Maison close et colin-maillard
Parmi ses amis, Cath' avait fait son effet. La demoiselle était décidée, elle savait ce qu'il fallait faire. Elle pouvait compter sur l'aide de sa vieille amie, Madame Gourdan, que ses anciennes et actuelles filles appelaient « maman ».
« Paris ce 24 décembre 1775.
Ma chère maman, commençait-elle avec tendresse, je suis heureuse de vous écrire depuis un moment. J'aimerai vous souhaiter un joyeux Noël avant tout, ainsi qu'à mes sœurs. Le comte d'Artagnan a déjà bien préparé sa maison pour la célébration, et Versailles est dans tout ses états. À ce propos, vous serez peut-être surprise d'apprendre que je fus renvoyée : on m'a accusée d'avoir volé des bijoux, et c'est dommage car — vous serez fière de moi, ma tendre maman, — j'avais réussi à avoir les faveurs de Monsieur ! J'ai toujours avec moi vos Instructions pour une jeune demoiselle, mais il me faudra le deuxième volume, s'il existe, les Instructions pour une jeune maquerelle.
Je vous embrasse bien fort ; vous avez eut tant de bonté pour moi, je serai à votre disposition.
Votre chère enfant,
Catherine »
Deux jours plus tard, la Gourdan venait à l'hôtel de Louis-Constantin, et embrassait la Mitterond. Les deux femmes discutèrent longuement dans le salon.
— Alors ma puce, tu as déjà un logement pour installer ton bordel ?
— J'ai économisé assez d'argent : je dois avoir 300 livres en banque.
Marguerite ouvrit de grands yeux.
— C'est tout ? Ma pauvre chérie, tu vas pas aller bien loin avec ça, c'est moi qui te le dis. Rappelle-toi ce que j'ai écris, dans les Instruction : « Ne consultez jamais votre goût pour un entreteneur… »
— « …Mais prenez le plus riche. » termina Cath'. Louis-Constantin est riche, ne t'inquiète pas. Il a encore bien de la fortune, je te l'assure !
— Eh bien, demande-lui plus ! S'il est riche, profite donc ! Et si tu l'aimes ou que tu as de la pitié pour lui, demande à tes Qu'importe !
— Tu n'as pas tort. réfléchit Cath'. Et puis j'ai quelques anciennes relations avec qui j'ai quelques contacts, je vais voir ça.
— C'est bien, ma fille ! félicita la Gourdan. Bon, tu sais déjà où tu vas t'établir ?
— Hum, je recherche…
La Gourdan lui coupa la parole :
— Tu sais que la vieille Eulalie Delaunay, de la place des Victoire, a cassé sa pipe ? Sa maison est aux enchères, ses filles sont partit, elles ne voulaient plus avoir de liens avec cette maison.
— Eh bien, tant mieux : je veux ouvrir ma maison pour les hommes et je compte embaucher des personnes exotiques.
Marguerite la regarda avec encore plus de surprise.
— Tu es sérieuse ?
— Tu trouves que c'est mal ?
— Au contraire ! s'écria la Gourdan en lui prenant les mains. C'est une très bonne idée : la plupart, pour ne pas dire la totalité de nos maisons closes sont féminines. Tu as déjà pensé à un établissement de façade ?
— De faç… Ah, oui ! Une boutique de fleur, qu'en penses-tu ?
La Gourdan resta sceptique.
— Cela peut se faire, mais essaie de trouver quelque chose de plus… Luxueux. Les temps sont dures depuis le nouveau Louis qui est aussi austère que son ancêtre Louis le Saint.
S'en suivit plusieurs sujets inintéressants à relater, jusqu'au départ de la Gourdan, qui ne manqua pas de féliciter son ancienne élève pour avoir été la maîtresse de Monsieur, ne fut-ce que quelques semaines. Cath' avait cette joie insouciante sur le visage, quand elle embrassa Louis-Constantin, des personnes qui viennent de voir le soleil après l'orage.
La Mitterond continua sa prospection. Tout allait à merveille pour le moment, et la Gourdan ne se formalisait pas de cette concurrence, qui était dans un autre quartier. Et puis, pensait toujours cette dernière, si son établissement est en vogue et bien connu, il finira par attirer des autorités. Ah, quelle fourberie ! Mais ce que Marguerite ne savait pas, c'est que parmi ses Qu'importe, Cath' avait Mervos Shabat, un juge influent de Paris d'origine indienne. Quoiqu'il pouvait avoir un caractère désagréable, il avait un bon compte en banque.
— Tu risques la prison. la prévint-il.
— Je sais, mais aide-moi justement à y échapper.
Mervos avait une sœur, une femme très élégante, avec qui il partageait le même appartement. C'était, depuis quelques temps, tendu entre eux : la compagnie de l'un pesait un peu sur l'autre, et inversement. Rani, cette sœur, prévoyait aussi d'acheter l'ancienne résidence de la regrettée maquerelle. Elle désirait ouvrir une boutique de tailleur, d'accessoires, et pourquoi pas de coiffure ? Cela serait la façade idéale, encore fallait-il que Rani accepte qu'on ne taille pas, dans leur établissement, que des manteaux !
— Certainement pas ! s'exclama-t-elle avec fureur. Si elle veut s'établir, ce sera en gagnant les enchères. Et tu devrais avoir honte de l'aider ! dit-elle en regardant son frère, et en dévisageant Cath'.
— Alors soit ! répliqua Cath', qui n'avait nulle peur d'être effrontée. Que la meilleure gagne la semaine prochaine.
La voilà en guerre. Le 3 janvier, on avait une dizaine de personnes qui voulaient se payer le luxe de l'hôtel Delaunay. Cath' allait à la vente avec 500 livres en poche. Elle avait mit une belle robe verte avec des reflets bleus, et était prête à s'offrir l'hôtel, qui était un ravissement. La Shabat était dans une robe marron, et sa perruque sur la tête la rendait plus grande. Elles se saluèrent avec une politesse froide et du défi dans la voix.
— Vous pourrez toujours noyer votre chagrin à la taverne. se moqua Rani.
— Je compte bien vous voir à ma place. Mais chut ! Ça va commencer.
Le commissaire-priseur dit que les enchères débutaient à 100 livres. Cath' leva le doigt pour 150. Rani la suivit pour 200. Plus les enchère montaient, plus Cath' se rendait compte de sa pauvreté. Nous étions à 700 livres, et elle se maudissait de ne pas avoir demandé plus à un amant. Elle avait vu le sourire triomphant de Rani quand elle se rendit compte que sa concurrente ne participait plus. Mais ce sourire fut vite effacé quand on demanda 800 livres pour la maison.
— Combien avez-vous ?
— J'ai 700. fit Rani, dépitée de voir la maison lui passait sous le nez.
— Associons-nous ! lui chuchota Cath'. J'ai 500 livres, nous aurions la maison sans soucis.
— Certainement pas ! Je préfère continuer de chercher plutôt que de m'allier avec une maquerelle en devenir.
— Pourquoi donc j'ai l'impression qu'elle vous tient à cœur, quand même ?
— Elle a appartenu à ma famille qui fut escroquée par feue Mme Delaunay…
— Eh bien, achetons-la ensembles : nous ferons un contrat pour nous entendre ensuite. Vous allez plus regretter que moi de ne pas avoir réussi à acheter, saisissez donc cette chance !
On était à 1000. Rani hésita beaucoup, mais quand elle entendit qu'on était à 1150, elle saisit sa chance et s'écria soudainement :
— Mademoiselle et moi proposons 1200 !
On fut pétrifié de surprise par cette intervention, et personne ne proposa une surenchère.
— Mil deux cents, une fois. Mil deux cents, deux fois. Mil deux cents, trois fois… Adjugé et vendu à ces dames !
Ces dames firent bien part de leur joie et se serrèrent la main. Elles payèrent sur le champs, prirent rendez-vous chez le notaire, et puis s'en allèrent peu après les autres.
— Je vous invite chez Monsieur d'Artagnan pour fêter cela, si vous le voulez.
— Avec plaisir, nous pourrons discuter de nos contrat. Vous aimez prendre des risques, vous ! Ce sera utile, je vous ai un peu méjugée.
Louis-Constantin, comme à son habitude, lisait un pamphlet. Il ne releva son nez que pour voir Cath' qui venait l'embrasser.
— Nous avons l'hôtel de la Delaunay. disait Cath', en prenant la tête du comte dans ses mains.
— Oh, vraiment, mon aimée ? Vous m'en voyez ravi !
Puis, se relevant, il remarqua Rani dont il baisa la main.
— Madame, à qui ais-je l'honneur ?
— Je suis Rani Shabat, sœur du juge Shabat. Peut-être le connaissez-vous ?
— Pas le moins du monde, mes excuses. Vous êtes une amie de mon amie ?
— Une associée, monsieur. corrigea Rani. Mademoiselle ici présente et moi-même sommes alliées pour avoir l'habitation, que feue la maquerelle avait honteuse volé à ma famille.
— C'est une histoire que j'ignorai, mais je suis bien content de savoir que vous l'avez récupéré. dit Louis-Constantin, avant de se tourner vers Cath'. Je suis aussi heureux, mon aimée, que vous vous serrez les coudes entre maquerelles.
— Certainement pas ! Je lui sert de façade, elle me donne une partie de ses recettes en échange. Mais nous allons en discuter plus amplement. dit Rani en prenant Cath' par le bras, pour aller au premier étage.
— Nous devrions garder nos ennemis mort. dit le comte d'Artois.
— Nous devrions garder nos ennemis près de nous. fit Monsieur.
Dans le parc de Trianon, on jouait à colin-maillard. On avait installé des chaises, une table avec de la nourriture, des boissons et un parasol. Le comte de Fersen chassait les dames de compagnie de la reine, celle-ci, la comtesse d'Artois et Richard. Monsieur, Madame et le comte d'Artois restaient assis, réfléchissant à la suite des événements.
— Quand est la prochaine réunion, mon frère d'Artois ?
— Ce 15, nous organisons les Carmentales, pour que notre grande prêtresse nous conseil sur les démarches à venir.
Monsieur acquiesça, sans se douter que ses entreprises allaient tomber à l'eau. Dans une certaine insouciance, il communiqua les dates et les heures, puis il se prépara pour le Chien bleu. Depuis la dernière fois, Richard et la souveraine avaient mit Louis XVI dans la confidence de leurs trouvailles. Celui-ci passa un gentil savon à sa femme, à qui il reprocha de se mêler d'affaires dangereuses, et qu'un simple billet n'était pas une preuve suffisante. Mais il se refusa de faire passer aux aveux sous la torture, cela était trop cruel à son goût. Mieux, il décida qu'on attendrait la prochaine messe secrète pour attraper tout le monde. Sans fautes ce 15, Richard copia son billet, dont il laissa l'original au service de la police du roi. Tout allait tranquillement : il arriva à l'auberge, présenta la copie et entra dans le sous-sol où étaient les autres participants. Après un quart d'heure de cérémonie, la police força la porte de l'auberge ! On arrêta Raucourt sur le champs, et on le força à descendre pour montrer ce que faisait la joyeuse bande. Quelle ne fut pas la surprise de ces gens-là en prière, quand ils virent arriver la police qu'ils n'avaient pas entendu.
Richard enleva son masque et se présenta aux policiers le plus naturellement du monde.
— Je suis le comte de St Mary Mead, chargé par Leurs Majestés d'enquêter sur les messes païennes et orgiaques de Chesnay.
Un cri de surprise s'éleva dans toute la pièce ; Richard reçu un crachat à la joue, crachat de la vicomtesse de Narbonne-Pelet. Le lieutenant de policer ordonna à tout le monde présent d'enlever son masque, et de se laisser arrêter. Alors le comte d'Artois s'envola ouvrir une porte dérobée, mais il fut rapidement maîtrisé.
— Quelle honte ! s'exclama un homme. Un si grand seigneur !
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