Mercredi 24 novembre
Chère Lara,
J’espère que tu as bien attendu pour lire la lettre suivante. Je ne saurais dire si tu es une personne patiente. Tu n’es plus celle que j’ai connue autrefois. Si vulnérable… heureusement d’ailleurs !
Je souhaite te parler de ma vie avant TOI. Les personnes que tu verras sur cette photo ont toutes joué un rôle important dans ma construction. Elles ont fait de moi la personne que tu as connue jadis.
L’homme aux yeux verts près du vélo est mon père. Nous avons toujours eu une relation assez ambivalente. D’un coté, j’admirais cet homme pour sa force et son courage. Il parlait souvent de la difficulté d’être un bon père dans ce monde qui n’avait plus de valeurs. Quand il était saoul, il déclamait de longues tirades sur les droits et les devoirs de la femme. C’était l'un de ses sujets favoris et à 5, 8, 10 ans, il me semblait qu’il savait tout du monde. Je ne comprenais pas que ses mots, qui sont devenus les miens plus tard, étaient ceux d’un ivrogne misogyne. D’un autre côté, je le craignais. Je n’étais pas à la hauteur de son despotisme. Je n’avais pas le droit de fréquenter mes camarades à l’école. D’ailleurs j’y allais uniquement parce que c’était obligatoire… mais pas trop souvent. Quand je n’étais pas assez sage ou que j’avais une parole de travers, j’essuyais de douloureux coups de poings aux relents de whisky acides. Ensuite, je m’en allais dormir sans dîner.
A 15 ans, je suis devenue une « pute », en tous cas c’est ce qu’il me disait.
A 17, j’ai compris que mon corps ne m’appartenait pas et j’ai décidé que les autres pouvaient en disposer. Étrangement, je ne me suis pas dit qu’il avait une part de responsabilité dans tout cela. J’ai juste pensé qu’il avait vu juste à mon propos.
La femme en bleu près de lui? C’était ma mère. Elle avait une magnifique chevelure brune ondulée. Elle était vraiment belle. Quel rôle a-t-elle joué dans tout cela ? Je ne sais pas vraiment. Elle n’était que l’ombre d’elle-même. J’ai vécu avec le fantôme de cette femme aux longs cheveux noirs pendant 9 années de ma vie. Elle s’en est ensuite allée… avec un autre homme paraît-il. Elle aussi c’était une « pute ».
Il ne reste que mon petit frère. A vrai dire, je n’ai plus de contact avec lui depuis ma « fugue » après mon dix-huitième anniversaire. Je lui en ai voulu toute ma vie. Il venait de dénoncer mes « activités nocturnes » à notre père. J’ai cru mourir cette nuit là… J’ai quitté le domicile familial, le buste coulant sous le coup de poignard qu’il m’avait assené. Tu sais maintenant d’où vient cette cicatrice sur le sein droit que tu te laissais aller à caresser timidement.
Avec toi. Non. Grace à toi, je pensais devenir une nouvelle femme mais j’ai échoué. Cela n’excuse en rien ce que j’ai fait mais j’espère que tu comprendras que l’incandescence de ton être n’a pas suffit à éloigner les ténèbres de mon âme. Mon doux phœnix…
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