L'entrecote
- Où est passée Georgette ? s’étonna Claudine.
- Elle est rentrée chez elle.
- Elle devait te garder, pourquoi est-elle partie comme une voleuse ?
- Raymond est mort, il a eu un accident de voiture.
Charlotte annonça le drame sans la moindre émotion, comme si la nouvelle était banale, comme si Georgette était partie acheter le pain.
Attristée, Claudine composa plusieurs fois le numéro de téléphone de sa voisine, sans succès, elle tombait inlassablement sur le répondeur et finit par laisser un message de condoléances.
Georgette devait être dans tous ses états pour partir en laissant Charlotte sans surveillance. C'était tellement triste, Raymond était un voisin formidable, serviable qui formait un couple fusionnel avec son épouse.
Claudine s’apprêtait à faire cuire une entrecôte achetée le matin même à la boucherie du village, quand Charlotte l’appela dans la salle de bain, elle ne retrouvait pas le gel douche qui était pourtant devant ses yeux.
Lorsqu’elle revint dans la cuisine, l’entrecôte avait disparue, il y avait une grande trainée de sang sur le carrelage qui menait dans le jardin où Perle était en train de l’enterrer. Dans ses yeux brillait une lueur démoniaque qui effraya la jeune femme. Afin de ne pas montrer son trouble à l’animal, elle laissa éclater sa colère et le chien fila dans la maison sans demander son reste. Pourquoi avait-il fait cela ? Voulait-il s’amuser ou la contrarier ? Et pourquoi ce regard noir ? Se faisait-elle des idées sur son comportement ? Toutes ces questions qui trottaient inlassablement dans sa tête sans trouver de réponses commençaient à l’agacer. Mais que pouvait-elle dire à Charlotte ? Qu’il fallait se débarrasser du chien parce qu’il l’avait regardé de travers et parce qu’il avait enterré de la viande dans le jardin ? Elle se moquerait d’elle et elle aurait bien raison.
Après le repas, Claudine décida d’aller voir sa voisine pour lui remonter le moral et l’aider à surmonter le drame.
- Charlotte, mets tes chaussures, nous allons voir Georgette.
- Ce n’est pas la peine.
- Bien sûr que si, nous allons lui proposer notre aide et la soutenir dans son deuil.
- De toute façon tu ne la verras pas.
- Ah bon et Pourquoi ?
- Parce qu’elle est morte.
- Décidément, c’est devenu une habitude pour toi de parler de mort. Elle était en grande forme ce matin et elle sera contente de nous voir, cela lui changera les idées.
- Puisque je te dis qu’elle est morte ! pourquoi tu ne veux pas me croire ? s’emporta Charlotte.
- Ce n’est pas parce que tu ne veux pas venir qu’il faut raconter des bêtises.
- Je ne raconte pas de bêtises, c’est Perle qui m’a dit qu’elle s’est tuée parce qu’elle était trop triste pour l’accident de Raymond.
- Arrête avec ça maintenant, si Perle parlait cela se saurait et je l’aurais entendu.
- Tu ne peux pas l’entendre parce qu’il parle dans ma tête.
- Bien sûr, évidement… bon, maintenant met tes chaussures nous sortons.
Charlotte de mauvaise humeur enfila une paire de sabots et suivit sa mère.
En s’approchant de la maison voisine, Claudine eut un mauvais pressentiment, elle avait l’habitude de côtoyer la mort aux urgences et elle savait en reconnaitre l’odeur. Elle demanda à sa fille d’attendre à l’extérieur et pénétra seule dans la maison.
Elle appela Georgette sans trop y croire, le silence était pesant dans l’obscurité de la cuisine et ses pas résonnèrent sinistrement sur le carrelage froid.
Aucune réponse, c’était comme si la maison s’était vidée de toute présence.
Dans la chambre, elle aperçut le corps inerte de Georgette, la tête posée sur l’oreiller blanc qui sublimait la pâleur de son visage. Sur la table de nuit gisait un flacon de somnifères. Elle n’avait pas besoin de s’approcher davantage pour savoir qu’il n’y avait plus rien à faire.
En bon médecin urgentiste, Claudine retrouva les gestes cent fois répétés, elle constata le décès puis appela Sarah son amie ambulancière pour venir chercher le corps puis, quitta la maison.
Charlotte était rentrée seule et s’était couché, elle dormait profondément et Claudine n’eut pas le cœur à la réveiller pour discuter de son étrange comportement.
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