Georgette
Claudine installa le panier de Perle près de la cheminée ainsi il n’aurait pas froid les nuits d’hiver. Mais le chien l’ignora et alla s’allonger près de la fenêtre, indifférent à son nouvel environnement. Il ne toucha pas à ses croquettes et dormit tout le reste de la journée. A ce rythme-là, il ne ferait pas de vieux os.
Au matin, lorsque Claudine rentra dans la chambre de Charlotte, le chien était couché sur le lit et dormait profondément.
- Je ne veux pas qu’il dorme avec toi, un chien ça perd ses poils, il va y en avoir partout dans la chambre.
- Il faut que Perle dorme avec moi, il a peur du feu et tu l’as mis juste à côté de la cheminée et puis il ne veut pas rester seul la nuit.
Claudine surprise par le ton catégorique de sa fille finit par capituler.
- D’accord, il peut rester dans ta chambre mais pas sur le lit et si tu n’obéis pas, je le ramène au refuge.
Le chien lui jeta un regard noir et malveillant, elle était sûre qu'il avait compris ce qu’elle venait de dire et il n’appréciait pas du tout ses paroles. Elle se sentit mal à l’aise tout à coup et l’angoisse lui serra la poitrine comme si quelqu’un avait pris possession de son esprit et lui chuchotait que quelque chose de tragique allait arriver.
Puis le temps s’étira comme un chat paresseux, s’écoulant lentement en égrenant les jours d’une semaine puis d’une autre. Charlotte était de plus en plus distante, elle passait ses journées prostrée, le regard dans le vide absorbée par des émissions de télévision qu’elle ne semblait même plus voir. Perle était devenu le centre de son univers.
Claudine sentait bien que quelque chose n’allait pas avec Charlotte, mais à chaque fois qu’elle essayait de réfléchir au problème, son esprit se vidait et ses pensées devenaient incohérentes, confuses et fuyantes. Elle pensa à Pénélope sa meilleure amie, il fallait qu’elle lui parle.
Elle l’invita à déjeuner au café de l’Océan et demanda à Georgette une voisine de venir garder Charlotte.
Pénélope attendait son amie en sirotant un diabolo fraise.
- Salut, tu étais bizarre au téléphone ce matin, j’ai l’impression que quelque chose ne va pas?
- Effectivement, j’ai un problème avec Charlotte et j’ai besoin de ton aide. Elle a eu un chien pour son anniversaire mais je crois que ce n’était pas une bonne idée, ce n’est pas le chien qu’il lui fallait.
- Parce ce que tu t’y connais en chien maintenant ?
- Non…c’est que… il est vieux… fatigué… j’aurais voulu qu’il soit plein de vie et d’énergie. Et puis, je ne sais pas comment expliquer cela, mais…c’est comme si le courant ne passait pas entre nous…comme si le chien me détestait.
- Tu te fais des idées, ce n’est qu’un animal.
- Peut-être, mais depuis qu’il est là, Charlotte a un comportement bizarre.
- C’est parce qu’elle est contente.
- Ce n’est pas ça… elle parle tout le temps à sa place, Perle veut ceci ou cela, Perle ne veut pas, n’aime pas, comme s’il lui parlait.
- Là, tu me fais peur. Tu crois vraiment que les chiens peuvent parler ?
- Je ne sais plus que croire, je perds pied en ce moment et puis l’inactivité commence à me peser, depuis que j’ai quitté le service des urgences, j’ai l’impression de tourner en rond dans la maison.
- Tu es en train de faire une dépression, il faut te faire soigner.
- C’est ça en fait le drame de ma vie, ma meilleure amie est psychiatre.
- Justement, c’est la chance de ta vie. D’ailleurs, j’ai une grande nouvelle à t’annoncer.
- Tu vas avoir un bébé ?
- Non, pas du tout. Cette grande nouvelle te concerne.
- Ah bon, je t’écoute, tu m’intrigue.
- Au cabinet médical, nous avons un médecin qui va prendre sa retraite et j’ai pensé à toi pour le remplacer, tu auras des horaires plus souples et surtout tu ne travailleras plus de nuit. Ce sera plus facile pour t’occuper de Charlotte. Allez dit oui…, ce n’est même pas la peine de réfléchir.
- Je ne sais pas…, j’aime bien travailler dans le stress des urgences, chaque personne est un cas unique, je ne sais pas si je supporterai les patients qui défilent souvent pour des petits bobos, des vaccins, des visites médicales. J’aime quand ça bouge, quand les gens comptent vraiment sur moi pour faire des miracles.
- Voilà que tu te prends pour Dieu maintenant, c’est plus grave que je ne pensais.
- Arrête, tu comprends très bien ce que je veux dire.
- Bon, alors je te laisse quelques jours pour réfléchir j’espère que tu prendras la bonne décision. Je passerai voir ton chien maléfique la semaine prochaine. Et puis ne t’inquiète pas pour Charlotte, il faut juste qu’elle se fasse des amis, vous vivez comme des ermites, coupées du monde, son comportement est tout à fait normal. Tu devrais l’inscrire à la sortie organisée par le L.E.C mercredi prochain.
- C’est quoi le L.E.C ?
- Tu devrais vraiment sortir ! Le L.E.C c’est le centre de loisirs de la commune.
- Ok, c’est une bonne idée, je vais suivre ton conseil.
- Embrasse Charlotte de ma part, on s’appelle ?
- Oui, et merci pour ta proposition.
Quand Claudine retrouva Charlotte, celle-ci apprenait à Perle des tours de chien, il devait tourner, se coucher, donner la patte et faire le beau. Ils avaient l’air de bien s’amuser tous les deux et Perle était un élève plutôt doué, il semblait déjà connaitre ces tours qu’il avait surement appris dans un autre foyer, dans une autre vie avec d’autres enfants. Qui était-il vraiment, quelle était son histoire ? Elle aurait bien voulu en savoir un peu plus sur ce chien. La fillette semblait heureuse et cela faisait longtemps, trop longtemps que son petit rire cristallin n’avait pas fait vibrer les murs de leur vieille maison.
Elle chercha Georgette pour la remercier de son aide, mais la vieille dame avait disparue.
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