On a tous un point faible
Cher journal.
Je mords la poussière. Au sens propre du terme. Le géant qui me sert d'adversaire est en train de me réduire en bouillie. Une partie de la foule est en délire. Personne n'a réussi à vaincre cet être mi-troll mi-démon depuis plus d'une décennie. A raison d'un combat par semaine, fais le calcul.
Je fais un énième vol plané à l'autre bout de l'arène avec atterrissage sans douceur. Le sol est dur comme du béton et chaud comme la braise. "C'est pour faire bouger les participants" m'avait expliqué un vieux démon. Ca marche plutôt bien, aux vues des nombreux combats auxquels j'ai assisté, mais pas sur moi.
Sur le dos, je parviens à ouvrir un œil tuméfié pour voir ma mère, assise sur son trône. La diablesse de ce territoire. Je vois dans ses yeux qu'elle regrette de m'avoir choisie ce rival. Je vois son inquiétude. Je la vois me supplier du regard. Ne me fait pas honte et relève-toi, me dit-il. Il faut dire que je n'ai que trois siècles mais j'ai eu bien assez d'entrainement avec la crème de la crème des démons. Le privilège d'être de sang royal, j'imagine.
C'est alors que je vois mon adversaire lever sa lance démoniaque pour me donner le coup de grâce. Aller, rapproche-toi rien qu'un peu. Si je tend mon pied peut-être que j'arriverai à le toucher. Oui ! Et soudain, alors que le grand con pousse un cri précédant ma mise à mort, il s'arrête dans son geste et me regarde sans me voir. Il scrute de tous côtés alors que les spectateurs lui hurlent de m'achever. Le pauvre doit penser que je dois avoir la faculté d'être invisible.
On ne nous dit pas quels sont les pouvoirs de l'autre combattant ; "ça ajoute du suspens" m'avait sourit ma mère ; pour lui, aucun doute possible, c'est sa force herculéene.
Je profite du repos pour me redresser, gardant toujours le contact avec sa peau putride. J'ai besoin de le toucher pour maintenir l'illusion.
Une fois debout, je pose une main contre lui. Révèle-moi tes secrets … C'est alors que j'entrevois un de ses souvenirs. Ah ! Je te tiens !
Je fais apparaître devant lui une fillette humaine au visage bouffi. Son ancienne fille. Morte, pendue. Je lui fais dire ce que je veux. Deux ou trois reproches suffisent à le mettre à genoux et à le faire lâcher son arme. Aurais-je le temps de m'en saisir ?
Je tente le tout pour le tout. L'horrible gamine disparaît dans un nuage de fumée en même temps que je me détache de lui et fonce sur la lance. Je m'en saisie in extremis et empale le monstre qui se jetais déjà sur moi.
— Casorg vainqueur ! clame ma mère fière de sa fille.
Quant à moi, je souffle. C'était moins une… Sitôt les mots diaboliques prononcés, je vois le perdant disparaître pour rejoindre le Néant. A sa tête, je devine qu'il n'a rien compris de ce qu'il s'était passé. "Comment un microbe comme elle a pu me terrasser ?" doit-il se demander.
On a tous un point faible … Mon avantage, c'est que je peux deviner le votre rien qu'en vous touchant.
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