Le Bal masqué à l'Opéra
Trois jours après cet événement à la chapellerie, ce 11 octobre, Anne Turgot, baron de l'Aulne et ministre principal de France, organisa une fête dans ses appartements, et le comte de St Mary Mead était à cette soirée. L'ambassadeur du Japon ne connaissait pas les coutumes françaises en matière de jeux, il a donc demandé à son ami de l'accompagner à la Cour de Versailles.
— Je n'avais pas aimé ces soirées quand j'avais 10 ans, ce n'est pas maintenant que j'aimerai ! déclara-t-il au Japonais. Tu sais à quel point je déteste jouer.
— Oh s'il te plaît ! Ce n'est pas la mort de…
— J'ai dit non !
Hidéaki avait rarement vu Richard en colère. Pendant son séjour au Japon, Richard a mis un point d'honneur à faire preuve d'intégrité morale, financière et intellectuelle. Et il ne changera pas son comportement, même s'ils sont en France. Taquashi soupira par les naseaux, et voulut le prendre dans ses bras :
— Allez, tu n'auras pas l'obligation de jouer, Richard.
— Laisse-moi partir ! dit-il en essayant de s'échapper.
Plus tôt dans la journée, Cath' et Toine parlaient.
— Alors, monsieur de McClain, voulez-vous vous amuser ? J'ai beaucoup d'idées pour nous divertir.
— Que sont ces idées ? demanda Toine avec enthousiasme.
— Avec Le Grand, nous avons pensé aller au bal masqué de l'opéra. La reine et ses amies y viennent chaque soirs.
— Avez-vous de l'argent pour payer des costumes ?
— Avec quel argent irons-nous à la fête ? lui demanda Cath', qui feignit de penser. Je connais des hommes riches : vois-tu, rue Tiquetonne, habite Louis-Constantin de Castelmore, comte d'Artagnan et l'un de mes… Protecteurs.
— Alors, tu mens quand tu dis que tu es fauchée ?
— Un peu, je suppose. rit la demoiselle. Allons, je vais vous présenter, s'il est chez lui ; il est seul la plupart du temps, ça lui fera de la compagnie.
M. d'Artagnan était un homme de grande taille, âgé de 28 ans, avec un petit nez et des yeux noirs. Cath' toqua à la porte, qui fut ouverte par une jeune femme.
— Émilie, ravie de te voir !
— Oh, Catherine, quelle surprise ! répondit la servante. Entre, je t'en prie, et venez dans le salon !
Alors qu'ils entraient dans la pièce, Cath' s'écria :
— Louis, es-tu là ?
Un son semblable à celui d'un tambour résonna dans toute la maison, car le maître marchait bruyamment au premier étage.
— Cathie, je suis content de te revoir ! dit ce dernier en la baisant sur le front. Il prit alors une mine sérieuse. Tu as besoin d'argent, n'est-ce pas ?
— Oh, Louis, tu es si intelligent : avec deux de mes amis, nous voulons aller à la mascarade de l'Opéra pour apercevoir la reine.
— Ah ah ! Douce et pure Catherine, je reconnais ton désir de hanter la noblesse. dit-il avec la tendresse d'un mari. Pourquoi n'épouses-tu pas un soldat comme moi ? Pourquoi veux-tu garder ton pauvre travail de femme de chambre ?
— Parce que j'apprends plus de ragots, cher ami. Plus sérieusement, je veux garder mon indépendance.
Louis rigola : il reconnut sa fille. Comme elle voulait, il n'allait pas la forcer ! Et rien n'est trop beau pour sa dame, vu qu'il était fortuné. Il y avait les vêtements de Cath' dans sa chambre, utilisée quand elle lui rendait visite, alors elle choisit la robe qu'elle voulait ; Louis-Constantin vit avec Toine pour son costume de soirée. Il a dit à Émilie d'aller trouver Le Grand pour l'emmener ici, pour en louer un à sa taille dans une boutique parisienne. Ils passèrent trois heures à l'hôtel de Louis-Constantin (qui devint le petit palais des défilés de mode), plus une heure pour le costume de Le Grand. Le géant orange, l’androgyne vert et le don Juan bleu étaient prêts à danser ! Ils appelèrent une calèche, et elle les amena rapidement à l'Opéra.
Pendant ce temps, à Versailles, l’ambassadeur du Japon jouait et le comte de St Mary Mead s’ennuyait. Louis-Philippe d'Orléans, père du roi des Français, le rejoignit à la fenêtre.
— Je sais ce que vous ressentez. lui dit-il, une coupe de champagne dans la main gauche. Je ne suis pas un amateur de jeu moi-même.
Richard sourit, heureux de voir quelqu'un qui connaissait et comprenait sa douleur.
— Que pouvons-nous faire ? demanda-t-il avec distraction.
— Si vous voulez, je peux vous emmener au bal de l'Opéra.
— À Paris ?! Mais c'est à une heure d'ici !
— Et alors ? répondit le duc avec détachement. On s'amuse plus derrière un masque et avec une dame !
Richard n'était pas totalement convaincu mais accepta. Le duc d'Orléans était heureux de le savoir, et ils s'en allèrent ensembles. Le comte jeta un coup d'œil à Hidéaki, qui était trop absorbé par le jeu pour le remarquer. Louis-Philippe avait un vêtement noir et Richard un rouge. Le duc prit un masque blanc et Richard prit un simple tissu sombre, puis le cocher les amena à Paris. Il y avait beaucoup de monde cette nuit, idéal pour rencontrer des étrangers !
— Allez, monsieur le comte ! encouragea le duc de Chartres, en descendant de voiture. Nous sommes anonymes, laissez-vous aller !
C'était un festival magique de couleurs, de plumes, de toupets, de rires, de champagne, etc., comme seule la France sait le faire ! Il était déjà la minuit, que le temps passait vite lors d'un divertissement
— Restons ensemble ! disait Le Grand à ses amis.
— Pourquoi ? demanda Cath', qui était un peu enivrée par la fête. Laisse-moi aller dans les bras de ces beaux hommes !
Et elle s'en alla.
— Comme tu veux, mais n'accepte pas d'alcool ! cria Le Grand à son attention. Elle est vite saoule. expliqua-t-il à Toine.
— Je suppose. rit-il. Montons, Auguste : je veux avoir une vue de toute cette agitation.
La vue était mémorable, c'était le plus grand spectacle de toute l'Histoire.
— Regarde ! dit Le Grand, en pointant du doigt une dame en rose, avec un loup noir. C'est elle ! C'est la reine !
Toine baissa la tête pour mieux regarder la silhouette gracieuse. loup noir, cheveux blonds, vêtements extravagants… Aucun doute : tout le monde savait que c'était la reine de France, mais tout le monde prétendait ne pas la reconnaître, car on savait son goût pour ce genre de jeu.
— Marie-Antoinette est une femme merveilleuse… Je pense que je suis amoureuse, Le Grand !
Mais son ami n'était plus là : une tornade de danseurs l'avait prit. Toine était confus et seul, alors il décida d'aller au deuxième étage de l'Opéra, où sont les loges. Aucune n'a été fermée, et la noblesse s'amusait avec la roture. Ces alliances nocturnes amusaient Antoine, qui rigolait tout en continuant son chemin. Au bout du couloir se trouvait une fenêtre ; à la fenêtre se trouvait Richard qui recherchait de l'intimité, loin de la cohue.
— Hé ! s'exclama Toine provocateur, sans le reconnaître. Si vous voulez des clients, allez en bas.
— Quoi ?! Richard se tourna vers le valet. Que voulez-vous dire ?
— Oh, pardon ! fit Toine, faussement embarrassé. Vous portez le rouge, couleur de la prostitution, alors j'ai pensé…
Richard se sentit clairement insulté. Il pensait que Toine (qu'il ne reconnaissait pas non plus) était ivre, mais non après examen. En revanche, il avait toujours cette vilaine tâche de vin sur son vêtement, qu'une maladroite ivrogne avait renversé ; cette tâche, Toine la nota malgré la pénombre.
— Savez-vous qui est derrière ce masque ? demanda-t-il durement. Puis, il réalisa combien il était dangereux qu'on le sache, car pour sa crédibilité, cela serait un coup, et Hidéaki aurait un nouveau sujet de moquerie, s’il le savait ! Une luciole entra dans le couloir par de la fenêtre, et rapidement, le comte rouge répondu à sa propre question :
— Je suis le chevalier des Lucioles.
— Des Lucioles ? rit Toine, qui sentit le mensonge. Dans ce cas, je suis un chevalier de la table ronde !
Toine rejoignit Richard près de la fenêtre. Il souffla et souri à l'homme en rouge.
— Où est la ville ou le village que vous nommez Les Lucioles ?
— En Normandie, répondit Richard, qui se prêta au jeu. Mais j'ai un logement à Paris, près du palais Bourbon. J'ai rencontré la fille du prince de Condé, vous savez ?
— Oh vraiment ?
Toine se mordit les lèvres et pensa à la chose suivante : s'il trouvait un protecteur influent (même un peu), il pourrait améliorer son sort. Il baissa la tête : ce plan le répugna finalement ; Cath' a peut-être aimé l'idée. Un ange passa pendant qu'ils regardaient dehors. La musique retentissait dans le fond mais le couloir restait silencieux. Les jeunes hommes et femmes furent au bal jusqu'à six heures du matin ; les personnes âgées le furent jusqu'à minuit. Après avoir reprit une bonne discussion, Richard prit sa bourse et donna deux livres à Toine.
— Pourquoi ? demanda ce dernier, surpris.
— Pour votre compagnie, monsieur. répondit Richard avec un sourire. Si vous voulez plus, vous pouvez m'accompagner et rester pour la nuit, Monsieur le soit-disant chevalier.
— Je suis un gentilhomme ! protesta Toine. Regardez mes vêtements !
— Ah ah ! Sans vouloir vous offenser, si c'est votre habit, je suis le roi de France !
— J'ai un ami qui a la corpulence de Sa Majesté. dit Toine, en imaginant Le Grand avec une couronne.
— Amusant… murmura le comte. Mais savez-vous écrire et lire ?
— Hum… déglutit le valet. Oui.
Richard sourit :
— Et savez-vous compter jusqu'à cent ?
Toine humidifia sa bouche avant de répondre :
— Je sais…
— Alors montrez-moi ! ordonna le noble.
Toine sourit et commença, mais à dix, il s'embrouilla.
— Je l'avoue : je ne suis pas un gentilhomme, je suis juste un serviteur, et ces vêtements viennent d'un ami.
— Oh, grand nouvelle ! Et qui est cet homme ?
Toine présenta une main à Richard : s'il voulait savoir, c'était quatre livres pour une demi-heure. Richard eut le souffle coupé lorsqu'il entendit de tels honoraires, mais il l'accepta.
— Mais ne restons pas ici, et venez avec moi : je vous propose de nous balader dans le Luxembourg.
— Avec plaisir, monseigneur !
Ils quittèrent l'Opéra. Toine ne pensa pas à ses amis ; et je ne sais pas si le duc d'Orléans s'est rappelé qu'il était venu à Paris avec Richard, mais il passa sa nuit avec une femme fort aimable.
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