tête une seconde et me sourit, après avoir rabattu une mèche noire derrière son oreille pointue.

La vendeuse n’ose pas le regarder.

— C’est le nouvel assistant de mon père, dis-je en relevant la tête. Comme il est elfe, il a un sixième sens avec les animaux. Dave Rodgers est particulièrement satisfait de ses services.

Le sourire de la commerçante s’élargit.

— Oh… Dave ? Lui qui n’est jamais content ?

— Lui-même.

Angel s’est rapproché. Cette fois, la femme ose le regarder franchement. Je la vois rougir.

— J’aime beaucoup vos décorations, dit-il en posant la petite étoile sur le comptoir. Elles sont très belles.

— Merci… C’est la première fois que je vois l’un de vous dans mon magasin… balbutie-t-elle. Je veux dire, en tant que client…

« Vous ». Tout pour éviter le mot tabou. Elfe, ou fae.

Angel se contente d’un sourire. Puis il sort un billet de sa poche. Un vrai, cette fois : je ne l’ai pas vu ramasser de feuilles mortes avant d’entrer dans le magasin.

Il me prend d’office le sac de courses et sort dans la rue fraîche avec moi. Un flocon tombe. Il le ramasse sur son doigt, et le pose sur la petite étoile en bois argenté qu’il vient d’acheter : elle est aussitôt prise dans une glace aussi transparente que du verre, qui l’englobe comme un écrin, multipliant sa brillance. Je relève les yeux sur lui, stupéfaite par sa magie. Ses yeux ont pris un éclat minéral, surnaturel. Lentement, Angel tend la main et fixe l’étoile de glace dans mes cheveux à nouveau, juste au-dessus de la mèche blanche. En redescendant, ses longs doigts effleurent ma joue.

— Ne l’enlève pas. Je te l’offre.

Je la touche doucement. Elle est bien fixée dans mes cheveux, comme une vraie barrette.

— Je sais que c’est malpoli chez les elfes de dire merci. Mais je le pense très fort, Angel.

— Ce n’est pas malpoli. Juste inutile. Si tu es contente de mon cadeau, je le verrais. Sinon, mieux vaut que tu ne dises rien.

Expliqué comme ça, c’est tout de suite plus simple.

On peut dire que les faes sont entiers et sans concession, absolus.

Je fais quelques pas sous la neige avec Angel, prend le temps de regarder quelques boutiques. Je n’ai pas envie de rentrer : je veux rester dans ici avec lui, sous la neige, à profiter de cette magie fragile et éphémère qu’il vient de créer. Au pire, on pourra décorer l’arbre demain, à mon retour du travail.

— On va boire un vin chaud ? proposé-je. Tu connais ?

— Oui… mais je veux bien en boire un avec toi.

Il y a un petit marché de Noël, autour du lac gelé qui sert de patinoire. C’est là-bas qu’on va. Angel prend la tête et marche d’un pas résolu vers la voiture, prêt à l’ouvrir et à glisser nos courses sur la banquette arrière. Je continue à contempler les illuminations de Noël, le cœur un peu plus apaisé par ce coton dont Angel a colmaté mes failles, alors que la lumière blanche de l’après-midi décline. À l’approche du solstice, les jours raccourcissent à vue d’œil. Et soudain, la lumière semble avalée par la blancheur ouatée de la neige, et les guirlandes électriques deviennent plus étincelantes, comme si on venait de rallumer un décor de théâtre.

C’est là que je les vois.

Les Black Heart. Comment ne pas les reconnaitre ? Ils viennent avec la nuit, dans une bourrasque de neige. Une harde de loups sortis de la forêt hivernale, qui ont laissé leur fourrure dans leur antre, mais pas leur férocité. Leurs bras nus indifférents au froid, leurs vêtements tribaux arborent des symboles étranges, qui se mettent à danser si on les fixe trop longtemps. Leurs yeux miroitants brillent comme des gemmes dans la lumière artificielle. Une symphonie cruelle de visages aigus et féroces, à la beauté qui tire des pleurs. Parmi le cuir, les longs cheveux qui coulent comme des crinières et les regards d’une noirceur abyssale, l’éclat sporadique et argenté d’une lame ou d’un ornement. Et cette magie qui pulse au rythme de leur sauvagerie. Ni civilisés, ni civilisables.

Des elfes, des vrais. Pas des faes apprivoisés comme Angel.

Ce dernier apparait de nulle part et me pousse derrière lui, presque brutalement. Bloque mon champ de vision de sa haute silhouette, me coince entre une vitrine et son perfecto. Dans mon dos, j’entends le cliquetis de la porte du magasin qu’on verrouille.

Le groupe est là. Cinq ou six individus, des fauves de la forêt grimés en humains. Dans la boucle de ceinture de certains, la crosse d’un flingue, le manche en os d’un couteau. C’est un gang fae. Pour de vrai. Un de ceux qu’on voit à la télé, avec les stations-services carbonisées, les impacts de balles dans le mur d’une boîte de nuit, les corps sans identité qu’on retrouve dans le Mississipi.

Une grande elfe vêtue d’une espèce de fourrure de plumes corbeau, plus chamane que rock-star, s’avance. Je la reconnais immédiatement. C’est May. La fille sur la branche… Elle verrouille ses yeux sans fond sur moi, puis sur Angel. Et l’invective dans une langue que je ne comprends pas. Je savais que les elfes avaient leur propre dialecte, mais c’est la première fois que je l’entends. C’est une langue dure et belle à la fois, qui coule comme de l’eau glacée sur des cailloux au fond d’un torrent de montagne. Le ton est âpre, brutal. Et Angel répond de la même façon.

Un fae au crâne à moitié rasé, comme un Huron dans un western des années 90, tend le cou pour mieux me voir, son œil d’oiseau de proie braqué sur moi. Je me recroqueville, résistant à la tentation d’agripper le bras d’Angel. Ça va les énerver, je le sais.

Et soudain, May bondit. Son visage étrange de dame blanche se retrouve juste devant le mien, à quelques centimètres à peine. Ses yeux luisent comme deux miroirs, comme si on avait allumé une diode derrière. Elle me scrute, passe une longue serre noire sur ma joue.

Angel réagit immédiatement. Il la saisit et la balance loin de moi, si fort qu’elle est obligée de se ramasser au sol, presque à quatre pattes. Elle feule, les yeux noirs de rage. Je ne peux pas voir son visage, mais j’ai l’impression d’apercevoir un éclat de croc, et surtout, un long et bas grondement continu, comme celui que ferait un puma. La pointe des oreilles de chacun des elfes me parait plus petite, plaquée à leur crâne. L’impression de me retrouver dans un combat de félins furieux, qui se jaugent avant d’attaquer, griffes sorties et poils hérissés, est tenace.

C’est ça. Je suis coincée dans une altercation entre gros panthérinés.

Les autres faes nous regardent tour à tour, excités. Je suis terrorisée. La main d’Angel se tend derrière moi, m’autorisant à la prendre. Je m’en empare, glisse mes doigts sur sa paume fraîche. Il referme sa grande main dessus, la fait sienne. Immédiatement, son calme de roche se répand dans mes veines, faisant descendre mon cœur affolé de quelques BPMs.

Ne t’inquiète pas. Je suis là.

C’est comme si sa voix résonnait vraiment dans mes oreilles. Alors qu’il n’a pas prononcé un mot.

Finalement, au terme d’un duel silencieux et interminable, les rangs se rompent. Crâne semi-rasé et Chat-huant se détournent en affectant une fausse nonchalance, exactement comme le ferait un matou des rues qui veut se défaire d’un défi sans combattre ni perdre la face. Les elfes s’éloignent en roulant des mécaniques. Mais une voix balance, dans un anglais volontairement guttural :

Il voudra la voir.

« Il ». Je comprends tout de suite qui c’est. L’ard-æl. Shaun Blackfyre…

Je m’agrippe au bras d’Angel.

— Angel…

— Chut. Ne dis rien.

Les yeux braqués sur la ligne de fuite de la rue, celle qui mène à la forêt, il attend que ses anciens frères de clan disparaissent. Leurs silhouettes s’évanouissent une à une dans la brume, comme un mauvais rêve. Ne reste bientôt plus que la neige qui tombe, et le bruit de la circulation, les klaxons sporadiques des voitures, les guirlandes qui clignotent et la vie normale qui reprend ses droits.

Alors, seulement, Angel se retourne.

— Ça va ? me demande-t-il en glissant son bras sur mon dos.

Je me coule dans la protection de son épaule et de ses cheveux. J’ai froid, je tremble. Je ne m’étais pas aperçue à quel point cette attaque m’avait terrifié. Elle est tombée sur nous aussi soudainement qu’une bourrasque de froid polaire, une tempête glaciale.

La Chasse Sauvage, tout un clan qui fond sur des maisons isolées dans la nuit. Qu’est-ce que ça devait être…

Angel me tire contre son corps chaud.

— Viens. On va boire ce vin de Noël. Ça va te requinquer.


*


— C’était May, n’est-ce pas ?

Angel relève ses prunelles félines vers moi.

— Oui.

— Elle t’en veut.

— Oui.

— Et à moi aussi.

Cette fois, il ne répond pas. Il sort une cigarette de son paquet, et l’allume avec sa magie après avoir coulé un regard discret autour de lui, et s’être assuré qu’on ne le regardait pas.

On n’est pas beaucoup à être attablés sous la maigre protection d’un toit de cabanon, par ce temps. D’autant plus que les elfes sont descendus en ville. Les gens ont fui : normal. Même là, dans ce petit recoin calme excentré. On s’attend à leur visite. Plusieurs commerçant ont déjà fermé prématurément leurs stands. Comme dans un western, encore une fois.

— C’est à cause d’elle que tu as été exclu du clan, n’est-ce pas ?

— Il la voulait. Il fallait que je la défende. C’était mon rôle.

« Territorial, plutôt. Je protège ce qui est à moi. »

— C’est ton ex. Et il a voulu te la voler.

Shaun.

Angel me jette un regard incisif.

— C’est fini entre elle et moi. J’ai coupé le lien qui nous reliait. Mon bannissement a officialisé cela. Elle n’est plus rien pour moi, Ree.

Normal. Si ton ard-æl l’a revendiquée… tu ne pouvais rien faire contre.

Par contre, ce n’est pas sûr que May, elle, ait compris. Visiblement, elle veut encore de lui. Et comme les elfes ne sont pas monogames, quand la relation n’est pas « sérieuse »…

Je croyais qu’Angel avait essayé de piquer May à son chef. Mais en fait, il était déjà avec. Et elle lui a préféré Shaun Blackfyre. Alors, Angel a défié son ard-æl, dans l’espoir de ravir le cœur de sa compagne. Il l’a combattu dans les règles, devant tout le clan, et il a perdu. C’est comme ça que papa l’a retrouvé, blessé et abandonné sur un bord de route. Mais maintenant que ces anciens « frères » savent qu’il est vivant et encore dans le coin, qu’ils ont retrouvé sa trace… ils vont sans doute le répéter à Shaun. Que va-t-il faire ? À voir la férocité de ses « chasseurs », je me demande à quoi ressemble ce meneur légendaire. Angelo parlait de lui avec des trémolos dans la voix et des étoiles dans les yeux. Sans parler de Rowan… il doit être particulièrement charismatique, et létal. Plus encore que les autres.

Shaun Blackfyre. Si tu m’enlèves Angel, après m’avoir enlevé mon frère… tu auras affaire à moi.

Annotations

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0