Madame la princesse de Lamballe
Son Altesse Sérénissime la princesse de Lamballe était la cousine de Madame et de la comtesse d'Artois, puisque toutes les trois de la Maison de Savoie. À la différence de ses cousines, Marie-Louise était une femme assez sérieuse, qui était raisonnable et fidèle en amitié. Bien qu'elle pouvait être âpre avec quiconque était méchant avec les gens qu'elle aimait, c'était une âme charitable, à l'écoute des autres.
— Madame de Lamballe, lui disait Marie-Antoinette quand elles discutaient seules dans un appartement de la reine, a-t-on revu Monsieur le comte de St Mary Mead ?
— Pas que je sache, Votre Majesté. Mais je me souviens qu'on murmurait qu'il n'était pas sortit de son hôtel depuis deux semaines.
— Pourtant la blessure n'était pas si grave ! s'exclama la reine. Une blessure comme celle-ci, on s'en remet vite. N'est-ce pas, cher ange ?
— Oh, rassurez-vous : Monsieur de Ado s'est remit de sa blessure, mais Monsieur de St Mary Mead est très attentif à l'évolution de la santé de son ami.
— Ah, je suis soulagée ! Et depuis cette soirée, ma belle-famille semble faire profil bas : l'opéra leur aura servit de sermon.
Les deux femmes rirent de cela et burent leur thé.
— Madame de Polignac devait nous rejoindre, mais elle est partit à Chambéry, voir une de ses tantes qui est malade.
— Oh, je vois. J'espère que se rétablira vite. répondit Marie-Louise avec un peu de froideur.
La Lamballe se livrait à une guerre d'influence avec la Polignac. Marie-Louise de Savoie-Carignan avait beau ressembler à Marie-Antoinette et être surintendante de la Maison de la Reine (c'est-à-dire être chargée de la divertir) elle manquait cruellement de folie, étant plus sérieuse. Gabrielle de Polastron, qui était tout à fait l'inverse physique de la Sa Majesté, était aussi celui de la Savoyarde en esprit. Les deux dames étaient née en 1749, dans le même mois et le même jour, 8 septembre. Leur jeune reine était du 2 novembre 1755, et son cœur était subjugué par la Polignac.
Marie-Louise l'avait bien senti : la reine avait mit les moyens pour fêter l'anniversaire de ses amies et que cela soit grandiose. Ce 8 septembre, Gabrielle était la plus en vue, on aimait son esprit. Marie-Louise était plus discrète, mais tout aussi charmante. Le cœur de la pauvre femme était jaloux, tant jaloux qu'elle s'était absentée pour pleurer. En février, par une jolie soirée, où les courtisans aux manières surannées voyaient la reine dans une magnifique robe cousue par la « Ministre des modes », Marie-Louise allait perdre sa place dans le cœur de la souveraine.
— Les bons usages de la Cour ennuient Sa Majesté, chuchotait le comte de Mercy-Argenteau à l'abbé de Vermond.
— C'est vrai. songea le confesseur de la reine de France. Elle ne les bouscule pas forcément cela dit, bien qu'elle se fasse des ennemis pour son caractère trop libérale à leur goût.
— La reine est une femme conservatrice et n'écoute pas les gens de raison, car elle les hait. À moins d'un miracle, une personne de raison ne pourrait pas lui toucher le cœur ! Quant au goût de la Cour resté rigide, il l'est depuis le feu roi Louis le Grand. Le Bien-Aimé avait aussi cette petite horreur des usages, il l'aura légué à notre reine. Sa Majesté l'empereur Joseph II devrait, sur la demande sa mère l'impératrice, venir après le premier de l'an prochain ; il a bien l'intention de faire une leçon à sa sœur.
— Je m'en réjouis, cher comte ! Il est vrai que la reine baisse considérablement dans l'estime de l'Europe. Elle nous délaisse tout deux. fit remarquer le religieux. D'ailleurs, regardez : la princesse de Lamballe, pour sa charge — superflue disons-le, — de surintendante de la Maison de la Reine, reçoit un demi-million de livres !
— Quoi ?! s'étouffa Florimond-Claude. Mais c'est une somme monstrueusement élevée ! Mon Dieu, Turgot doit s'en mordre les doigts. Je comprends maintenant pourquoi la princesse affiche un si grand sourire… Qu'elle a joli d'ailleurs.
Marie-Antoinette plaisantait beaucoup avec Marie-Louise et ses beau-frères. Le regard de la reine fut alors attiré par une demoiselle fort jolie, mais qui semblait fort timide.
— Qui est cette jolie personne ? demanda Marie-Antoinette à Charles-Philippe.
— Une demoiselle de la suite de ma femme. Elle ne vient pas souvent à Versailles.
— Oh, elle est délicieuse, je vais aller lui parler.
Marie-Louise perdit alors son sourire, elle se raidit et pâlit en voyant son amie la quitter.
— Vous vous sentez mal, Altesse ? demanda Monsieur. Vous respirez vivement et vous avez perdu vos couleurs.
— Non, non ! s'exclama Marie-Louise, avec un sourire qui se voulait rassurant. Je crois que l'air s'est rafraîchit soudainement et…
Elle ne réussit pas à terminer sa phrase, car elle tomba évanouie dans les bras du comte d'Artois. Marie-Antoinette, qui s'était retournée et qui s'était jointe à l'expression de surprise, se précipita vers son amie, qu'elle espérait vivante. Quelqu'un donna vite des sels et la demoiselle retrouva ses esprits.
— Mon amie, vous devriez vous reposer dans vos appartements.
— Oh, Majesté, je me sens tout à fait mieux, maintenant…
— Altesse, ce n'est pas l'amie qui conseil, mais la reine qui ordonne.
Marie-Louise déglutit, mais ne répondit rien d'autre qu'un murmure, qui acceptait la décision de Marie-Antoinette. Elle fit sa révérence et passa dans la galerie des glaces, qui était étrangement vide. Alors seulement elle se permit de pleurer sa faiblesse ; elle allait le faire pendant encore longtemps. Elle ne demanda personne pour enlever ses vêtements, ni pour se coucher. Nulle assistance n'était désirée, elle allait faire cela seule, quand bien même elle y passerai la nuit. Dès qu'elle fut couchée, elle cauchemarda d'une révocation.
Elle voyait la reine, avec toute la Cour, lui faire des reproches les plus juste, ou les plus infondés, les plus perfides qui soient. Elle vit alors la Polignac, triomphante embrasser la reine et ouvrir une trappe sous ses pieds. Depuis une durée inconnue, elle tombait dans l'abîme. Elle s'enfonçait dans la boue et la brume, effarée, revivant chaque fois une scène terrible de sa vie jusqu'ici. La foudre tombait sur elle : la Polignac, maintenant maîtresse du royaume, avait susurré à la reine de demander à son royal époux, de lui faire endurer milles tortures. On criait : – Meurt ! Tombe ! – à son intention.
Alors dans l'horreur, ses cris se perdaient. Elle cru voir la fin de son tourment quand passait l'aurore, mais ce n'était qu'un voile pâle, un linceul dans lequel des idoles cornues l'enveloppèrent. Les soleils brillaient encore au fond de la nuit éternelle, mais elle n'en ressentit aucune chaleur. Satan cracha, et sa salive devint une montagne. Elle tendit la main qui agrippa la pierre où elle contait se reposer, mais un souffle passa, lui fit perdre l'équilibre, et la chute de la damnée reprit. Il n'y eut plus de soleils.
Malgré elle, Marie-Louise se rendit compte que l'arrivée de la Polignac avait apporté un vent de fraîcheur à la Cour et au cercle de Marie-Antoinette. Aussi, chaque fois que la voleuse d'amitié se trouvait loin, Marie-Louise en profitait pour renouer avec la reine qui ne l'avait pas oubliée, simplement éloigné. Ce mauvais rêve était récurent, et cela n'arrangeait pas sa santé. Le prince de Lamballe était heureusement mort depuis plusieurs années, à 19 ans quand même. Il avait contaminé sa femme à force de courir après les autres ; la pauvre avait le visage abîmé et était sujette à des évanouissements fréquents. Le cher ange devait souffrir des rumeurs qui étaient lancées pour nuire à sa relation avec la reine.
— Et vous souvenez-vous quand, en août, on voulu faire une pastorale, et que Madame de Mazarin avait fait amener des moutons, une génisse et un chien ? demanda Charles-Philippe à ses intimes.
— Ah, oui ! s'exclama Madame. Nous avons bien rit avec vous, ma sœur, quand la génisse devint folle, et que cette folie contamina tout les animaux. Madame de Lamballe était vite grimpée en sûreté et poussait de grands cris, on aurait dit un paon !
Pauvre Madame de Lamballe. Cath' voyait ces humiliations et elle aurait donné quelques coups de bâtons à ces nobles pour leur méchanceté envers cette femme, la plus bonne qui lui fut donné de voir. Elle aurait voulu changer de service pour entrer dans le sien et lui être d'une plus agréable compagnie. Cath' s'était rendue compte depuis quelques temps que la comtesse d'Artois n'était pas apte à comploter : elle souffrait d'épisodes paranoïaques et gravitait dans le système des Mesdames tantes, qui ne lui confiaient jamais rien, ce dont elle se plaignait.
Cath' marchait vers le salon où on lui avait indiqué que la reine était présente. Comme la reine n'avait donné aucune indication particulière — comme ne pas être dérangée, — Cath' demanda à ce qu'on lui ouvre car elle voulait s'entretenir avec Sa Majesté au sujet des lions de la ménagerie royale. Le valet fut étonné qu'une affaire fut si pressante, mais Cath' le convainquit que c'était bien une chose urgente.
— Votre Majesté, Mademoiselle Mitterond, femme de chambre de Son Altesse la comtesse d'Artois, demande à s'entretenir avec vous au sujet des lions de la ménagerie de Leurs Majestés.
Marie-Louise regarda Marie-Antoinette qui ne s'attendait pas plus qu'elle à une visite.
— Eh bien, qu'elle entre ! ordonna-t-elle. Pardonnez, ma chère Lamballe, cela n'était pas prévu mais c'est bien quelque chose d'urgent.
— Dois-je me retirer ?
— Oh, le craint, mon amie…
La princesse de Lamballe s'en alla dans la pièce à côté, et les deux autres femmes restèrent seules.
— Quelles sont les nouvelles au sujet des lions ?
— Eh bien, Votre Majesté, il se trouve que la comtesse d'Artois est tenue à l'écart des complots : on ne lui fait guère confiance. Je pense qu'il n'est guère utile de la surveiller et, si Sa Majesté me le permet, il faudrait se concentrer sur les autres.
— C'est une remarque judicieuse, merci de m'en avoir fait part. Nous aviserons de la démarche à suivre ultérieurement. Si c'est tout ce que vous vouliez, je vous invite à vous retirer.
Cath' s'exécuta et laissa sa place à la Lamballe. Cette dernière se rassit et les dames burent leur thé et reprirent leur conversation.
— J'espère que Votre Majesté n'a pas eu de nouvelles fâcheuses.
— Aucune, non ! Même que ce sont d'assez bonnes nouvelles.
— Vous m'en savez ravie, Majesté.
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