Draconis
La femme des cieux
Des étoiles épinglées
Sous ses pieds d'orties
Écrase le sang
Dans son ventre
Les portées gémissent
Ah, ces artistes! Ils sont tous les mêmes. Ils sont prêts à vendre leur âme en échange de reconnaissance et d’inspiration. Ils changeraient l’encre de leur stylo par leur propre sang si leurs œuvres pouvaient en bénéficier. La naissance de leurs enfants est tout ce qui leur importe. Sans eux, ils n’ont pas de raison d’être.
Pour cette compositrice aux cheveux blancs, c’est un jeu contre la mort. Elle la défie depuis bientôt un an en la narguant chaque jour davantage. Elle ajoute toujours plus de notes sur ses portées et compose sans trouver de limite à son inspiration.
Aura-t-elle la chance de finir sa neuvième symphonie ou finira-t-elle pour mourir sans avoir posé la dernière note? Sera-t-elle atteinte de la malédiction de la neuvième symphonie comme Beethoven?
Elle n’y pense pas, la mort est un des risques du métier d’être humain. Elle se fait déjà vieille alors il reste peu de sable dans son sablier. Tout ce qu’elle peut faire, c’est de s’empresser de tout noter ce qui lui passe par la tête, quitte à ne pas dormir pendant des nuits d’affilé.
Mais tout n’est jamais parfait et à trop se pencher sur son projet sans prendre soin d’elle-même, le dragon part avec toutes ses feuilles dans ses griffes. Alitée à l’hôpital, on lui refuse d’y avoir accès, elle doit se reposer pendant quelques jours si elle ne veut pas perdre connaissance à nouveau. Sa femme lui répète à chacune de ses visites et tient à lui spécifier qu’elle ne la laissera plus travailler au point de s’évanouir. Ses mains ridées prennent celles de la compositrice et son regard plonge dans le sien en attente d’une promesse qui ne sera jamais formulée.
Non, les artistes ne peuvent pas promettre quand le sujet de la discussion concerne leurs enfants dont ils attendent la naissance depuis longtemps. Ce n’est pas par stupidité qu’ils commettent toujours cette erreur, mais par pur besoin. Leur corps, leur cerveau et leur cœur ont besoin de cette drogue qu’est la création. Penser un jour sans créer leur provoque des tics horribles et des sauts d’humeur qui peuvent être évités en leur laissant s’exprimer sur une feuille de papier plutôt que sur les autres.
Une fois de retour à la maison, la vieille compositrice n’abandonne pas son rythme de travail qui augmente le tempo du métronome et diminue la quantité de sable restant. Sa moitié a beau tout faire en son possible pour l’arrêter, elle est prête à attendre qu’elle s’endorme pour aller travailler en secret sans qu’on puisse la déranger.
Avant que son stylo touche sa portée pour y déposer la dernière note de sa création, son cœur lâche dans un soupir qui s’étire. Derrière la porte, sa femme prend ce soupir pour la dernière note de la composition de la femme qu’elle aimait.
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